Ce voyage se fait dans le souvenir d’une brève nuit de 1919 que le peintre passa avec un modèle, Magdalena. De cette liaison naquit un enfant que Prinz n’a jamais vu. Dans le train qui l’emmène vers sa ville natale, le peintre scrute les voyageurs du wagon, comme le fit cet autre exilé qu’est le prince Mychkine dans L’Idiot de Dostoïevski. Il y voit un jeune homme, Benyamin Adler, qui a l’âge d’être son fils, dont la mère se prénomme Magdalena et qui, comme elle, habite Passau. Il se met à rêver que ce gamin au visage d’ange pourrait être le fruit de ses amours.
Soudain le train s’immobilise : un arbre est tombé sur la voie. L’attente est longue. La tension monte parmi les voyageurs. Entre les visites des Gitans venus vendre un peu de nourriture aux passagers démunis et les SS, ce corps d’élite qui, depuis peu, supplante la police allemande, l’inquiétude gagne les consciences.
Le huis clos proposé par Johanna est lourd d’évocation et très compréhensible alors que cette semaine sort un film de Rose Bosch consacré à la Rafle du Vel d’Hiv : le train vers l’Est, la confusion des pensées, le voyage sans retour… Comme chez Dostoïevski, le lecteur entre dans un rêve qui confine au cauchemar, où se mêlent ici les grandes idées sur l’art, le racisme hygiéniste, les grandes idéologies politiques et les thèses fumeuses de la mystique New Age...
Prix de la bande dessinée féminine
À 43 ans, Johanna Schipper, née à Taïwan d’un père sinologue et d’une mère hollandaise, a fait ses études à l’École Supérieure de l’Image à Angoulême. Sa véritable carrière d’auteure de BD, elle la doit à Delcourt qui publie la série Phostées (3 tomes, 2000), puis son album autobiographique Née quelque part (2004). Elle publié ensuite sous le label de Thierry Groensteen, L’An 2, sous le pseudonyme de Nina, son album Une par une (2005). Le suivant paraît chez Delcourt : Six Cygnes (2006), qui lui vaut d’être exposée à Beaubourg dans l’exposition « BD Reporters ».
Elle remporte surtout en 2008 le premier Prix Artemisia pour la bande dessinée féminine pour Les Âmes sauvages son premier album chez Futuropolis.
Avec sa touche délicate, son empathie pour ses personnages et son sens des atmosphères, Johanna apporte un ton d’une fraîcheur inédite qui méritait qu’on la mette en avant en cette journée dédiée aux femmes.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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