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Jodorowsky réalise la suite de son film "El Topo" en bande dessinée

Par Charles-Louis Detournay le 20 juillet 2016                      Lien  
Près de 46 ans après la sortie salle de "El Topo", un film-culte loué par John Lennon et Yoko Ono, qui lança le phénomène du cinéma de minuit et qui a inspiré directement une génération de cinéastes comme Quentin Tarantino, Jodorowsky en réalise la suite... en bande dessinée. Voici quelques clés pour mieux en saisir la portée.

El Topo est le second film d’Alejandro Jodorowsky, il en est le scénariste, le réalisateur mais aussi l’acteur principal ! Sans oublier son fils aîné qui joua le rôle du fils du personnage-titre. On comprend donc l’importance que revêt cette œuvre pour le Chilien, d’autant plus que sous les atours d’un western, Jodo déployait une réelle quête initiatique, mystique, allégorique et métaphysique caractéristique de son œuvre entière : poésies, essais, manuels de tarot, bande dessinée, cinéma...

Alors que son personnage vêtu de noir apparaît en début du film comme un pistolero classique à la Sergio Leone, il en vient à abandonner son fils qui chevauchait avec lui. Pour le cœur d’une femme, il entame un chemin qui l’entraîne vers les pires bassesses. Puis il se rend compte de ses erreurs et passe vingt ans de repentir dans une caverne avec des infirmes et handicapés. Il promet de les sauver et s’adonne alors à tous les métiers, dans une véritable parcours de rédemption. Mais en définitive, la société rejette ces répudiés qui voulaient lui revenir, et tel un dieu vivant, El Topo lâche sa terrible colère à l’endroit de ceux qui les ont oubliés. Puis, il s’immole par le feu afin de laisser son fils poursuivre son chemin.

Jodorowsky réalise la suite de son film "El Topo" en bande dessinée
El Topo (1969). Jodorowsky y incarnait le personnage principal.
Copyright Pretty Pictures

Dans sa préface, Jodo explique qu’à la sortie de son film en 1970, personne ne voulait le projeter, sans doute car le réalisateur y cumulait les images choquantes pour interpeler le public. La première du film eut finalement lieu dans un cinéma pornographique, dont le propriétaire accepta de le projeter, mais après les projections programmées, donc à minuit. Ce qui donna naissance au fameux courant des Midnight Movies.

En effet, si le succès public d’El Topo le classa comme le film culte d’une époque, c’est en grande partie grâce à John Lennon et Yoko Ono qui, alors qu’ils venaient pour présenter des courts métrages, avaient demandés aux critiques de rester pour voir le film du réalisateur chilien. La génération Flower Power y vit le grand film psychédélique de sa génération, rendant son auteur immédiatement célèbre, ce qui permit à Alejandro Jodorowsky de prolonger son travail cinématographique, avant de se cogner au refus d’Hollywood de produire Dune, déconvenue qui lui permit d’opérer, grâce à Moebius une reconversion dans la bande dessinée qui lui a plutôt réussi, comme on le sait.

La parole à Jodo

Mais avant cela, Jodo avait un autre projet en tête, comme il l’explique lui-même :« Encouragé par [le] succès [d’El Topo], j’écrivis et je voulus tourner le scénario des Fils d’El Topo. Tous les studios de Hollywood, qui me considéraient comme un extra-terrestre, s’y opposèrent [… et aucun autre producteur] ne parvint à réunir la somme nécessaire pour produire ces films. Les années passèrent, mais mon rêve s’obstina. Un jour, je me dis : "Si je ne peux pas filmer mon scénario, peut-être puis-je en faire une bande dessinée." Je patientai quelques années encore, sans perdre la foi, jusqu’à ce qu’en 2016, je rencontre José Ladrönn, le dessinateur idéal – je ne dirai pas "génial" pour ne pas heurter sa modestie – pour réaliser non tant une "BD normale" mais un "film graphique", dont chaque page est divisée en trois bandes afin que, comme face à un écran, le lecteur-spectateur ait la sensation d’être dans une salle de cinéma. L’échec n’existe pas, il permet seulement d’emprunter un autre chemin. »

Et l’artiste de présenter lui-même cette nouvelle série :

Les Fils d’El Topo

Rappelons qu’El Topo fut un bandit qui, ouvrant les portes de son cœur, devint un saint à même d’accomplir de grands miracles, avant de s’immoler par le feu. De deux femmes différentes, il eut deux fils. Le premier reprit le chemin de son père, arborant ses vêtements sombres aux couleurs de son cœur. En effet, funeste silhouette de cuir noir arpentant le désert, Caïn le maudit s’est juré de tuer ce père à qui il n’a jamais pardonné. Incapable d’accomplir sa soif de vengeance, il décide alors de jeter son dévolu sur son demi-frère Abel. Et dans cet ouest sauvage empreint de mysticisme, ceux qui croiseront sa route en seront les victimes collatérales...

