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"Jean Van Hamme, c’est l’adéquation idéale entre un récit vif, musclé et un dialogue parfait."

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 11 septembre 2013                      Lien  
Avec XIII Mystery, Van Hamme réussit à réunir les plus grands talents de la bande dessinée réaliste d'aujourd'hui, tant du point de vue du dessin que du scénario. De duettiste, il est devenu chef d'orchestre...
"Jean Van Hamme, c'est l'adéquation idéale entre un récit vif, musclé et un dialogue parfait."
Le tome 6 de XIII Mystery : Billy Stockton par Laurent-Frédéric Bollée et Steve Cuzor
Ed. Dargaud

En attendant la parution du tome 6 de XIII Mystery signé Steve Cuzor & Laurent-Frédéric Bollée, Billy Stockton, le 25 octobre 2013, et la suite de la série régulière de Iouri Jigounov & Yves Sente, le 22 novembre 2013, nous avons rencontré quelques-uns des auteurs recrutés par Jean Van Hamme pour la série spin-off de l’amnésique à la tempe grise.

Comment devient-on auteur de XIII Mystery ?

Didier Alcante : Fin 2006, je venais de sortir mes premiers albums de Pandora Box et Sophie Dumont, l’attachée de presse de Dupuis, m’avais permis de rencontrer Jean Van Hamme dont j’étais un grand fan. Elle s’était débrouillée pour que l’on puisse déjeuner ensemble. On a un peu sympathisé et, à l’époque, il venait d’annoncer qu’il arrêtait Thorgal. Je m’étais dit que je tenterais bien ma chance et je lui avais écrit une lettre pour poser ma candidature. Il m’avait répondu très gentiment et c’est pour cela que l’on s’était rencontrés.

À la fin de l’année, j’ai eu la surprise de recevoir un mail de sa part dans lequel il me demandait de l’appeler : "J’ai quelque chose à te proposer." C’était pour XIII Mystery. À l’époque, seul Xavier Dorison était embauché. Il avait choisi la Mangouste. J’avais donc le choix entre tous les autres personnages et j’ai tout de suite choisi Amos, c’était le personnage qui m’intéressait le plus parce que c’était un des personnages principaux de la série (il apparaît dans le premier album de XIII) et parce que c’était un personnage très âgé, donc avec plein de choses à raconter, et dont on ignorait tout, à l’exception de quelques lignes dans XIII Mystery. Il avait perdu un bras, on ne savait pas pourquoi, donc il y avait moyen de faire quelque chose autour de cela et, surtout, c’est un personnage ambigu : il est petit, il a des lunettes, il est manchot, il est donc d’apparence faible, mais en même temps, c’est un ancien directeur du FBI, il a donc un énorme pouvoir, il a travaillé pour le Mossad... Il était difficile à cerner. Il était à la fois un ennemi de XIII, au début, et un allié de XIII...

Philippe Berthet, Didier Alcante et Laurent-Frédéric Bollée
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Comment marche la relation avec Jean Van Hamme, le scénariste de l’œuvre originale ? Il y a un cahier des charges, une fiche technique ?

Didier Alcante : Il y a le fameux dossier XIII Mystery dans lequel chaque personnage a une notice biographique qui peut servir de base. Ensuite, libre à chaque auteur de faire une histoire proche ou éloignée de la notice qui était parfois très développée pour certains personnages, moins pour d’autres, c’était le cas pour Amos. Les seules contraintes : il ne pouvait pas y avoir de contradiction avec la série-mère et il était nécessaire d’apprendre quelque chose sur le personnage secondaire qui, l’espace d’un album, devient le personnage principal. J’ai travaillé avec lui pendant six mois à recommencer certaines scènes mais 85% de mon synopsis initial s’est retrouvé à la fin.

Laurent-Frédéric Bollée : Quand sort le premier album, signé Xavier Dorison & Ralph Meyer, en octobre 2008, on sait qu’il y a déjà Corbeyran et Yann qui sont pressentis et qu’il s’installe un petit jeu éditorial. Je voulais faire acte de candidature. Mon relais a été Philippe Aymon que Jean avait engagé pour faire Lady S et qu’il avait apprécié dans Apocalypse Mania. Philippe m’a donné le numéro de Jean que j’ai appelé pour lui dire que j’étais candidat à la candidature. Très sympathiquement, il m’a demandé à quel personnage je pensais et je lui ai répondu : Martha, la femme-médecin du premier tome. Là, il m’a dit : "Non ! C’est déjà pris par Franck Giroud !" C’est là que je me suis aperçu qu’il y avait des noms qui circulaient qu’on ne connaissait pas mais qui étaient prévus pour les années suivantes. J’avais anticipé le problème et je lui propose un autre choix. Je voulais un personnage qui soit dans les huit premiers volumes de la série qui, pour moi, incarnent parfaitement XIII. J’avais flashé sur Billy, ce qui a surpris Jean. Il a fallu le convaincre. Ce n’est pas un personnage récurrent, on ne sait pas grand chose sur lui, et il n’a pas vraiment de relation avec XIII. Mais Jean a du se dire que cela valait peut-être le coup de sortir un peu des personnages "canoniques", comme Amos, pour aller dans un deuxième niveau où l’on aurait peut-être plus de liberté.

