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Joseph Joffo : un destin en images

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 25 mars 2011                      Lien  
Futuropolis publie en deux volumes l’adaptation en BD d’« Un Sac de billes » (Scénario : Kris, dessins : Vincent Bailly), le best-seller de Joseph Joffo. D’autres adaptations de ses ouvrages biographiques devraient suivre, rencontre passionnée entre deux auteurs de BD et un personnage hors normes.

Salon du Livre de Paris. Il nous attend au restaurant Chez Drouant. Du haut de ses 80 ans, Joseph Joffo un colosse aux yeux bleus sur qui l’âge n’a semble-t-il pas de prise. L’homme a de l’assurance, de celle qui vous juge en un clin d’œil. Des journalistes, il en a croqué plus d’un. C’est un camelot-né capable de vous submerger par son enthousiasme. À ses côtés, Vincent Bailly et Kris sont des petits garçons ravis de voir s’animer en vrai le personnage dont ils se sont inspirés, plus grand que nature. Avec son accent de Titi parisien, jamais avare d’une anecdote, Joffo vous assène un numéro bien rôdé égrenant, en commerçant roué, les titres des différents livres qu’il a publiés – cela fait partie de son charme.

À 13 ans, le père de Joffo, issu d’une lignée de Juifs russes établis près de Moscou, est menacé d’être enrôlé dans l’armée du tsar. C’est le moment de prendre la poudre d’escampette et de traverser toute l’Europe, comme beaucoup de Juifs avant lui, de fuir cette « zone de résidence » où les pogromes sanglants se multipliaient, pour arriver à Paris où il trouve du travail comme apprenti-coiffeur chez un cousin de sa future épouse. Quand il rencontre sa femme qui quitta Odessa quand les canons du Potemkine tirèrent sur la foule, ils ont l’un et l’autre 18 ans.

Joseph Joffo : un destin en images
Couverture de l’album "Un Sac de Billes" (en librairie début avril 2011)
Ed. Futuropolis.

Destin tragique

La France avait profité de l’Affaire Dreyfus pour affermir la République. C’est un signe d’espoir pour de nombreux juifs européens. Mais cette émigration ravive le sentiment antisémite. La Révolution russe n’arrange pas les choses : Bundiste [1], le père de Joseph Joffo reçoit brièvement la visite de Léon Trotski, alors en exil, poursuivi par les sbires staliniens. Les autorités françaises repousseront de deux ans sa naturalisation pour avoir fréquenté un tel personnage subversif…

De l’antisémitisme de l’avant-guerre et de l’Occupation, une période qui marque sa vie, Joseph Joffo préfère se souvenir de ceux qui ont aidé ses coreligionnaires, comme l’évêque de Nice Monseigneur Paul Rémond qui sauva 527 enfants juifs pendant la guerre. « Vous rendez-vous compte, dit-il, qu’il n’y a même pas une petite rue à son nom à Nice. Il faudrait le dire au maire, Monsieur Estrosi, qu’il fasse quelque chose ! »
Les frères Joffo ne sont pas des enfants cachés, passant par les circuits juifs de protection de l’enfance comme l’Œuvre au Secours des Enfants (O.S.E.) : « On s’est démerdés tout seuls. Mon père n’avait pas le contact et il savait qu’on pouvait se débrouiller. » Leur mère est sur la même ligne : à 12 ans, elle avait vécu les pogromes d’Odessa. Elle avait fui vers Istanbul et retrouvé ses parents au bout de sept jours. Seule, à 13 ans… Violoniste, elle crée avec ses parents un orchestre tzigane qui fait le tour d’Europe. Elle aussi savait qu’on ne peut compter que sur soi-même.

Une planche du Tome 2 (à paraître)
(c) Kris, Bailly, Joffo, Futuropolis.

