Pour quelques inconditionnels, un sacré paquet tout de même, “les X-men c’est John Byrne” ! Avant tout, et surtout. Exclusivement ?
Bien sûr, il y a eu quelques dessinateurs qui se sont illustrés sur les personnages, des très bons. Bien sûr, le parcours de Byrne sur la série date du passage des années 1970 aux années 1980, il y a une éternité, OK boomer. Évidemment, avec tout ce temps écoulé, la série actuelle ne ressemble plus vraiment à celle de ces années-là, du tout. Mais certains de ces épisodes sont restés dans l’Histoire des comics, et alimentent toujours la mythologie de l’éditeur Marvel Comics, que ce soit en livres, en jeux vidéo, en séries TV ou au cinéma. Alors...
Voilà qui correspond à la définition d’un passage marquant.
Disons-le : Byrne, c’est quelqu’un. Un ego, une star de la BD américaine, mieux une légende, à une époque le numéro 1, avec une horde de fans prêts à le suivre partout, ce qui fait qu’il a vendu des millions de comics. Une diva ?
Mais plus que tout c’est un professionnel d’une grande intransigeance, d’abord avec lui-même, un pur dessinateur de super-héros, pas forcément pertinent sur d’autres genres. Super-héros qu’il aime et connaît en long et en large, champion pour les mettre en scène, fanatique de la version des personnages donnée par les créateurs d’origine. Une autre raison pour lui de vociférer à tort et à travers.
John Byrne, c’est surtout quelqu’un de très déterminé et, extrêmement généreux, vraiment.
Donc Byrne revient sur les X-Men, après bien des frustrations, comme on va le voir. Comment une telle chose est-elle possible ? Cette histoire commence presque par inadvertance.
Le sémillant septuagénaire qui, depuis quelques années, a perdu le goût de faire de la BD, et a fini par arrêter, ne prend plus le crayon que pour réaliser de très lucratives commissions. Ces commandes de fans qui désirent une image spécifique avec divers héros et une certaine mise en scène. Négociées dans le cas de Byrne via un agent pour des sommes très rondelettes... Byrne est une star, et ça se paie.
Mais au bout d’un certain temps, lassitude encore ?, même le flux des commissions se tarit, le dessinateur semble ne plus donner de nouvelles, ou de manière sporadique, par le biais du forum de son site officiel, seul vecteur de communication que ce grincheux aux sorties verbales souvent mal comprises reconnaît comme légitime. Donc voilà que soudain quelques fans, dûment inscrits sur son forum, au détour d’une conversation anodine, devisent sur un possible retour du maestro chez Marvel Comics. Éditeur que Byrne a quitté avec pertes et fracas dans les années 2000, suite à l’annulation pour cause de restructuration éditoriale de sa série X-men:Hidden Years. Des histoires qui s’intercalent entre le dernier numéro de la série originale X-Men, le 66, de mars 1970, et sa relance en mai 1975, avec de nouveaux personnages.
C’est lors de cette relance que Byrne va faire des étincelles, avant de quitter la série, sur un coup de tête et hors de lui, exaspéré par ses relations avec son scénariste, le tout aussi légendaire Chris Claremont qui racontait avec son texte une autre histoire que celle dessinée par Byrne. Histoire pourtant, à la base, conçue en commun.
« Je me suis certainement fatigué de coécrire une chose, puis d’avoir Chris qui écrit autre chose. Cela va plutôt à l’encontre de la notion de "collaboration, s’indigne-t-il tout d’abord, avant de préciser : J’ai commencé à développer ce que j’appelle mes moments " Argh " - qui sont : " Jusqu’à quel point puis-je feuilleter un épisode publié, avant de voir "quelque chose qui me fait crier " Argh ! " ? »
Il y a eu ce numéro [X-Men # 140] où Colossus tire un tronc d’arbre du sol, et j’ai crié "Argh !" en raison de la façon dont Chris l’a écrit. J’ai dit : « D’accord, cela me dit évidemment qu’il est temps de partir. » Il part peu après, en 1981, dessiner les Fantastic Four, avec un immense succès, considéré comme un deuxième âge d’or pour les personnages.
