Quand Spirou publie Kogaratsu en 1983, les mangas n’existent quasi pas en France. Bosse et Michetz font là œuvre de défricheurs, fascinés par la qualité du dessin japonais et par une civilisation au raffinement extrême. Leur démarche est exactement contemporaine au Rônin de Frank Miller. Mais qui s’en souvient ?
Une certaine propagande bien de notre époque qui tentait de faire débuter l’histoire de la BD au début des années 1990 est probablement responsable du désintérêt de la presse pour une catégorie de BD publiées par les éditions Dupuis dans la dernière décennie du 20ème Siècle. Il faut dire que les succès de Largo Winch et des « gros nez » de Cauvin obnubilaient les commentateurs préférant s’arrêter à l’analyse de leurs chiffres de vente qu’au contenu de ces bandes dessinées populaires. Pourtant, l’époque est créative, presque autant qu’aujourd’hui et il est probable que l’on reverra un jour à la hausse les Spirou de Tome & Janry ou les Broussaille de Frank Pé, comme on regarde aujourd’hui avec davantage d’intérêt le Bidouille & Violette d’Hislaire ou la collection Aire Libre.
Michetz & Bosse sont du genre discret, pas vraiment à se pousser le col au Mercure d’Angoulême. Ils alignent depuis maintenant plus d’un quart de siècle les aventures de ce rônin magnifique qui a pour nom Kogaratsu. Le scénario de 44 pages est souvent trop peu dense pour faire une aventure au souffle épique, alors que cette saga le mériterait pourtant. Au mieux, évoque-t-elle le haïku par son caractère bref et évanescent.
Dans Le Protocole du mal, Michetz (dessins) et Bosse (scénario) envoient leur samuraï faire son boulot d’exécuteur de basses œuvres dans une île isolée où vit une jeune fille à l’esprit dérangé et… meurtrier. Mais avant d’accomplir sa mission, le rônin va tenter de comprendre la folie qui anime la condamnée. Il perçoit alors la profondeur abyssale de la nature humaine.
Les responsables de chez Dupuis seraient inspirés d’ouvrir les vannes et de confier davantage de pages à ces deux artistes à l’incomparable talent. Un Kogaratsu de 250 pages permettant une réappropriation de l’Extrême-Orient par l’Occident, voilà qui aurait été idéal.
Qui sait ? En manquant d’ambition pour ses auteurs, Dupuis nous a gaspillé un Frank Miller en puissance. Il n’y a pas que les historiens dévoyés et les critiques fatigués qui devraient lever le nez des chiffres de vente : les éditeurs aussi. Les talents n’en seraient que plus valorisés, en particulier ceux d’une certaine bande dessinée populaire.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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