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Joann Sfar doute de Dieu, de l’homme... et de lui-même

Par Charles-Louis Detournay le 28 mai 2015                      Lien  
Choqué, comme la France entière par le massacre de "Charlie Hebdo", Joann Sfar a ressenti le besoin de reprendre ses carnets. En un mois de rédaction et de dessins (soit 220 pages), il se fait le témoin de ces temps troublés avec sa perte de repères, ses doutes sur ses convictions, religieuses et politiques notamment. Mais cette période est aussi celle de la crise de la quarantaine, qui le ramène à son divorce et la mort de ses parents. Exorcisme logorrhéique, où il parle de lui... et un peu de nous.

« Je traverse une crise où tout me ramène à la foi. Mon père est mort. Je me suis séparé. Mes amis de Charlie se sont fait abattre. Je me sens autant paumé que mon pays et je cherche à retrouver, à défaut de Dieu, ma bonne étoile. C’est pourquoi je reprends mes carnets, pour trouver de petites réponses à des problèmes dont j’ai l’impression qu’on se les pose tous. Et qui peuvent se résumer, dans tous les domaines, intimes comme politiques à : comment faire pour y croire encore ? »

Après Journal de Merde, Sfar ne pensait plus reprendre de carnet. Mais comme il l’écrit dans son introduction : "On ne décide pas le moment où l’on a un besoin vital de son lecteur, et de son papier. À chaque fois que j’ai recommencé des carnets, j’étais en travaux. Il y avait des brisures à colmater."

Joann Sfar doute de Dieu, de l'homme... et de lui-même

Sfar reprend des éléments de l’actualité des jours qui suivent les attentats
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Et des brisures, Joann Sfar en ressent beaucoup en ce mois de janvier 2015. Il y a bien entendu ses amis dessinateurs assassinés (il avait tenu une page hebdomadaire dans Charlie Hebdo entre mi-2004 et septembre 2005). Cette brèche met en perspective la mort de son père six mois plus tôt, son divorce avec la femme qu’il aimait depuis 30 ans et dont il commençait à envisager la séparation avec plus de recul.

"Tu vas parler de toi en des moments pareils, siloloque-t-il. Oui, comme le toutou trouve rassurant de se lécher les roubignolles en situation de stress, j’ai besoin de m’accrocher à mon style, et de me redire les histoires de mes carnets passés, pour y trouver un sens, pour tenir debout. J’ai arrêté "Charlie" le jour du cyclone Katrina. Pour des raisons romantiques et d’autoprotection, la Nouvelle-Orléans sous les eaux, c’était trop pour moi. Ça a marqué mon divorce durable avec l’actualité, pour me réfugier et dans l’intime et dans la fiction."

Ce carnet de bord contient donc ses états d’âme : parfois déroutants, lorsque l’auteur est perdu, inspirés lorsqu’il est passionné. Il comprend aussi des personnages imaginaires : un corbeau qui incarne le chagrin et les bigots, une rabbin imaginaire qui lui sert d’ange-gardien. Mais aussi des personnages bien réels, comme ces échanges avec Phillipe Val, et Marceline Loridan, survivante de Birkenau.

Car dans ce mois si caractéristique, en manque de valeur, les Juifs, les Musulmans, les Français, la France elle-même se cherche. C’est alors l’occasion de traiter des la question de la religion dans son aspect historique, mais également au quotidien : "Le Mulsulman n’est pas l’ennemi, écrit-il, C’est la première victime. Ça ne le dispense pas de l’autocritique".

Lisant les réactions de ses lecteurs du Huffington Post dans lequel les pages de ce carnet ont été prépubliées, Sfar tente d’expliquer sa position : il se veut un optimiste de nature qui cherche à analyser ses propres réactions avec l’aide de ses amis proches. Quant au choix du titre, Si Dieu existe, il fait preuve d’une bonne dose d’autodérision que Sfar explique : "Je me suis dit qu’avec un titre aussi con, j’allais attirer du monde..."

D’autres réflexions telles que "Le miracle du lecteur, c’est que lorsque tes proches ne peuvent plus t’écouter, il paie pour te lire" risquent d’en dérouter plus d’un. L’auteur ne méprise pas son public : ce type de sarcasme indique son état d’esprit lors de la rédaction, celui d’un auteur en galère, plus largué qu’il ne l’a sans doute jamais été depuis bien des années.

Comment lui en vouloir ? Ce mois de janvier 2015 a été terrible... Mais avec lui, on suit le chemin d’une lente reconstruction, autant personnelle que sociétale.

Comme une bonne partie de ses lecteurs, il y a donc eu le moment de la révolte, celui des larmes, et enfin celui de l’introspection qui débouche sur des sentiments refoulés. Puis vient un passage dans le milieu de la mode, comme si l’auteur de cet intermède déconnecté. Cette partie graphique n’est peut-être pas la plus passionnante, mais elle fait partie de la démarche positive de l’auteur : une fuite vers l’avant.

La dernière partie du livre revient sur la question juive, centrale pour l’auteur du Chat du rabbin, et cette idée de choisir de quitter la France pour rejoindre Israël. Sfar tente de prendre du recul sur les événements dans une réflexion plus large...alors que d’autres juifs sont tués à Copenhague, et que des cimetières sont profanés en France...

Si Dieu existe satisfera les fans de Sfar, et ceux qui voudraient revenir sur la façon dont ont été abordé ces récents événements qui suscitent bien des répliques médiatiques (le départ récent de Luz, par exemple). L’ouvrage n’échappera pas à l’accusation de nombrilisme, tandis que les radicaux des trois religions monothéistes n’y verront qu’un nouveau blasphème. Les propos de Sfar sont pourtant davantage des sujets de réflexion que des opinions magistrales. Il fait part de ses doutes et laisse le lecteur trancher. Si ce carnet est dense, et manque parfois de structure, il ne manque jamais de sincérité, cette qualité première.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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✏️ Joann Sfar
 
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