Jhen Roque, maître architecte et maître sculpteur, court les chemins de France et de Navarre. Il est loin, le temps de son amitié avec le sombre Gilles de Rais, le temps de ses compagnonnages avec l’illustre Jeanne D’Arc. Mais ce qui reste constant chez lui, c’est la passion pour ces arts qui, en cet an de grâce 1435, érigent peu à peu le patrimoine d’une civilisation.
Disons-le tout de suite, le contexte historique dans lequel évolue Jhen n’a rien de simple ni de facilement compréhensible. Le talent de la scénariste Valérie Mangin est de ne pas chercher, justement, à alourdir son propos, donc l’aventure de ce jeune homme passionné et passionnant, par des explications historiques précises. Elle nous dresse bien plus l’esquisse d’une époque, au travers de son ambiance, des vécus quotidiens des riches et des pauvres, et l’Histoire, par petites touches, n’est là qu’en trame, qu’en filigrane.
Jhen, dans cet album, se retrouve en Normandie. Un moine est assassiné, il y a un vol de reliques, il y a son enlèvement qui le mène juqu’à Bayeux où le duc de Bedford veut rentrer en Angleterre en emportant avec lui les trésors normands, surtout ceux qui rappellent la conquête de l’Angleterre par les Normands, ceux qui se souviennent de Guillaume le Conquérant. Dont, et surtout, bien évidemment, la célèbre tapisserie de Bayeux. Une tapisserie splendide à laquelle, cependant, il manque un morceau…
Tous les ingrédients d’une aventure classique sont donc réunis. Mais Valérie Mangin ne pouvait pas se contenter de classicisme, elle qui, avec « Alix Senator », a prouvé que les œuvres de Jacques Martin pouvaient, d’une certaine manière, être « reliftées ».
Cela dit, chez Martin, le réel, souvent, se mêle de fantastique, d’ésotérisme, et c’est là chose normale, dans la mesure où les époques que traitait Jacques Martin étaient extrêmement influencées par des croyances religieuses qui laissaient la place à l’imaginaire, à l’inconnu, à l’inexplicable.
Valérie Mangin a donc repris cette constante qui existait déjà chez Jacques Martin pour en faire le moteur de sa narration, aux côtés de la violence, de la misère, de l’ambition, du pouvoir et de la richesse. Et c’est ce mélange entre la réalité historique et les jeux de l’imagination qui fait de cet album une réussite.
Le texte donc est plus « mature » que ce que faisait Jacques Martin. Il est moins pesant, aussi, tant il est vrai que les œuvres originelles de ce grand nom de l‘âge d’or de la bd peuvent parfois se révéler, de nos jours, indigestes !
Mais ce qui fait aussi la qualité de ce livre, c’est une autre maturité, celle du dessinateur, Paul Teng. D’album en album, son trait devient plus aérien, ai-je envie de dire, il quitte de plus en plus les chemins balisés d’une certaine ligne claire pour se permettre des jeux de mouvements, de regards, d’apparences, qui rythment le récit et lui donnent une vie qui n’a rien de statique.
Il faut, à ce titre, souligner son travail exemplaire sur les décors, sauf lorsqu’il s’agit de mettre en évidence les visages de ses personnages ; les décors, alors, s’estompent et disparaissent, pratiquement. Les personnages, en outre, ne regardent pratiquement jamais le lecteur en face, ce qui donne encore plus d’existence au graphisme de Teng.
N’oublions pas non plus les couleurs de Céline Labriet, des couleurs qui restent fidèles à l’ambiance qui était chère à Jacques Martin, ou à Pleyers, tout en jouant avec talent des reliefs et des jeux d’ombres.
Un très bon Jhen, qui devrait plaire autant aux fans de l’œuvre de Jacques Martin qu’à ceux, nombreux, qui aiment qu’une bd traditionnelle se modernise avec intelligence.
(par Jacques Schraûwen)
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Jhen : 18. Le Conquérant - par Paul Teng, Valérie Mangin et Céline Labriet - Casterman - 48 pages - Sortie le 1juin 2020 2019
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