Il fait le tour du monde en quelques instants, disparaît aussitôt arrivé, incarne la générosité et est adoré par les enfants. Pourtant ce super-héros ne possède pas de franchise développant ses aventures en films ou en bande dessinée. Il s’agit bien entendu du Père Noël, et c’est en partant de ce constat que Grant Morrison s’est associé avec le dessinateur Dan Mora pour inventer les "origines secrètes" du mythe.
Voici que s’ouvre un récit d’avant les lutins et les jouets, avant le Pôle Nord et le rendez-vous annuel au pied du sapin. Voici que s’ouvre un récit où le rouge et le blanc sont les couleurs du sang dans la neige, une sombre histoire médiévale mettant aux prises un chasseur revenu dans une cité septentrionale qui ploie sous les impôts, les corvées et les lubies d’un tyran local.
Car la ville de Grimsvig semble bien triste à présent. La fête de Yule devrait réchauffer les cœurs, notamment ceux des enfants. Habituellement fête des vœux et des cadeaux offerts, cette année, Yule ne sera que labeur dans les mines pour les hommes et couvre-feu pour les femmes et les enfants. Ainsi en a décidé Magnus, époux de l’héritière, qui de surcroît confisque le moindre jouet au profit de son fils, l’acariâtre Jonas, reclus dans son château.
Devant cette injustice, Klaus, notre chasseur fort mal reçu pour son retour à Grimsvig, se découvre un pouvoir en communiant avec les esprits de la nature. Il sculpte la nuit quantité de jouets magiques qu’il distribue ensuite aux enfants des quartiers pauvres en évitant la garde de la ville désormais à ses trousses. Ainsi débute l’histoire de la plus célèbre livraison de jouets.
L’idée initiale de ce récit s’avère franchement formidable, inventer de la sorte un récit des origines à la figure mythique du Père Noël constitue bien une trouvaille et le travail autour des motifs attendus - cadre enneigé et jouets distribués - apparaît plus que convaincant.
D’autant que la bascule vers le versant adulte du titre implique un contraste assez saisissant sans dénaturer le matériau de base. Klaus, accompagné de son loup, lutte contre des soldats tandis qu’il est question de pouvoirs magiques, de malédictions et de forces obscures. Le cadre politique se présente sombre à souhait, entre de servage qui confine à l’esclavage, manipulation de masse et un goût prononcé par la plus banale cruauté. Le dessin de Dan Mora, mature et détaillé, soutient d’ailleurs parfaitement la tonalité installée.
C’est finalement au niveau de l’intrigue que le bat blesse. Celle-ci se révèle en fin de compte assez rudimentaire, pour ne pas dire grossière, avec des caractérisations de personnages certes volontairement archétypales mais qui peinent du coup à s’incarner aux yeux du lecteur. C’est un peu dommage mais c’était sans doute le prix à payer pour tenir ensemble d’une part le canevas traditionnel de Noël et d’autre part la construction d’un (Santa) Klaus "Badass" au possible.
On notera enfin que le titre, sorti dans la perspective des fêtes de fin d’année, paraît également dans une édition collector en noir et blanc. Reste donc à savoir quelle version le Père Noël placera dans vos souliers dans la nuit du 24 au 25 décembre.
(par Aurélien Pigeat)
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Klaus. Par Grant Morrison (scénario) et Dan Mora (dessin). Traduction Philippe Touboul. Glénat Comics. Sortie le 14 novembre 2018. 224 pages. 14 euros.