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Joseph Kaï (Collectif Samandal) : « les BD de Samandal sont à cheval entre deux mondes »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 13 mars 2018                      Lien  
La scène de la bande dessinée libanaise est à l’image du pays : chargée d’une lourde histoire, éclatée en une multitude de genres, de façons, de cultures. Elle est surtout d’une incroyable vitalité. Rencontre avec Joseph Kaï, l’une des figures du collectif Samandal, creuset des talents libanais d’aujourd’hui, un dessinateur qui sera présent sur la scène BD/Mangas/Comics de Livre-Paris.
Joseph Kaï (Collectif Samandal) : « les BD de Samandal sont à cheval entre deux mondes »
La Nouvelle Bande Dessinée arabe, collectif aux éditions Actes Sud

Comment devient-on auteur de bande dessinée au Liban ?

Il suffit d’une envie, d’une décision et de beaucoup de travail.

Le Liban - comme d’autres endroits de la planète - est une source d’histoires inépuisable : son tissu social très complexe et hétéroclite, ses contradictions, son Histoire aux strates innombrables, etc. C’est aussi un endroit qui donne facilement accès à l’art, en l’occurrence à la BD. Ces conditions créent souvent une urgence. Celle de raconter en textes et en images.

Joseph Kaï à Livre-Paris 2018

Il existe aussi un cursus de BD à Beyrouth, à l’Académie Libanaise des Beaux-Arts. Le collectif Samandal organise souvent aussi des workshops d’initiation à la bande dessinée. C’est pour dire qu’au Liban, les personnes qui voudraient devenir auteurs/autrices ont la possibilité de suivre leur passion jusqu’au bout.
Il serait quand même important de mentionner qu’il y a peu de structures professionnelles soutenant la bande dessinée au Liban. Les collectifs et l’autoédition ont un rôle d’autant plus important qu’en Europe par exemple et une place plus grande à prendre dans le milieu.

Quelles sont vos influences ?

En ce moment, nous sommes quatre auteurs membres du collectif et avons souvent quatre avis différents sur les choses, y compris la bande dessinée. Nous apprécions rarement les mêmes références. Cela constitue une richesse de notre collectif : notre équipe n’étant pas le regroupement de personnes ayant les mêmes affinités. Par conséquent, nous n’avons pas les mêmes influences.

Je pourrais dire d’une manière générale que nous avons tendance à apprécier une grande partie de ce qui se fait dans le domaine de la BD alternative : nous aimons les récits politiquement et socialement engagés, la BD et la poésie, les nouvelles recherches dans le dessin, les techniques de narration inhabituelles, etc.

En quelle langue concevez-vous vos BD ?

En toutes les langues, mais surtout en arabe, français et anglais, les trois langues les plus parlées (parfois simultanément) au Liban.

Le principe est de publier les bande dessinées en la langue originale d’écriture, mais aussi, de trouver des moyens de traduction, pour donner la possibilité de lire à plus de personnes : ajouter une page de traduction après chaque BD, donner un livret de traduction avec les compiles, traduire sous les cases etc.

Notre compile la plus récente, Topie (préparée par Raphaelle Macaron pour les dix ans de Samandal, un objet spécial imprimé en risographie et sérigraphie) est publiée en trois langues chacune dans un livre indépendant. Ces trois versions restent quand même complémentaires pour ceux qui y trouvent les nuances. Par exemple : une BD muette d’Alex Baladi continue d’un livre à l’autre, il faut acheter les trois versions : arabe, française et anglaise pour pouvoir lire l’intégralité du travail.

La bande dessinée adaptée aux environnements multilingues est une grande partie de notre recherche, depuis la création du collectif.

L’édition en trois langues de "Topie" dont les couvertures sont dessinées par Jérôme Dubois.

Quelles sont les BD que vous avez publiées et comment peut-on se les procurer ?

De 2007 jusqu’à 2014 nous avons publié un magazine collectif trimestriel de BD ouvert à tout le monde : Samandal no.1 > Samandal no.15.

À partir de 2015, nous avons décidé de publier une seule compile par an. Cette compile est thématique et dirigée à chaque fois par un rédacteur en chef différent. Depuis, nous avons sorti quatre compiles : Généalogie (2014), Géographie (2015), Ça restera entre nous (2016) et Topie (2017). Ainsi que deux bandes dessinée d’auteurs : Utopia de Omar Khoury et Murabba wa Laban de Léna Merhej.

Nos livres sont en vente à Beyrouth, en France et en Belgique (distribués par Serendip-Livres) et en Suisse (distribués par Servidis).

"Beirut Strip extended" par Joseph Kaï

Quelle est la situation de la BD au Liban ?

En ce moment, la BD est un mileu particulièrement fertile et florissant au Liban. En 2017 ; un nouveau collectif s’est formé, Zeez Collective, publiant des mini-BD et des œuvres de formats différents. Ceci se manifeste beaucoup également au niveau des universités et institutions culturelles qui s’intéressent de plus en plus au 9e art.

L’Académie Libanaise des Beaux-arts a publié trois albums de BD en 2017. Des initiatives, comme celle de Moataz et Rada Sawwaf à l’Université américaine de Beyrouth, organisent des ateliers de bande dessinée ouverts au public, des symposiums où interviennent des chercheurs, historiens et théoriciens de la BD et un prix annuel pour le meilleure bande dessinée, celui de Mahmoud Kahil.

Racontez-nous comment s’est constitué le projet Samandal et qui en sont les principaux acteurs ?

En 2007, Léna Merhej, the Fdz, Hatem Imam, Omar Khouri et Tarek Nabaa ont fondé le collectif. Il a été conçu comme une ONG ayant comme objectif de participer au développement de l’art de la bande dessinée au Liban et dans le monde entier.

