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Joël Callède : "Derrière les apparences, il se cache souvent des réalités bien plus profondes."

Par Nicolas Anspach le 19 mai 2009                      Lien  
Après avoir signé plusieurs albums d'horreur aux éditions Delcourt, {{Joël Callède}} a rejoint les éditions Dupuis avec trois thrillers aux univers distincts : Le monde carcéral (Haute Sécurité), l’anticipation (Damoclès) et enfin la paranoïa (Asthénie). Rencontre avec ce jeune scénariste, qui signera dans les prochaines années un "XIII Mystery".

Votre trilogie « Comptine d’Halloween », a marqué les esprits au début des années 1990. Vous exploriez alors un genre peu abordé en bande dessinée : le récit d’épouvante.

Effectivement. Avec cette série, j’ai donné le ton à ce qui allait devenir ma spécificité au début de ma carrière. J’étais inspiré par les romans de Stephen King et les films d’épouvante américains. Assez étrangement, peu d’auteurs ont songé à transposer ces ambiances en bande dessinée. Avec Denys, le dessinateur, nous avons trouvé le juste équilibre pour doser correctement les atmosphères horrifiques et sombres. Il a fallu jouer sur les codes de la narration et sur la mise en scène. Le style graphique volontairement tourmenté de Denys et ses choix de cadrage participent pour beaucoup à cette plongée dans l’inquiétude et l’horreur. Et puis, le coloriste Hubert a appuyé ces ambiances par une mise en couleur adéquate, renforçant ainsi les ambiances sordides et glauques ! A l’époque les choix d’Hubert me surprenaient. Aujourd’hui, je suis convaincu que ses couleurs ont fortement contribué au succès de cette série.

Vous avez enchaîné ensuite avec « Dans la Nuit », toujours pour les éditions Delcourt.

Delcourt avait lancé la collection Insomnie, une collection horrifique. Je désirais créer une série sans héros récurrent ! Chaque nouvelle histoire devait mettre en avant de nouveaux personnages. Le seul fil rouge de la série serait le chroniqueur, l’animateur radio. Cette série a eu du mal à s’installer. Le premier tome a souffert d’un effet d’incompréhension. Les lecteurs s’attendaient à retrouver les personnages d’un album à l’autre…

Vous publiez ensuite « Les Enchaînés » avec Gihef. Comment est née cette idée de machination. Quatre personnes au bord du gouffre se voient proposer une somme folle pour tuer un quidam. L’appât du gain gommant leurs principes.

Je suis particulièrement fier de cette histoire. Son idée est venue d’un seul coup, facilement. Ce fut un moment de magie. Je me souviens avoir réalisé, dans la foulée, un schéma avec les noms des personnages qui devaient s’entretuer. Je crois que cette histoire, développée en quatre tomes, a marqué les lecteurs…

Joël Callède : "Derrière les apparences, il se cache souvent des réalités bien plus profondes."Vous signez ensuite avec le même dessinateur la série « Haute Sécurité » chez Dupuis.

Nous avions les mêmes références et les mêmes envies. Nous apprécions tous les deux les univers sombres et tourmentés. Gihef m’a parlé pour son goût pour les univers carcéraux. Nous avions commencé à travailler sur cette série bien avant la diffusion de la série télévisée Prison Break. Daniel Bultreys, qui fut notre éditeur aux éditions Dupuis, avait envie de travailler avec nous.

La thématique n’est-elle pas un peu trop malsaine ?

Nous l’avons édulcorée ! Les situations ou les dialogues peuvent parfois être tendus et malsains, mais nous ne représentons pas ces scènes de manière outrageante. Autrement dit, il est hors de question de retrouver une scène de viol sous la douche toutes les quatre pages ! Nous essayons d’équilibrer les ambiances. Avec Les Nouveaux Maîtres, le deuxième diptyque, les lecteurs commencent à se familiariser avec les personnages. Haute Sécurité est en quelque sorte une chronique : nous dressons le portrait d’un homme, Aleks Wojda, qui travaille dans une prison. Il lui arrive des choses particulières dans le cadre de son job. Il y a un côté huis-clos dans cette série…

Extrait de "Haute Sécurité" T5 (à paraître)
(c) Gihef, Callède & Dupuis

Pourquoi avoir souhaité placer Damoclès dans un futur proche ?

Beaucoup de lecteurs me posent cette question. Je voulais utiliser une technologie un peu plus futuriste que celle que nous utilisons actuellement. Et puis, le contexte politique et géopolitique l’obligeait. Nous abordons, par exemple, les enlèvements en pleine rue. Nous avons transposé quelque chose qui existe en Amérique Latine à l’Europe. Les changements graphiques sont légers et on a plus l’impression que cette fiction se déroule à notre époque.
Je désirais également partager certaines convictions. Par exemple par rapport aux gardes du corps, les personnages centraux de cette série. D’une part, ils protègent les gens et d’autre part, ils sont méprisants et égocentriques.

Pourquoi mettre en scène quatre gardes du corps dans cette série, dessinée par Alain Henriet. ?

J’ai toujours mis de nombreux personnages dans mes séries. Il aurait été plus facile de n’en avoir qu’un ou deux pour pouvoir creuser leur psychologie plus facilement. Mais je pense qu’à terme la multiplicité de personnages sera bénéfique pour les ressorts de l’histoire. C’était un pari !