Tome 3 de XIII Mystery : Amos par Didier Alcante et François Boucq
Ed. Dargaud

Est-ce que Jean Van Hamme a une façon spécifique de raconter des histoires ? Quelle est sa qualité première ?

Laurent-Frédéric Bollée : Son découpage. Quand on analyse l’enchaînement des scènes, on s’aperçoit qu’il y a un nombre très important de situations qu’on ne soupçonne peut-être pas. De nos jours, on est habitué d’avoir une idée que l’on va développer avec quelques ramifications. Chez Jean, il y en a 25, des idées ! À chaque planche, il y a un changement de décor, d’action. Il m’a forcé, je le dis, à densifier mon récit. Pratiquement, il a fallu 50 idées, une par planche ! Et puis, là où il m’a apporté beaucoup, c’est dans la qualité du dialogue. J’étais trop sage. Il a mis le doigt sur le fait que chaque dialogue doit coller à la personnalité des personnages.

Didier Alcante : Son efficacité. Ce qui me sidère chez lui, c’est qu’il utilise un minimum de cases pour raconter une scène. Si on prend un Thorgal, Alinoë, par exemple, il y a 46 pages avec relativement peu de cases par planche, mais cela va à 300 à l’heure car il va droit au but, rien n’est superflu. Il n’ennuie jamais le lecteur. Même une aventure de Van Hamme "mauvais cru", pour autant que cela existe, on va la lire jusqu’au bout, d’une traite, parce qu’elle est passionnante et amusante. Il m’a souvent conseillé de ramener une scène de cinq planches à deux seulement. Pour la scène du cambriolage de Colonel Amos, j’avais mis une scène où le colonel explique son plan en réunion. Jean m’a dit : "C’est inutile puisque tu montres ensuite la mise en œuvre. Tu ne dois expliquer un plan que quand il foire par la suite !" Et effectivement, c’était suffisamment clair. J’avais gagné deux planches de dialogue dans l’opération. Van Hamme est vraiment un conteur qui donne envie d’écouter son histoire.

Laurent-Frédéric Bollée : C’est l’adéquation idéale entre un récit vif, musclé et un dialogue parfait. Même dans les scènes financières un peu techniques de Largo Winch, on a l’impression que ça pulse ! T’es scotché !

Tome 3 de XIII Mystery : Amos par Didier Alcante et François Boucq
(c) Dargaud

Vous vivez cette aventure éditoriale comme une espèce d’adoubement ?

Didier Alcante : Je ne me suis même pas posé la question. C’était surtout la fierté et l’enthousiasme de travailler avec quelqu’un dont je suis super-fan ! C’est effectivement le maître incontesté. C’est comme si Ronaldhino jouait avec mon fils ! J’avais un poster de Thorgal dans ma chambre. Avec mon frère, on lisait XIII dans Spirou. Voir Van Hamme associé à Alcante sur une couverture, c’était inespéré !

Van Hamme apporte quelque chose de plus au récit d’aventure ? Les ficelles sont grosses quand même : l’homme seul contre tous, le complot...

XIII Mystery : Irina, par Éric Corbeyran et Philippe Berthet
Ed. Dargaud

Didier Alcante : Oui, mais tout est super-bien raconté ! On peut raconter la même histoire de manière efficace et originale. Par exemple, dans Spads, on passe sans cesse d’une scène à l’autre, il y a plusieurs intrigues, parfois plus ou moins dialoguées ou plus ou moins musclées. Il connaît parfaitement le moyen pour varier les scènes.

Laurent-Frédéric Bollée : Et puis, il y a du travail derrière ! Tous les noms utilisés par XIII : On peut s’en moquer, mais pour chacun, il a su développer une théorie ou explication crédible : l’aspect sud-américain, le côté irlandais, le fils d’un journaliste indépendant, d’un militaire... Ce n’est vraiment pas de la facilité. Il y a un sacré travail de fond pour mettre en place cet univers familial, historique, d’aventure. Ce n’est pas simple du tout.

Quel est votre XIII favori ?

Didier Alcante : Le quatrième : Spads. C’est l’album où William Vance est à son sommet. Le scénario est passionnant, il se passe plein de choses, il y a de belles filles qui se douchent dans une cascade dans la jungle... Que rêver de mieux !