Une leçon de survie

Mais Joseph n’est pas seul, il y a son frère aîné Maurice : « À nous deux, on allait gagner la guerre. C’était Bibi Fricotin chez les S.S. ! Mais quand on a le revolver braqué sur soi par un type qui s’apprête à vous faire passer dans un autre monde dont certains disent qu’il est meilleur – et ce, sans preuve à l’appui, on se rend vite compte que ce n’est pas du cinéma ! On avait appris à survivre, c’est ce qui nous a sauvés. »

Cette même indépendance, il l’entretient vis-à-vis du divin : « Nous étions des juifs de tradition. Je ne crois même pas en dieu. Mon petit fils de 12 ans m’a dit : "- De toute façon, tu ne te trompes pas puisque Dieu est mort ! – Comment cela, il est mort ? – Mais oui, il a fait son Testament !" C’est aux hommes de le suivre, maintenant. Ce n’est pas dieu qui fait les guerres : les massacres d’Auschwitz, ce sont les hommes. »

Joffo est donc issu de ce Paris populaire où les juifs occupaient Montmartre –qu’il aime comparer au Bronx et où sont passées également les familles de Gotlib et de Goscinny, Belleville, ou encore le « pletzl » (la petite place en Yiddish) dans le Marais. Les deux fils deviendront coiffeurs comme leur père. Le salon des origines est devenu aujourd’hui un salon de coiffure… africain. Quand ils reviennent à la Libération, le quartier est décimé. Il ne restait que le boucher (Goldenberg) et le coiffeur. Le père des Joffo avait été assassiné par les nazis, mais leur mère a survécu, de même que leurs deux frères aînés revenus de Drancy grâce au fait que les Allemands n’avaient plus de train pour les envoyer dans les camps de la mort. Le 15 août 1944, ils sont libérés. Ils appellent un fiacre. Arrivés à Paris, sans une thune, ils disent au taxi : « Revenez vous faire payer dans trois jours ! » Les deux frères monteront la première chaîne de salons de coiffure de Paris, 15 établissements et 450 employés. Une extraordinaire réussite.

Vincent Bailly, Joseph Joffo et Kris. Complices.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Le temps de la mémoire

Pourquoi être entré en écriture ? « Quand on a vécu une aventure comme la mienne, explique-t-il, il y a un temps pour tout. Et le temps de la mémoire était arrivé pour moi. J’en avais assez d’expliquer à mes enfants où était passé mon père, disparu dans les camps. » Il a la fierté d’être «  le seul écrivain qui sache couper les cheveux… Pas forcément en quatre ! » Le Sac de billes est refusé par quatorze éditeurs et c’est Jean-Claude Lattès, ancien attaché de presse de Robert Laffont et éditeur débutant, qui le publie. Comme on sait, l’histoire fit le tour du monde.

Un film de Jacques Doillon (1975), des traductions en pagaille (dans 23 pays), plus de vingt millions d’exemplaires vendus, et même une version en BD pour Bayard (Sc. Alain Bouton, Dessins : Marc Mallès, en 1989) qui avait vendu 80.000 exemplaires. Ce dernier album n’avait pas démérité mais il faut convenir que ce diptyque permet de mieux prendre en compte le souffle épique de ce récit de survivants. La touche colorée et les plans audacieux de Vincent Bailly, de même que l’admiration respectueuse de Kris, ont enthousiasmé l’écrivain qui couve ses deux complices des yeux avec tendresse, comme un père.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Lire l’interview de Joseph Joffo par Nicolas Anspach.

Lien vers le blog de Vincent Bailly


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Illustrations (c) Kris, Vincent Bailly, Kris, Joseph Joffo & Futuropolis.

[1Le Bund ou Union générale des travailleurs juifs de Lituanie, de Pologne et de Russie, est un mouvement politique socialiste réunissant les juifs de Russie et de Pologne. Il représenta la minorité juive auprès des autorités tsaristes. Peu favorable aux thèses sionistes, ce mouvement joua un rôle crucial dans la Révolution d’Octobre. Mais, opposé aux communistes de Lénine et de Trotski, il fut éradiqué dans l’Union soviétique. Ensuite, la plupart de ses membres disparurent dans la Shoah.

 
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