La thématique du premier diptyque de Damoclès est actuelle. Vous abordez les déviances du capitalisme. Êtes-vous un auteur engagé ?

Je n’aime pas le manichéisme dans les histoires, en général, et dans les miennes en particulier. J’aime creuser des personnalités complexes, et de montrer que derrière les apparences, il se cache souvent des réalités bien plus profondes.
Je ne sais pas si je suis un auteur engagé. Dans la vie, j’ai des convictions profondes, des valeurs, un regard sur la société assez pointu. Je m’intéresse à la politique, aux dérives de la sphère économique, à la place de l’humain dans notre monde occidental. Et j’aborde un peu tout ces thèmes dans Damoclès en montrant les dérives et les abus de certaines compagnies, prêtes à tout pour faire du profit au détriment de la morale ou du simple respect de la vie humaine. Ce type de discours paraît un peu moins naïf aujourd’hui alors que les sphères politiques, même clairement de droite, parlent enfin de « moraliser » le capitalisme.

Pouvez-vous lever le voile sur la deuxième histoire de cette série ?

Le second cycle abordera un thème « brûlant », à savoir le trafic d’ovocytes. On y verra des couples de milliardaires stériles, prêts à tout pour acheter à prix d’or des ovocytes qui engendreront des héritiers « parfaits ». Il sera question de bioéthique, de religion, de désir d’enfants. Tout cela à travers le prisme de nos gardes du corps, bien évidemment ! Là aussi, je pars d’une réalité qui existe déjà, mais je l’exagère et je la transforme. J’en fais une œuvre de fiction qui interpellera, je l’espère, le lecteur…

Le rythme du premier tome de votre nouvelle série Asthénie est assez lent. Vous prenez le temps d’approfondir l’état psychologique de votre personnage et d’expliquer sa maladie. N’était-ce pas une gageüre de retenir l’attention du lecteur alors que vous ne bénéficiez pas des artifices d’un thriller ?

Justement. C’était un pari de construire ce type d’histoire avec les moyens propres à la bande dessinée. La voix off, notamment, est très utile pour décrire l’état intérieur de Jason, ses angoisses, sa paranoïa. Cela permet au lecteur d’être au plus près de ses états d’âme, et de ne jamais lâcher ses points de vue. L’objectif était de faire sentir, dans un premier temps, la détresse d’un homme souffrant d’insomnie et prêt à tout pour une véritable nuit de sommeil. Quel lecteur n’a pas traversé un épisode insomniaque dans sa vie et connu la détresse que l’on éprouve quand le monde entier dort autour de soi ?
En tant que scénariste, c’est un vrai plaisir de décrire cet état, pas forcément très spectaculaire, mais qui ouvre de nombreuses perspectives en termes de cauchemars, de manipulation, de suspense…

Qu’est-ce qui vous intéressait dans le thème de l’asthénie ?

Avant tout, l’idée de partir sur quelque chose de profondément commun : les insomnies, qui entraînent une fatigue, un état dépressif, une asthénie. J’ai posé le postulat suivant : un homme, qui ne trouve pas le sommeil, va alors accepter d’être le cobaye d’une méthode radicale. Celle-ci va régler le problème au-delà de ses propres espérances ! Le héros va non seulement réussir à dormir, mais il va dormir à chaque fois de plus en plus longtemps, de façon totalement incontrôlable, en proie à des cauchemars angoissants ! Chaque fois qu’il se réveille, c’est comme s’il avait fait un saut dans le temps. Il s’est d’abord passé 24h, puis 48h, puis 72h, etc. La durée du sommeil augmente de façon exponentielle. Le temps va lui être compté pour régler ce problème. Le remède était en somme pire que mal !

Pourquoi avoir réalisé cette histoire avec Pignault ?

Il habite, tout comme moi, à Pau, dans les Pyrénées atlantiques. Il travaillait alors sur Pandora Box. Il souhaitait travailler avec moi.
Roland Pignault est avant tout un ami avant d’être un collègue de travail. Je lui ai donc écrit une histoire à l’atmosphère froide, correspondant à son graphisme hyper-réaliste. Il est très à l’aise pour mettre en scène ce type de scène paranoïaque.

Roland Pignault & Joël Callède
(c) Nicolas Anspach

Quels sont vos projets ?

Je réfléchis à un récit pour Séjourné (le dessinateur de Tatanka) qui se passe dans les années 20 à Harlem et qui se prolongera en Afrique de l’Est. Un récit différent de ce que j’ai pu faire jusqu’à présent : plus romanesque, avec un souffle d’aventure…

Vous allez réaliser un récit de « XIII Mystery » autour du personnage de Betty Barnowsky. Pouvez-vous nous en parler ?

Le projet avance, mais Jean Van Hamme est très exigeant et n’hésite pas à me faire réécrire jusqu’à satisfaction. Je suis à la moitié du découpage. Le dessinateur n’a pas encore été choisi. La sortie de mon album n’est pas prévu avant 2011 ou 2012.

(par Nicolas Anspach)

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- Haute Sécurité T1 & du T2, du T3 et du T4
- Asthénie T1
- Damoclès T1 et T2

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