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Johan de Moor : "Je me suis rendu compte que je pouvais aussi tracer ma propre voie artistique"

Par Christian MISSIA DIO le 18 mai 2013                      Lien  
Poursuivant ses rencontres entre bande dessinée et art contemporain, la galerie Petits Papiers Sablon consacre cette fois-ci son espace à Johan de Moor et Al Balis. À cette occasion, le fils du célèbre Bob de Moor, le premier assistant d'Hergé, a bien voulu répondre à nos questions.
Johan de Moor : "Je me suis rendu compte que je pouvais aussi tracer ma propre voie artistique"
Expo Johan de Moor/Al Balis

Quel est le thème de cette exposition ?

Johan de Moor : Je voulais montrer le chaos et l’amusement mais dans mon chaos, il y a de la structure ! C’est un peu une sorte de laboratoire artistique. Je suis un enfant du Pop art. Je passe plus de temps chez Carrefour qu’au musée du Louvre. J’aime la publicité et la répétition que cela implique. Je préfère regarder la pub d’Aldi qu’un Monet ou un Picasso ! On me dit que je suis un provocateur ? Je réponds : non. Que peut on nous proposer de mieux ?

J’ai fait partie de cette génération qui croyais en la révolution. J’ai été touché par les Seventies, le mouvement hippie, ainsi que par le marxisme, le léninisme et le maoïsme. C’était assez dur par moments, mais on s’amusait beaucoup tout de même. Cela transparait un peu dans mon travail car il y a des réminiscences. Ces toiles peuvent être vues comme des œuvres autobiographiques car cela représente une iconographie de six décennies.

Et puis, j’ai toujours à l’esprit, depuis ma plus tendre enfance, de cette épée de Damoclès que représentait la bombe atomique. Les gens de ma génération en avait peur et ça reste en filigrane dans mon œuvre. Aujourd’hui, je me suis rendu compte que c’est le réchauffement climatique qui va nous rattraper et pas la bombe, quoique avec la Corée du Nord on n’est jamais à l’abri (rires).

Néanmoins, je me suis bien amusé, car j’ai pu m’éloigner de certaines contraintes telles que le scénario. Ce qui m’a permis de plus m’attarder sur ma documentation, sur mon délire artistique. Et puis, j’ai quand même été confronté à un vrai problème de matière, car j’ai utilisé de la peinture.

Einde. Un tableau "warholien" de Johan de Moor, en hommage à Vandersteen. "Einde" signifie "Fin" en flamand.
Acrylique sur toile.80x80 cm

Parlez nous un peu du sculpteur qui vous accompagne sur cette expo.

Comme vous le savez, le principe de la galerie est de confronter le travail d’un auteur de BD et d’un artiste venant de l’art contemporain. Dans ce cadre-là, j’ai choisi de collaborer avec Al Balis qui est un ami. Vous allez me dire que ce n’est pas avec de l’amitié que l’on fait une expo. C’est vrai, mais la qualité de son travail et son côté flamboyant et baroque complètent bien mes toiles je trouve.

Al Balis
Au centre

Parmi toutes vos toiles, il y en a une que vous avez intitulée "les Blancs ne savent pas danser", un titre tiré d’une chanson du rappeur belge James Deano.

J’aime beaucoup cette chanson et cela me rappelle mes voyages à Kin (Kinshasa, capitale de la République Démocratique du Congo). Et j’ai voulu faire un clin d’œil à cette dualité post-coloniale car nous sommes quasiment 53 ans après l’indépendance de la République du Congo et un type dit encore ça : les Blancs ne savent pas danser. Je veux dire que là bas, dans les boites de nuit kinoises, les Blancs pensent qu’ils faut tout donner dès le premier quart d’heure et ils terminent complètement crevés. Alors qu’il faut y aller doucement. Malembe, malembe, comme on dit en lingala (rires) !

Les Blancs ne savent pas danser
Acrylique sur toile.80x80 cm

Parmi les autres œuvre exposées, il y a bien entendu La Vache qui détourne Tintin au Congo.

