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Judith Forest : « L’authenticité n’existe pas, et ça n’a pas d’importance, puisqu’une émotion n’est jamais fausse. »

Par Morgan Di Salvia le 21 janvier 2011                      Lien  
Découverte de l’automne 2009 avec « 1h25 », un premier album introspectif et impudique, Judith Forest s’apprête à publier son second livre. De passage à Bruxelles, elle nous a accordé un entretien, pour nous parler du très attendu « Momon », dont des extraits seront révélés en avant-première à Angoulême.

Votre premier album a reçu un accueil critique exceptionnel. Comment digère-t-on pareil succès ?

D’abord, c’est complètement surprenant. On ne s’attend pas du tout à ça en faisant un premier livre. On est un peu dans l’ombre des plus grands, on se mesure à des choses qu’on a aimées. Mes lecteurs connaissent ma grande passion pour le travail de Fabrice Neaud. On se mesure aussi à de grands écrivains comme Proust, et on se sent minuscule ! Et donc, on vit le succès critique comme une imposture. Vraiment. Je l’ai vécu comme quelque chose de pas mérité, d’indigne même. J’ai pris ce succès pour une méprise et ça m’a beaucoup angoissée.

Vous avez livré beaucoup de votre intimité dans « 1h25 », est-ce que vos proches vous en ont voulu de les avoir mis en scène de la sorte ?

Comme j’ai un peu fréquenté le milieu de la bande dessinée, certains auteurs m’ont expliqué les problèmes et questionnement qu’ont eu à subir David B. ou Fabrice Neaud. Notamment en ce qui concerne la réception de leur œuvre autobiographique par leurs proches. Sachant cela, je m’attendais effectivement à des réactions très violentes. En réalité, je pense que la plupart de mes amis n’a même pas remarqué l’existence du livre. Par contre, je l’ai envoyé à mes parents, et là, j’en parle dans « Momon », ça a été dramatique. L’inverse de ce que je pouvais souhaiter. Je ne peux pas expliquer comment mon père et maman ont reçu « Momon » sans dévoiler une bonne partie du livre… Finalement, même en essayant d’éviter de traumatiser l’entourage : on n’y coupe pas. Quand on parle de soi, on parle de ses proches. Fatalement, dans nos propres vies sont impliquées les vies des autres. Et on ne peut pas ne pas blesser ! Ça c’est une grande leçon.

Judith Forest : « L'authenticité n'existe pas, et ça n'a pas d'importance, puisqu'une émotion n'est jamais fausse. »
"Momon", le second album de Judith Forest sera dévoilé en avant-première à Angoulême
© Judith Forest - La Cinquième Couche

Arrive le temps de votre second livre qui sera présenté en avant-première à Angoulême. Est-ce que ça signifie que vous viendrez défendre l’album lors du Festival ?

Mes éditeurs Xavier, William et Thomas [1], insistent beaucoup pour que je vienne. J’ai appris que « Momon » et « 1h25 » allaient faire partie de l’exposition consacrées aux indépendants belges.

L’exposition « Génération Spontanée » ?

C’est ça. À l’espace Franquin, il me semble. On a beaucoup insisté pour que je sois présente, et j’avoue que j’hésitais encore jusqu’à la semaine passée. Je viens juste revenir en Europe, après avoir passé un moment à New York. J’en ai parlé avec Fabrice Neaud, qui est devenu un ami proche, et c’est non, je n’irai pas à Angoulême. J’ai trop peur de me frotter directement aux gens. J’en fais des cauchemars. J’ai peur que l’on me prenne pour un imposteur, qu’on me perce à jour. J’ai toujours eu ce sentiment très ambigu de ne pas mériter d’être. De ne pas être du tout. Ça pourrait se voir sur mon visage, alors que ça ne se voit pas toujours dans mes dessins. Humblement, je dois avouer que si je ne vais pas à Angoulême, c’est que j’ai vraiment trop peur du regard des lecteurs.

Extrait de "Momon"
© Judith Forest - La Cinquième Couche

Vous doutez beaucoup, mais est-ce qu’aujourd’hui, l’expérience des deux livres réalisés, fait que vous vous considérez comme une véritable auteure, de chair et de sang ?

Aujourd’hui, je me sens plutôt bien. J’ai l’impression de n’exister que par mes livres. Véritablement. Dans le manifeste de La Cinquième Couche, qui est très naïf, très couillon, on voit que ça a été écrit quand mes éditeurs étaient très jeunes, il y a cette phrase qui dit qu’une émotion n’est jamais fausse. Donc, « 1h25 » a causé chez les lecteurs (qui m’en ont parlé ou qui m’écrivent) beaucoup d’émotions qui sont vraies, quoi qu’il en soit de la substance de mon être, dont je doute si fort. Grâce à toutes ces émotions que j’ai provoquées chez les autres, j’ai l’impression d’exister comme auteure. C’est quelque chose qui me fait un bien fou.

