« Pour moi, DUNE devait être l’avènement d’un nouveau dieu. Je voulais créer quelque chose de sacré, de libre, avec une vision unique. Je voulais ouvrir les esprits ! » Ceux qui ont pu échanger avec Alejandro Jodorowsky savent que le scénariste de l’Incal n’est pas à une modestie près...
Au début des années 1970, il devait être encore plus radical : il a à peine quarante ans et rentre d’un séjour de huit ans au Mexique où il s’est essayé à la bande dessinée et a tourné deux films devenus cultes : El Topo et La Montagne sacrée. Aucun projet ne doit sembler assez démesuré pour cet artiste multiforme.
Le jeune producteur Michel Seydoux a déjà travaillé avec Jodo pour El Topo. Séduit par son succès international, il donne carte blanche au cinéaste pour un nouveau projet. Celui-ci propose « Dune ! » sans même avoir lu ce best-seller de science-fiction écrit par Frank Herbert. « Un ami m’avait dit que c’était fantastique ! », avoue-t-il interviewé par Frank Pavich. Nous sommes en 1973 et la référence en matière de SF est le très sobre 2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick. Jodorowsky’s Dune raconte comment une petite équipe constituée à Paris a voulu dynamiter le cinéma et a réussi à le faire en quelque sorte…
En effet, Seydoux et Jodorowsky font d’abord appel au jeune scénariste américain Dan O’bannon et à Jean « Giraud » Moebius pour réaliser le story-board de leur projet. L’équipe se complète de l’illustrateur anglais Chris Foss et du peintre suisse H.R. Giger chargés d’imaginer des décors renversants.
Résultat : après deux ans de travail les grands studios d’Hollywood reçoivent un épais livre de la taille d’une bible pour présenter Dune. Le volume contient l’intégralité du film en trois milles plans crayonnés par Giraud, complété par des centaines de documents préparatoires. Aucune major ne voudra s’associer à la production, condamnant le film malgré une distribution hallucinante : David Carradine, Orson Welles, Mick Jagger, Salvador Dali et même Amanda Lear ont donné leur accord pour interpréter Dune dont la musique aurait été composée par Pink Floyd et Magma.
Par peur de la personnalité fantasque de Jodorowsky ? C’est la thèse soutenue par Frank Pavich. Précisons tout de même que le dossier annonçait un long métrage d’une durée de 12 à 20 heures, ce qui ressemble soit à une blague, soit au pied de nez digne d’un Don Quichotte lancé à l’assaut des moulins de Californie.
Mais au final, Dune existe dans d’autres films. Le documentaire montre de manière explicite comment le travail de l’équipe parisienne a été repris dans de multiples productions d’Hollywood, Star Wars, Blade Runner, Matrix, sans parler d’Alien dont le générique aligne tous les « artistes guerriers » de Jodorowsky : Moebius, O’Bannon, Giger et Cross.
Ce que Jodorowsky’s Dune ne raconte en revanche pas, c’est comment l’onde de choc Dune s’est aussi propagée en bande dessinée. En 1975, Moebius dessine The Long Tomorrow sur scénario de Dan O’Bannon. Cette histoire courte publiée dans les numéros 7 et 8 de Métal Hurlant préfigure la Cité-puits et certains personnages de L’Incal Noir qu’Alejandro Jodorowsky et encore Moebius entreprennent à partir de 1981 toujours pour Métal Hurlant.
Non seulement Jodorowsky en est quitte pour devenir un scénariste de référence dans la tradition franco-belge, mais de plus l’Incal inaugure le principe des sagas de SF et d’Heroïc Fantasy. Ce courant va grandir dans la bande dessinée pendant vingt-cinq ans, permettant l’émergence d’une nouvelle génération d’éditeurs, Delcourt et Soleil. Incidemment, l’Incal est avec Valérian par Christin et Mézières, une des références de Luc Besson lorsqu’il entreprend le Cinquième élément sorti en 1997.
Quant à Jodorowsky’s Dune, qui avait été auréolé du Grand Prix du Jury et du Prix du Public aux Utopiales de Nantes en novembre 2013, un désaccord sur les droits de reproduction des œuvres de Moebius a longtemps empêché sa sortie française. Sous la pression des ayants droits du dessinateur et notamment, d’Isabelle Giraud, veuve de Jean, on craignait que le documentaire soit lui aussi frappé par la déveine de Dune. Il semble qu’un procès jugé en octobre 2015 a permis de rendre à Isabelle Giraud la propriété du story board dessiné par son mari et, accessoirement, de débloquer la sortie de Jodorowsky’s Dune.
De quoi faire mentir tous les mauvais sorts ? Car le tournage du documentaire a permis à Michel Seydoux et à Alejandro Jodorowsky de reprendre contact, plus de trois décennies après un échec qui les avait séparés. Les deux compères ont même entrepris ensemble un nouveau film, la Danza de la realidad sorti en 2013. De là à rêver d’une planète de sable et d’épices de prescience…
Verra-t-on un jour ce Dune « en vrai » ? Au détour du documentaire Jodorowsky lui-même entretient une lueur, certes macabre : « Je peux mourir, ils peuvent faire mon film ! »
(par Laurent Melikian)
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En salle en France le mercredi 16 mars 2016.
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