Oui, je trouvais cela marrant de reprendre des figures légendaires. Aujourd’hui, Hergé c’est un mythe, c’est le Da Vinci de la BD !

Comme chacun sait, vous êtes le fils de Bob de Moor et le filleul de Willy Vandersteen. Votre père fut le bras droit d’Hergé. Comment vous situez-vous dans cet arbre généalogique artistique ?

Au début, je me disais que s’appeler de Moor était un lourd héritage et j’ai donc pensé qu’il fallait absolument que je me fasse un prénom. Puis les années passant et en restant moi même, je me suis rendu compte que je pouvais aussi tracer ma propre voie artistique. Aujourd’hui, il y a encore des gens qui m’appellent "Bob". Il y a 25 ans, je me serais énervé mais aujourd’hui, je prends cela comme un bon lapsus parce que je suis à l’aise avec ça. Je me suis affirmé en tant qu’auteur de BD. J’ai pu créer mon propre univers et en plus, je vis bien de mon travail. C’est un luxe ! Je remercie Dieu, Allah, le Pape et Bouddha de m’avoir donné cette chance.

Tram et petits cochons
Acrylique sur toile.60x60 cm

D’où puisez vous votre inspiration ?

Je puise mon inspiration de partout et surtout des gens ! J’aime rencontrer, écouter et regarder les gens. Je n’arrête pas ! Mais j’ai besoin de structure étant donné que je suis quelqu’un d’assez chaotique. Cette structure, je l’obtient notamment des scénaristes avec lesquels je travaille. Ceux-ci donnent une structure à mon chaos et je peux ainsi m’amuser.

Que représente la BD flamande pour vous ? A-t-elle encore de l’influence sur votre travail ?

Bien sûr ! Et puis, j’ai enseigné la bande dessinée en Flandre. Néanmoins, je dois quand même vous faire remarquer que la jeune génération des auteurs flamands sont plus anglo-saxons que flamands dans leur approche artistique. Ils consomment plus de comics que des classiques du Standaard, par exemple.

Twee Meisjes op het strand (Deux filles sur la plage)
Acrylique sur toile.80x125 cm
Bob & Bobette new look

Que pensez-vous de l’évolution de Bob & Bobette ?

Je n’en pense rien. C’est comme pour les reprises de Blake & Mortimer ou d’Alix.

Oui mais dans ces cas-ci, on n’a pas essayé de gommer ce qui fait la particularité de ces séries. Dans Bob & Bobette, ils ont fait mûrir les personnages et ils ont supprimé le trait "bruegelien".

Je ne les ai pas encore lus. Mais c’est dans l’air du temps. Les personnages des auteurs décédés deviennent plus adultes. Ou alors on fait le contraire et on propose des versions d’eux en culottes courtes. Bientôt, on aura des fœtus ! Heureusement que Fanny Rodwell n’a pas cédé à cette mode en faisant un "Petit Tintin" ! Je pense que c’est un manque de créativité des éditeurs et la peur de la nouveauté.

D’un autre côté, je comprend tout à fait que les éditeurs poursuivent des séries emblématiques. Ils ont à disposition des personnages qui ont fait leurs preuves et qui rapportent de l’argent. C’est important car la BD est aussi un business. Mais que cet argent serve davantage à pousser un peu plus de jeunes auteurs, qui introduiront de nouveaux héros, de nouveaux personnages pour le lectorat actuel. Il y a encore beaucoup de choses à faire en BD. Ce n’est pas terminé, loin de la !

Olivier Grenson, Johan de Moor et Bernard Yslaire
Photo (c) Yves Declercq

(par Christian MISSIA DIO)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Expo Johan De Moor & Al Balis du 9 mai au 2 juin.

Petits Papiers Sablon

8A rue Bodenbroeck

Place du Grand Sablon, 1000 Bruxelles

Tél. +32 (0) 2 893 90 30

Mobile +32 (0) 478 319 282

Courriel : contact@petitspapiers.be

Ouvert du mercredi au dimanche de 11h à 18h30

Photos : Yves Declercq

 
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