Laurent-Frédéric Bollée : Je dirais les trois premiers car ils posent la série. J’ai été marqué par le troisième, Toutes les larmes de l’enfer. Ce dénuement, ce désert, cette cohabitation entre XIII et ce jeune fou de Billy m’avait marqué. Dès le troisième tome, on avait un personnage qui s’avèrera tertiaire, même pas secondaire et qui, malgré tout a marqué.

XIII Mystery : Irina, par Éric Corbeyran et Philippe Berthet
(c) Dargaud

Et graphiquement, comment on aborde XIII ?

Philippe Berthet : On serre très fort les fesses ! J’étais très étonné que l’éditeur Yves Schlirf me propose cette série-là. J’avais entendu parler de cette série, XIII Mystery, où il y aurait des dessinateurs différents. En même temps, je n’avais pas songé une seconde que cela puisse me concerner ! Je n’ai pas le dessin réaliste classique dans la lignée de William Vance, car je traite très peu les matières : mon dessin est basé sur la ligne. J’étais d’autant plus inquiet que j’avais le sentiment de ne pas avoir en main les outils nécessaires pour accomplir cette mission. C’est Jean qui m’a rassuré sur cela. Il m’a dit : "Surtout ne faites pas du sous-Vance, cela n’intéressera personne. Faites ce que vous avez envie et surtout, amusez-vous !" Cette petite phrase-là m’a fait beaucoup de bien. Quand je suis rentré chez moi, je me suis plongé dans l’univers de XIII en ayant confiance dans le dessin que je pouvais proposer. Heureusement, je n’ai pas eu à animer le personnage de XIII, c’était très bien joué de la part de Corbeyran !

Vance est très fort pour dessiner à ses personnages une coupe de cheveux qui les rend immédiatement identifiables. C’est en dessinant ma vision fantasmée d’Irina, en la coiffant de cette coiffure spécifique, que je m’en suis sorti. Au départ, j’ai tourné autour d’Irina pendant des semaines...

Steve Cuzor, Didier Alcante, Laurent-Frédéric Bollée et Phlippe Berthet au Comic Con en juillet 2013/
Photo DR

Vance est un curieux dessinateur. C’est le plus espagnol des dessinateurs flamands, plus proche d’un Esteban Maroto que n’importe quel autre dessinateur belge...

Tout à fait. Il a un dessin impossible à pomper, car il n’y a pas de logique, il est essentiellement dans l’expression, dans l’effet. Ce que j’aime en BD, c’est l’effet. Mais travailler sur XIII m’a obligé à avoir un dessin plus réaliste que dans Pin-Up, par exemple, où je me permets de caricaturer parfois. J’ai abordé cette histoire comme si comme s’il s’agissait d’un One-Shot. Cela m’a permis de mieux me l’approprier.

Propos recueillis par Didier Pasamonik

Ex-libris pour Billy Stockton au Comic Con 2013
Photo DR

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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7 Messages :
  • Mais tout ça est-il bien utile ? Vous me direz "c’est du commerce !", oui certes, mais ça ne pourrait pas aussi rester un peu de l’art ?

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  • appelez le "maitre", ce n’est pas usurpé. De l’art ? Mais Van Hamme lui-même s’est toujours considéré comme un vendeur d’histoire, et non un artiste.

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    • Répondu par Oncle Francois le 12 septembre 2013 à  12:53 :

      et pourtant, on sait que ses histoires sont diablement bien faites ! C’est simple : je relis le début de ses séries-phares une fois tous les trois ou quatre ans avec le même plaisir !

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      • Répondu par Pascal le 12 septembre 2013 à  22:36 :

        D’ailleurs les américains ont copié dessus pour le début de La mémoire dans la peau avec Matt Damon.

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        • Répondu par blogorix le 13 septembre 2013 à  00:32 :

          @Pascal : j’espère que votre commentaire se voulait ironique, dites... ;°) puisqu’à l’origine c’est bien évidemment Van Hamme qui -de son propre aveu- s’est inspiré du roman bestseller THE BOURNE IDENTITY de Ludlum, écrit en 1980, soit 4 ans avant XIII, et adapté pour la télévision avec Richard Chamberlain, longtemps avant le fade remake avec Matt Damon...

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          • Répondu le 16 septembre 2013 à  01:08 :

            Alors que Richard Chamberlain n’est pas fade du tout, bien-sûr.

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            • Répondu par blogorix le 17 septembre 2013 à  22:41 :

              Ah mais vous oubliez la succulente Jaclyn Smith, cher correspondant anonyme ! ma Drôle de dame préférée. Avec elle, rien n’était fade. Puis Chamberlain avait quand même une meilleure diction que ce pauvre Matt Damon qui semble réciter (ou plutôt mâchonner) son texte pendant un accès de somnambulisme... ^^

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