Mais, après des passages chez l’éditeur concurrent DC Comics et dans l’édition indépendante dans les années 1980 et 1990, Byrne est encore une fois revenu chez Marvel. Cette fois pour combler les vides supposés de l’histoire des X-Men, laissés juste avant la fameuse relance de la série en 1975, qui relancera à son tour toute l’industrie des comics.
Cette série c’est X-Men Hidden Years évoquée plus haut, le dessinateur y retrouve un certain souffle. Elle va connaître une issue fatale, avec un Byrne qui part encore une fois furibard, et très virulent envers l’éditeur-en-chef, Joe Quesada, dont il insulte la mère. Voilà Byrne grillé chez Marvel pour longtemps, d’ailleurs il jure de son côté qu’il ne travaillera plus pour Marvel, jamais. Le temps passe...
En 2009, Chris Claremont, le meilleur ennemi de Byrne, a proposé une suite à sa série X-men de 1991. Celle planifiée avant son départ forcé de la série, après 17 années à faire vivre les personnages et les amener au sommet des ventes. Un départ qui fait suite aux affrontements avec l’éditeur-en-chef Bob Harras, qui préfère alors donner l’ascendant au dessinateur-star Jim Lee. Un retour de bâton pour Claremont. Une suite, qui se déroule cette fois dans un univers alternatif, titrée : X-Men Forever. Cette initiative du scénariste a fait long feu, mais elle est restée dans un coin de la tête de Byrne, un poil revanchard.
Alors donc, mi-juin 2018, des fans suggèrent à Byrne sur son forum (avec des pincettes, il est susceptible...) qu’un retour de sa part sur les X-men serait pour tous assez plaisant. Grand prince, et ce jour-là certainement de bonne humeur, autant que pour le simple plaisir, Byrne s’exécute, il fait un dessin : « Ce fil [de discussion] sur un retour à Marvel a créé une démangeaison que je devais gratter. Je me suis demandé si je pouvais encore dessiner pour l’encrage de quelqu’un d’autre. Voilà le résultat. » dira l’intéressé à ce moment .
« J’ai certainement trouvé que le goût du dessin pour faire de la bande dessinée, n’était pas entièrement mort en moi » répondra-t-il à un fan qui l’interroge sur ses sensations. Il se rappelle aussi, plus caustique : « Tu te souviens quand Chris faisait X-Men Forever, reprenant là ou il a quitté le livre ? Immédiatement, certaines personnes ont commencé à spéculer sur moi en train de faire la même chose : X-Men Evermore, qui reprend au point de propre mon départ... » (au numéro 143, en 1981).
Il enchaîne cette fois, presque gourmand, démangeaison quand tu nous tiens : « Mais tout à l’heure, j’ai pensé à quelque chose qui serait encore plus amusant. Pour référence, appelons-le "X-Men Elsewhen", reprenant à partir d’ X-Men 136, mais procédant comme si Jim Shoote [l’éditeur-en-chef de Marvel à ce moment, autre tête de turc de Byrne] n’avait pas posé ses gros sabots king-size dans les histoires ! Donc Jean, oui Jean, ne meurt pas, Scott ne part pas, tout un tas d’autres choses arrivent et n’arrivent pas (eh non, ce n’est pas scripté par Chris !). Ça n’arrivera jamais, mais c’est amusant d’y penser... »
Mais la machine s’emballe, à son corps défendant, on est auteur ou on ne l’est pas. Alors, ce vétéran des comics de Byrne constate, faussement agacé : « Malgré mes meilleurs efforts pour garder ces scènes aléatoires, mon cerveau fiévreux ne peut s’empêcher de construire une histoire globale. » Nous dirons tant mieux. Les réactions des fans sont enfiévrées, la nouvelle se répand comme une traînée de poudre, l’énergie est palpable. Une énergie qui se transmet à Byrne...
La machine est lancée, John Byrne dessine un épisode entier, puis un autre, le déroulement complet de l’affaire est à lire ICI, sur le site officiel de l’auteur, 291 pages, ça mériterait une autre période de confinement. Une mine pour qui souhaite comprendre les rouages du monde des comics, autant qu’un cours magistral sur l’art de la BD. Byrne est un maître, bien plus narrateur que dessinateur, même si...