Dans sa présentation, l’éditeur explique qu’il n’est pas nécessaire d’avoir vu le film El Topo pour apprécier cette suite en bande dessinée. À nos yeux, cela semble pourtant incontournable ! Même un lecteur assidu des œuvres de Jodorowsky serait déboussolé par la lecture de ce premier tome d’El Topo. En effet, les sept premières pages présentent une sarabande folle d’images, à laquelle succède, plus lentes, de longues séquences savamment orchestrées. Une grammaire narrative peut déboussoler un lecteur dès plus aguerri !

En réalité, dans cette introduction, en plus d’un nouveau narrateur, Jodo reprend les passages principaux de son film, et en particulier celles qui servent de fondation à ce second opus. Un retour en arrière nécessaire, d’autant plus que Jodo rajoute des éléments à la trame du film, avant de dérouler son western mystique en bande dessinée.

Les motifs et les obsessions d’El Topo se retrouvent dans bien des séries de bandes dessinées de Jodo : la descente aux enfers puis le cheminement messianique de Juan Solo en est certainement le meilleur exemple, sans oublier l’affrontement père-fils dans La Caste des Méta-barons, le rejet des parias d’une société dans Le Lama blanc, les manchots se retrouvent dans Alef Thau et Bouncer, etc.

Le premier tome des Fils d’El Topo reprend en particulier deux thématiques fortes : l’affrontement entre les deux frères et la part divine de l’homme, symbolisée par l’enfant pur en opposition à l’homme sournois. Toutefois, ces motifs ne sont pas assénés en bande dessinée avec la même violence que dans le film. Ceci n’est qu’un premier tome et on sent que Jodo est d’abord soucieux de camper le décor de son théâtre avant de nous présenter sa démonstration allégorique.

Théâtre est d’ailleurs le fin mot ce premier récit. Car si Jodo s’est illustré au cinéma et à la télévision, ses deux autres savoir-faire moins connus sont le mime et le théâtre. En ce qui concerne le mime, rappelons que l’auteur chilien a été le disciple du mime Marceau pour lequel il écrivit quelques-unes de ses pièces les plus célèbres. Il est déjà à l’honneur dans la seconde partie du film El Topo. Quant au théâtre, celui qui avec Arrabal, Sternberg et Topor fut à l’origine du Mouvement Panique nous fait profiter dans Les Fils d’El Topo, d’un double spectacle : celui se passe devant et celui qui se trame derrière le rideau.

À n’en pas douter, la grande force de cette suite d’El Topo réside avant tout dans le somptueux graphisme de José Ladrönn. Jodorowsky avait réalisé un coup de génie en prenant ce dessinateur pour terminer la quête inachevée d’Avant l’Incal. Il réitère la chose avec ce formidable western symbolique.

Le lecteur sera certainement conquis par l’ambiance des Fils d’El Topo en ouvrant l’album en librairie. Il pourrait cependant déchanter s’il ne prend pas le temps de voir ou revoir El Topo avant de le lire. C’est d’ailleurs le conseil que nous adressons, car avec cette nouvelle série, Jodorowsky réalise plus qu’une nouvelle histoire, il s’agit tout simplement de la concrétisation artistique d’une carrière très riche, où l’imaginaire et le symbolique se mêlent comme chez personne avant lui.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782344004487

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1 Message :
  • Jodorowsky réalise la suite de son film "El Topo" en bande dessinée
    20 juillet 2016 12:50, par La plume occulte

    Que serait Jodorowsky sans son extraordinaire sens de la communication.C’est un conteur né,un bateleur rhétorique,un aboyeur de cirque...Un énième vendeur de courants d’air ?Peu importe:on en redemande !
    José Ladronn-par ailleurs excellent,ce qui ne transparaît pas toujours ici avec une utilisation envahissante de la référence photo-a bien évolué graphiquement depuis ses débuts,où il n’était qu’un simple substitut hésitant du King Jack Kirby.

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