Comme en Turquie ou dans le Maghreb, il y a une longue tradition du dessin en Iran qui remonte aux miniatures persanes, sommet de l’art du Moyen-Orient. Mais, bien entendu, comme dans tous ces pays-là, la situation politique et les traditions religieuses pèsent sur le quotidien des créateurs.
Une BD pour le shah
Anecdote croustillante : du temps du shah d’Iran, les éditions du Lombard avaient été approchées par un proche du pouvoir pour réaliser une bande dessinée à la gloire du monarque. Un éditeur iranien prit les choses en main, le financement étant assuré par le gouvernement. On confia la réalisation de cette bande dessinée à Dino Attanasio, l’auteur du Signor Spaghetti. Selon un témoin de l’époque, plus de 100.000 albums avaient été imprimés et acheminés par train en Iran. Plusieurs wagons avaient été nécessaires pour les transporter. Malheureusement, la cargaison est arrivée exactement au moment de la prise de pouvoir de Khomeiny en février 1979. Pour ne pas avoir d’ennuis, l’éditeur détruisit l’intégralité du stock en toute discrétion. Peut-être l’auteur en a-t-il gardé un exemplaire…
Une "maison de la caricature"
Pour les auteurs iraniens en revanche, la situation est moins drôle : « En Iran, déclarait Kianoush à France Télévision, c’est impossible de travailler comme dessinateur de presse libre. Les caricaturistes sont étroitement surveillés par la Maison de caricatures de l’Iran, une organisation très puissante créée après la révolution islamique et toujours liée au pouvoir. Son chef, qui n’a pas changé, dessine dans un journal de caricatures appelé Keyhan Caricature, contrôlé par un parti islamique favorable au guide suprême. Comme lui, beaucoup de dessinateurs travaillent pour de grands journaux favorables au régime. Cela veut dire qu’ils en acceptent l’idéologie et qu’ils deviennent des instruments de propagande. Ils doivent pratiquer l’autocensure. Je ne les considère donc pas comme de vrais dessinateurs de presse. Le dessinateur de presse est un militant qui défend la liberté d’expression. » [1]
Ce sont ces mêmes gens qui organisèrent en mai 2015, dans le cadre de la Maison des caricatures financée par la Municipalité de Téhéran, un « concours de dessins antisémites ». C’est même un Français, Zénon, qui remporta le prix en juin 2016 pour un dessin qui vient d’être condamné par un tribunal français à de la prison avec sursis et à de fortes amendes (Zénon et Alain Soral ont fait appel de cette décision). La réponse des Israéliens a été hilarante : considérant qu’ils s’y connaissaient en matière d’antisémitisme, ils ont décidé d’organiser leur propre concours de dessins antisémites. Art Spiegelman et Uri Fink faisaient partie du jury…
L’exil
KIanoush a très vite maille à partir avec la Maison des caricatures. Il n’a plus de travail. Mais il continue à faire du dessin de presse notamment pour l’étranger et à exposer dans des galeries. En 2009, les grandes manifestations dénonçant la réélection de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence provoquent une répression contre les activistes politiques. Plusieurs proches de l’artiste sont arrêtés. Kianoush était le représentant en Iran de Cartoonists Rights Network International, une ONG dont le siège est situé aux États-Unis et engagée dans la défense des droits de l’homme. Sa position devient intenable. Il est contraint à l’exil.
Son dessin, très métaphorique et néanmoins incisif, commente au jour le jour la situation politique iranienne et internationale : les faux-semblants sur le nucléaire, les efforts du pouvoir pour interdire les réseaux sociaux sur Internet, les interdits religieux, la Légion d’Honneur accordée par la France au prince héritier d’Arabie saoudite, le conflit israélo-palestinien, sur l’écologie, les élections françaises et iraniennes, sur le petit Aylan, sur la liberté de la presse et Charlie Hebdo évidemment.
Kianoush et Charlie Hebdo
Kianoush connaissait Charb et Tignous, Luz aussi. Il a été terrassé par les attentats de Charlie Hebdo. Connaissant la réalité des fatwas, il les savait menacés. Pour ce militant de la liberté de la presse, les actions se sont multipliées.
Récemment, il était en résidence d’artiste au Mémorial de Caen. Kianoush est le président-fondateur de la « United Sketches » association internationale pour la liberté d’expression et pour le soutien des caricaturistes en exil.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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[1] "Le dessinateur de presse est un militant qui défend la liberté d’expression", propos recueillis par Benoit Zagdoun, 18/1/2015.