Samandal est le terme arabe désignant la salamandre. Tout comme cet amphibien, les BD de Samandal sont à cheval entre deux mondes : l’image et le mot, le divertissement et le sérieux, le sourcil bas et le sourcil haut, le traditionnel et l’expérimental…

La famille de Samandal s’est transformée depuis, de nouvelles personnes ont rejoint le collectif et d’autres sont parties. Actuellement, ce sont Léna Merhej, Barrack Rima, Raphaelle Macaron et moi-même les principaux membres du comité éditorial.

Apparemment, vous avez été victime d’une censure ?

Oui, c’est une histoire qu’on essaie d’oublier maintenant, mais qui reste importante.

Les détails de cet incident sont à consulter en toutes les langues sur notre site internet samandalcomics.org. Nous avons mis du temps à nous en remettre.

Aujourd’hui, parlons des choses positives. En 2016, et après la fin du procès de censure, Léna Merhej a préparé une compile intitulée “Ça restera entre nous”. Ce projet avait comme thèmes : la sexualité, la jeunesse et la poésie. Beaucoup d’auteurs et universités ont collaboré au projet. En parallèle à l’écriture de leurs BD, les participants ont été invités à participer à un symposium sur la censure. Ce fut un moment-clé du déroulement du projet puisqu’ils ont été poussés à penser avec des chercheurs, des avocats et des éditeurs, sur la question de connaître le rapport entre les censeurs et le public, mais surtout sur la façon de contourner la censure sans passer par l’autocensure.

Vous reconnaissez-vous dans le concept de "bande dessinée arabe" ?

Au sein de notre collectif nous avons des avis différents à ce sujet. À la base, qu’est-ce que “arabe” veut dire aujourd’hui ? Les pays arabes s’étendent sur un énorme territoire, depuis le Golfe persique à l’Est jusqu’à l’Océan atlantique à l’Ouest.

Les dialectes et les cultures peuvent changer radicalement entre les pays de cette région. Nous ne pouvons pas parler de styles communs, de langue commune (à part l’arabe littéraire rarement utilisé en BD aujourd’hui), de sujets communs (même la BD engagée, activiste ou reliée à la politique, n’est pas particulièrement limitée à cette région).

Nous pouvons considérer qu’en ce moment il existe des enjeux qu’on partage avec la scène de la BD en Egypte, au Maroc, en Tunisie, ou autres pays ; comme par exemple : la difficulté de se faire publier qui pousse les auteurs à former des collectifs (Samandal, Toktok, Skefkef, Lab 619, etc.), ou même l’absence de structures de distribution et de diffusion pour micro-éditeurs dans les pays des cette région.

Ces contraintes nous motivent à penser ensemble, à essayer de construire un marché ensemble là où les intérêts se rencontrent. Mais le concept "BD arabe", sonne quand même un peu faux, ce serait comme parler de BD européenne, latino-américaine ou nordique…

L’équipe actuelle de Samandal dessinée par Barrack Rima.

Est-il facile de se faire publier en France ?

Non, mais autant que pour les auteurs français. En réalité, nous sommes des grands fans de l’auto-publication. Les formats alternatifs comme les fanzines, les compiles, les cahiers auto-produits, etc. sont des sources très riches de talents et de nouveautés que les éditeurs et les grands éditeurs loupent très souvent.

Qu’attendez-vous des éditeurs francophones ?

Nous sommes conscients que les éditeurs francophones, comme les éditeurs du monde entier, cherchent souvent des sujets inconnus et ont des considérations relatives au marketing. Mais nous espérons que malgré cela, ils chercheront dans la BD libanaise actuelle le vrai talent et la force du propos plutôt que l’exotisme des sujets.

La BD libanaise d’aujourd’hui cherche de nouvelles formes de narration propres à elle. Une identité. Et cela pourrait enrichir cet art partout dans le monde, les frontières géographiques étant -on l’espère- moins présentes aujourd’hui.

Quels sont les auteurs libanais qui vous semblent incontournables ?

Plein, nous avons une liste de 70 auteurs libanais environ qui ont contribué à nos magazines et compiles. Tous ne font pas strictement de la BD. Nous pouvons citer à titre d’exemple des auteurs comme Michèle Standjofski, Mazen Kerbaj, Zeina Abi Rached, Tracy Chahwan, Georges Abou Mhaya, Fouad Mezher, etc.

Quels sont vos projets actuels ?

En ce moment, nous travaillons sur une nouvelle compile avec Alex Baladi comme rédacteur en chef. Un grand projet assez ludique, qui va plutôt dans le sens de la BD à contrainte. Un mouvement que nous aimons beaucoup mais dans lequel nous ne nous sommes pas encore suffisamment essayés.

Propos recueillis par Didier Pasamonik

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782330086701

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Joseph Kaï sera présent sur la scène BD/Mangas/Comics de Livre-Paris dans un débat intitulé LES NOUVEAUX VISAGES DE LA BANDE DESSINÉE ARABE, le lundi 19 mars 2018 de 17h00 à 18h00.

Dans le cadre de la grande exposition au Musée d’Angoulême sur la Nouvelle Bande Dessinée arabe, avec la collaboration de l’Institut Français, découverte des ces nouveaux talents orientaux, du Liban à l’Égypte, de la Tunisie et de l’Algérie au Maroc. Avec Salim ZERROUKI (100% Bled, Encre de nuit Editions), Joseph KAI (Collectif libanais Samandal), Farid BOUDJELLAL ("La Présidente", Les Arènes) et Thomas GABISON, éditeur de "La Nouvelle Bande Dessinée arabe" (Actes Sud).
Animé par Laurent Melikian

 
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