Extrait de "Momon"
© Judith Forest - La Cinquième Couche

Est-ce que le fait d’avoir rencontré Fabrice Neaud, dont Le Journal a été la véritable bible littéraire de vos débuts en bande dessinée, a été un grand choc dans votre vie professionnelle ?

En fait, ça a été un hasard épouvantable. C’est Xavier qui m’a emmenée, sans me prévenir que Fabrice serait là, au vernissage d’une exposition de Wim Delvoye, ici à Bruxelles. On m’a présenté Wim Delvoye et Fabrice Neaud en même temps ! Ça a été un choc, mais ça c’est terriblement bien passé. Je n’ai pas eu le temps d’être prête à cette rencontre et finalement, nous sommes devenus véritablement intimes. Il m’a rassuré, conforté et permis d’exister.

Extrait de "Momon"
© Judith Forest - La Cinquième Couche

Est-ce que vous ne pensez pas que la veine autobiographique en bande dessinée ne finira pas par agacer les lecteurs ? Vous êtes un peu la dernière créature du genre, mais peut-être qu’il y aura un moment de lassitude ?

Et bien, je pensais sincèrement que ce moment de lassitude était déjà là. Qu’on était déjà après ce qu’on a appelé l’autofiction en littérature et qu’on appelle l’autobiographie en bande dessinée. Je pensais qu’on était déjà au-delà ! Et le succès de « 1h25 », et je l’espère le succès prochain, enfin on verra, de « Momon », montrera que l’homme est un indécrottable sentimental et que le genre autobiographique a de beaux jours devant lui. Je ne peux pas m’empêcher de croire que ce sentimentalisme souvent frise la bêtise. Mais ça ne changera jamais.

Une dernière question rituelle pour conclure, même si j’ai déjà une idée de la réponse, quel est le livre qui vous a donné envie de faire ce métier ?

C’est évidemment le Journal de Fabrice Neaud. Je dois aussi citer Le Livret de Phamille de Jean-Christophe Menu, que j’ai découvert par l’intermédiaire de mes éditeurs, Les Contures de Mattt Konture ou les bouquins de Debbie Dreschler. J’ai appris récemment qu’elle ne savait pas elle-même si les souvenirs qu’elle raconte étaient vrai ou faux. Mais finalement, ça n’a pas d’importance que ça soit vrai ou faux. Ça n’a aucune importance que ce qui est raconté dans un livre autobiographique soit vrai ou faux. De toute façon, c’est comme quand on raconte un rêve. Dès le moment où l’on raconte un rêve, on lui donne une structure qu’il n’avait pas au départ. Quand on raconte sa propre vie, c’est la même chose : on fait toujours de la fiction. L’authenticité n’existe pas, et ça n’a pas d’importance, puisqu’une émotion n’est jamais fausse.

(par Morgan Di Salvia)

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A propos de Judith Forest, sur ActuaBD :

> 1h25

[1Xavier Löwenthal, William Henne et Thomas Boivin, qui sont les éditeurs de La Cinquième Couche

 
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6 Messages :
  • info ou intox, que Judith Forest n’existe pas ? Si cette rumeur est fondée, c’est rudement bien joué ! 1h25 était un coup de coeur, imaginer que tout cela est du vent devrait me décevoir : il n’en est rien, c’est encore mieux que le coup de Frantico / Trondheim.

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    • Répondu par narcisse le 7 février 2011 à  20:21 :

      C est confirmé depuis quelques jours que Judith Forest n’existe pas et que tout cela était du vent... On le sentait venir. Je me demandais pourquoi la supposé judith forest refusait de faire des séances de dédicaces. Je sais pourquoi maintenant.

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      • Répondu par Alex le 7 février 2011 à  22:49 :

        Et on attend toujours -avec impatience- la 1ère notice d’ActuaBd sur le sujet. Mais après une semaine de silence (même dans les brèves) je me demande ce qu’il se passe... Vous nous concoctez quelque chose, hein ?

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        • Répondu par ActuaBD le 7 février 2011 à  23:19 :

          Mmmmh. Relisez bien l’interview. Et ouvrez votre navigateur à partir de demain...

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          • Répondu par Cyrille JEAN le 8 février 2011 à  01:09 :

            Bravo, belle mise en abîme de l’article ....je me demandais à la première lecture, pourquoi les phrases de réponse étaient si étranges et énigmatiques ! Seulement, c’est la présence d’une photo qui trompe, qui entraine de suite une baisse des gardes critique du lecteur ... comme si l’image photographique ne pouvait pas trahir comme une texte ! Donc bravo à l’auteur, et bravo à vous si vous avez joué le jeu consciemment !
            ...comme au début de l’Or de Cendrars ..."Ceci est un texte à clef ..."

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  • Pas terribles les dessins, du crayonné vite balancé sur la feuille, pas très maitrisé et mal foutu, tout juste le niveau première année d’école de dessin.

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