Des articles critiques plus concis donc, pour laisser davantage de place à la parole des auteurs, ainsi que le précise Stéphane Beaujean dans l’édito de ce nouveau numéro. Et tant mieux, quand on voit la densité et la qualité des entretiens-fleuves qui y sont retranscrits.
La revue s’ouvre cependant toujours par la rubrique "Tendances" qui s’attache à faire entendre une autre petite musique concernant les grands pôles de la bande dessinée. De brefs billets, qui présentent la revue estivale, mais surtout expérimentale et limite artisanale Volcan, le projet un peu fou Bartkira, réécriture d’Akira avec le personnel des Simpson, et une réflexion sur la dynamique des conventions outre-atlantique à l’occasion du Comic-Con.
Suit le dossier consacré à Manara et composé d’un long entretien complété par une bande dessinée en deux planches du Maître, Ophélie 2000, particulièrement rafraîchissante. L’entretien, intitulé "Après l’érotisme", effectue une retour sur la carrière de l’auteur afin de mettre en évidence, tout au long de celle-ci, les influences qu’a pu subir Milo Manara.
Entre le Caravage, Moebius, Hugo Pratt et Federico Fellini, un paysage mental et artistique se trouve là comme recomposé, qui donne à voir et à comprendre de manière plus fine le travail du dessinateur. Passionnant, cet entretien revient aussi en détail sur l’élaboration du dernier ouvrage de Manara, Le Caravage, dont nous vous parlions ici.
Autres longs entretiens, menés par des duos étonnants qui plus est : le Canadien Seth interviewé par son complice le documentariste - et ancien de Dreamworks - Luc Chamberland, Blutch et Goossens discutant à bâtons rompus de leur art, de la conception qu’ils s’en font, ou encore Killoffer questionné par François Olislaeger à l’occasion de la sortie de Tel qu’en lui même enfin. Ces entretiens, menés dans un cadre et avec des intervenants particuliers, se révèlent précieux par l’exigence intellectuelle qui s’en dégage, le sentiment de confiance qui habite les interlocuteurs et une part d’intimité - de l’art des auteurs - qui en émerge.
Deux autres entretiens, plus classiques dans leur forme, mais exclusifs, nous entraînent du côté du manga. Celui avec Tetsuya Chiba, dessinateur de Ashita no Joe, devient l’occasion de revenir sur un tournant historique pour la société du Japon, et en particulier sa jeunesse, à la fin des années 1960 et au début des années 1970. La discussion est accompagnée d’éléments de contextualisation de la période, année par année.
L’autre entretien concerne non pas un vétéran du manga, mais l’un des nouveaux artistes en vogue, opérant dans un registre plutôt expérimental : Masato Hisa, auteur notamment d’Area 51 et de Jabberwocky récemment publiés en France. Captivants, les échanges, accompagnés de plusieurs planches à différents états de réalisation, s’attardent longuement et minutieusement sur la technique graphique déployée par le mangaka.
Si les articles critiques se font plus discrets, ils ne sont pas pour autant totalement absents de ce numéro. On trouvera ainsi un retour sur le Gang Mazda, une présentation savante de Basil Wolverton, maître de la SF injustement méconnu en France, et une analyse comparée de représentations de la ville de Cassis, prélevées chez quatre auteurs différents : Jijé, Chaland, Danier et Carrère.
Enfin, le numéro se clôt par la rubrique "Avant-premières" dans laquelle la parole est - à nouveau - donnée aux auteurs, pour évoquer un ouvrage tout juste paru à immédiatement à paraître. Cette fois, ce sont d’une part Thomas Gosselin pour Blackface Babylone et d’autre part le duo David Prudhomme et Pascal Rabaté pour Vive la Marée ! qui nous livrent leurs réflexions sur leurs nouvelles créations.
Panorama de la création BD perçue du point de vue de ceux qui la façonnent, Kaboom se révèle une nouvelle fois d’une richesse rare. Par sa formule faisant la part belle aux entretiens, la revue s’impose bien comme incontournable dans le paysage de la bande dessinée francophone.
Voir en ligne : La boutique en ligne de Kaboom
(par Aurélien Pigeat)
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Kaboom n°11. Août-septembre 2015. 7,95 euros.
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