Oui mais voilà, le chambard fait sur le Net par toute cette histoire finit par attirer le regard de l’éditorial, chez Marvel Comics. Partout l’annonce d’une possible publication de cette série par l’éditeur, potentiellement très lucrative, se répand... Byrne et CB. Cebulski, le tout nouvel éditeur-en-chef de Marvel, se rencontrent. L’idée fait son chemin, le dessinateur, débordant d’enthousiasme, se met au travail d’arrache-pied, fort d’une jeunesse semble-t-il retrouvée. Il livre un de ses meilleurs travaux, les X-Men seraient-ils ses personnages de prédilection ?
Las, le temps passe, des mois, Byrne reste sans nouvelle de Marvel. Il s’irrite, légitimement, encore un moment "Argh !". Enfin, accablé par la frustration, il décide de couper les ponts avec l’éditeur, alors que 190 planches sont dessinées, et de publier, de manière totalement gratuite, à raison d’une page par jour, la série sur son site officiel ! Comme c’était prévu dans sa tête au départ du projet. Une générosité incroyable.
Nous y voilà, prêts à la lecture : donc la série X-Men Elsewhen débute, juste après le mythique arc narratif The Dark Phoenix Saga, une des histoires les plus connues et les plus référencées de toute la BD américaine. Dans la version originale, celle publiée, Jean Grey (ou Gray) enfin vaincue, était lobotomisée et ramenée à l’état de conscience d’une enfant, pour contourner l’effet de l’emprise de l’entité cosmique maléfique : The Dark Phoenix. Ce, après de multiples péripéties et la destruction d’un système solaire habité, avec la mort de milliards d’habitants à la clé.
Une fin, la lobotomie, trop douce et facile pour Jim Shooter, le grand responsable éditorial de Marvel, qui finit par imposer la mort du personnage. Un véritable déchirement, et une empreinte indélébile dans le cœur des fans, bouleversés. Magie des grands narrateurs.
Byrne, donc, démarre sa version alternative, en partant du postulat que Jean est toujours vivante et lobotomisée…. Ce qui change toute la continuité de la série, voire une bonne partie de celle de la mythologie Marvel.
Tout ça pour arriver, tout doucement, à l’autre arc narratif légendaire de la série… Days of Future Past...
Un rêve éveillé pour les fans disions-nous... Pourtant John Byrne l’a fait. Ce grand moment de la BD américaine est à lire ICI->http://m.byrnerobotics.com/forum/forum_topics.asp?FID=6].
Chance pour les retardataires : la publication en ligne a commencé il y a plusieurs mois, vous avez une série de 11 épisodes à lire, le douzième commence ce lundi, Byrne, toujours aussi généreux et enthousiaste, a décidé de poursuivre l’aventure.
Délice supplémentaire : ces pages alimentent l’éternel débat qui oppose les amateurs de comics : Byrne est-il meilleur aujourd’hui que lors de sa première course sur les X-Men ? L’intéressé, forcément, se trouve meilleur aujourd’hui, parce que plus spontané et organique. À voir.
Bien sûr, les pages sont en anglais, mais c’est une excellente manière de tester votre "intelligence BD", puisque tout y est fait pour la compréhension, l’artiste est un remarquable narrateur.
Nous vous recommandons aussi la lecture des commentaires : autre cours magistral. L’art séquentiel n’ aura plus de secrets pour vous, ou presque. De plus, on peut voir le dessinateur retrouver ses marques, page après page, après une longue inactivité.
On devine aussi les moments où il est moins inspiré, on voit des disproportions, tout un travail de rattrapage à la charge d’un éventuel encreur, même si ces dessins sont, dans l’esprit de Byrne, destinés à rester en l’état. À côté, il y a aussi des pages où l’artiste est en état de grâce, meilleur que jamais. Un festival.
Profitez de ce grand moment de la BD, avec une œuvre en cours de réalisation qui défile en quasi direct sous vos yeux, interaction avec l’artiste comprise, une étape marquante pour le médium, à n’en pas douter.
Oui, un rêve éveillé. Tant que Marvel n’intervient pas...
(par Pascal AGGABI)
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