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Katharine Cornwell - Marc Malès - Les Humanoïdes Associés

Par François Peneaud le 18 juin 2007                      Lien  
Un beau portrait de femme en perdition, où vie et fiction se mélangent intelligemment.

Katharine Cornwell réalise enfin son rêve : interpréter le rôle-titre de L’Étrange interlude, la pièce du dramaturge Eugène O’Neill créée quelques années auparavant, qui met en scène une femme en proie à la culpabilité, après sa décision de faire un enfant avec un autre homme que son mari, pour éviter le risque de l’atavisme qui frappe sa famille. Dans l’Amérique des années 30, ce n’est pas le plus évident des sujets. Alors Katharine pourrait être heureuse d’avoir été choisie pour ce rôle difficile. Pourtant, rien ne va. Elle semble un peu trop habiter ce rôle, et pas assez sa propre vie. Katharine semble froide et renfermée, mais elle est surtout triste et n’a goût à rien.

Avec cet épais album de 128 pages, Marc Malès dresse le portrait tragique d’une jeune femme à la psychologie torturée, et à la beauté rappelant celle de Katharine Hepburn. En plus des parallèles entre la pièce de O’Neill et les circonstances de la vie de son personnage éponyme, qui semble elle aussi sous le poids d’un secret qui la ronge, la construction de son récit est proche de celle d’une tragédie grecque, le lecteur sentant petit à petit s’accumuler les sombres nuages d’une inéluctable tempête. On pourrait regretter le caractère quelque peu prévisible de la révélation de certains aspects de la vie de l’héroïne, mais cela peut aussi être vu comme participant du mécanisme mis en place par l’auteur.
Sont également présentés plusieurs personnages ballotés par leurs désirs et leurs frustrations : l’ex-mari de l’actrice, partagé entre les restes de son amour pour son épouse et sa déception vis-à-vis de leur ancienne vie commune, l’habilleuse de l’actrice, dont la gouaille cache elle aussi des fêlures, ou l’acteur qui joue le premier rôle masculin de la pièce de O’Neill, attiré par Katharine mais qui ne sait comment approcher cette femme qui tient tout le monde à distance.

Katharine Cornwell - Marc Malès - Les Humanoïdes Associés

Le dessin de l’auteur est à la fois détaillé et fort du travail d’équilibre entre ombres (des esprits) et lumières (de la scène), de la reconstitution méticuleuse de l’époque, mais offre parfois de curieux choix stylistiques, comme ses corps à la verticale exagérée dans les cases où ils sont représentés en entier (alors que Marc Malès a un style généralement réaliste). L’un des aspects les plus convaincants de son travail est l’importance des cases en gros plans, où l’impassibilité de Katharine contraste grandement avec tous ces visages aux sourires quelques peu inquiétants et aux grandes bouches pleines de dents. La variété apportée par le mélange de dessin au trait et d’aplats noirs sans dégradé ramène à une esthétique du noir et blanc que l’on ne rencontre plus que rarement en bande dessinée, et semble à mille lieues des effets parfois tapageurs que permet la colorisation par ordinateur.

Katharine Cornwell n’est certes pas un album à lire un soir de déprime, mais la finesse psychologique de ce drame en fait un grand moment de lecture.

(par François Peneaud)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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