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Kris : "La réussite d’une autobiographie réside dans le lien que le lecteur peut faire avec son propre vécu"

Par Nicolas Anspach le 12 août 2008                      Lien  
{{Kris}} aborde sa propre adolescence le temps de deux récits : {Les Ensembles contraires} et {Coupures irlandaises}.

Ll’auteur du best-seller Un Homme est mort est également un scénariste de fiction.Il explore les phénomènes paranormaux dans Le Monde de Lucie, une intrigue policière où les enquêteurs n’hésitent pas à faire appel à des spécialistes du psychisme humain pour percer le mystère d’une enfant.

La petite Margareth est l’unique rescapée d’un attentat qui a détruit un centre commercial. Elle est retrouvée sous les gravas, sans la moindre égratignure. Elle semble être plongée dans une sorte de coma. Lorsqu’elle sort de cet état, par intermittence, elle ne s’exprime qu’en russe. Les enquêteurs en perdent leur latin, et confient l’enfant à une agence spécialisée. Sacha, un spécialiste de la télépathie et des phénomènes paranormaux, est chargé de décrypter le mystère… Pendant ce temps, une jeune fille blonde et muette, probablement prénommée Lucie, apparaît à l’une des témoins de l’attentat. Soledad, une adolescente révoltée, vivant dans les squats, la prend sous son aile. Lucie et Margareth semblent être étrangement liées…

Kris, l’auteur de ce scénario riche et parfois trop dense, nous présente ses albums et ses projets… Ce scénariste ressemble à son double de bande dessinée qu’il anime dans Coupures Irlandaises et Les Ensembles contraires : attachant, généreux, profondément sympathique, volubile. Rencontre.


Vous avez publié Les Ensembles contraires et Coupures irlandaises, deux récits autobiographiques. N’êtes-vous pas un jeune pour vous raconter de la sorte ?

Je le serais si j’écrivais mes mémoires ! Mais je ne le suis plus assez pour rédiger mes souvenirs d’adolescent ! À trente-cinq ans, on a tous, à peu près, fait le deuil de son adolescence. Dès que je suis rentré d’Irlande du Nord, j’ai eu envie de raconter une histoire évoquant le conflit qui minait ce pays à cette époque-là. J’y avais été durant mon adolescence. Je voulais écrire une fiction. Et lorsque j’ai commencé à m’y atteler, je pensais utiliser plus d’éléments inventés. Toute l’histoire, excepté la fin, est basée sur ma propre expérience, mes propres souvenirs.
J’ai souhaité conserver une part de fiction pour la dernière partie de Coupures irlandaises. Mon ami et moi-même sommes passés à un cheveu du drame ! Mes faits et mon comportement n’ont pas entraîné de mort lorsque j’étais dans ce pays. Mais je voulais montrer qu’en trois minutes, à cause d’une connerie d’adolescent, une situation pouvait déraper et prendre des proportions dramatiques dans un conflit.

Kris : "La réussite d'une autobiographie réside dans le lien que le lecteur peut faire avec son propre vécu"Et les Ensembles contraires ?

C’est l’inverse ! Je voulais écrire une histoire totalement autobiographique ! Rien n’a été enjolivé ou transformé par rapport à la réalité, même si à certains moments, nous avons été obligés de prendre quelques raccourcis narratifs pour raconter en quelques pages des années complètes de vie ! Mon amitié avec Eric T, qui a cosigné le scénario, valait la peine d’être racontée. Plus on laissait le temps s’écouler, plus on s’éloignait de notre adolescence. Nous avons eu l’idée de réaliser ce livre en 1998, soit deux ans après la fin de la période que nous aborderons…

Pourquoi cette date ?

Le fils d’Éric est né cette année-là. Beaucoup de chose ont changé à partir de ce moment. Cela faisait un an que j’étais avec ma petite amie, la femme qui partage toujours ma vie. Les fameuses contingences de la vie d’adulte démarraient… L’année 1996 marque la rupture avec notre vie d’adolescent / de jeune adulte. C’était difficile, lors de l’écriture de ce livre, de retrouver notre état d’esprit de l’époque. Heureusement, les lettres que nous avions conservées nous ont aidés à nous en souvenir.

Se dévoiler de la sorte, n’était-ce pas délicat ?

Non. Ma trajectoire était assez balisée. J’étais un gamin issu de la classe moyenne, intéressé par les filles. Ce fut plus délicat pour Éric, qui a grandi dans une famille compliquée. Nous montrons dans le premier volume des Ensembles contraires qu’il a traversé des moments difficile. Mais il s’en est sorti ! De toute manière, un auteur raconte la plupart du temps sa propre vie à travers les histoires qu’il écrit. Mais il le fait de manière plus ou moins déguisée. Nous enlevons simplement le masque.
Nous avons eu beaucoup de chance que Futuropolis ait accepté de publier cette histoire. D’autant plus que nous n’avions pas de synopsis. J’ai raconté de vive voix le récit à Sébastien Gnaedig, notre éditeur. Nous avons écrit Les Ensembles contraires page après page, en improvisant et en nous remémorant les scènes les unes après les autres. Tout en sachant que nous risquions de rater ce livre.

Pourquoi ?

Même si je pensais que nos parcours méritaient d’être racontés, au fur et à mesure de l’avancement du livre, je perdais mon recul par rapport à cette histoire. Parfois je me demandais même si nous ne racontions pas une suite d’anecdotes, et pas une histoire intéressante. Je m’interrogeais aussi sur l’envie des lecteurs. Auraient-ils envie de s’investir dans ce récit. Tout le succès d’un récit autobiographique réside dans portes-ouvertes que laisse l’auteur pour que les lecteurs puissent établir des liens avec leur propre vécu !

Dans cette série, on est frappé par la fluidité de votre écriture par rapport au Monde de Luciequi était particulièrement dense.

L’écriture est effectivement différente. J’aime développer des one-shots qui sont basés sur des postulats simples tels que Coupures irlandaises ou Un Homme est mort. Le Monde de Lucie contient des intrigues imbriquées et de nombreux personnages. Je travaille pourtant de la même manièresur cette série pour baliser leurs passé et leurs psychologie. Sauf que je dois maîtriser vingt-cinq destins plutôt que trois ! En fait, ce récit doit être développé sur la longueur. Je dois encore maîtriser la technique du feuilleton pour développer l’intrigue dans cet axe-là. Je suis toujours épaté par la simplicité des récits de Jean-Michel Charlier et de Michel Greg. Ils maîtrisaient parfaitement cela…

Leurs récits contenaient un nombre limité de personnages.

N’oubliez pas que leurs récits tenaient en 46 pages. L’album demandait éventuellement une suite. Beaucoup de scénaristes sont aujourd’hui à l’étroit dans ce format.

Comment est né Le Monde de Lucie ?

Luc Brunschwig m’a parlé de son concept éditorial basé sur la prépublication d’une histoire scindée en livrets de 32 pages. Cela correspondait à mes envies. Le monde audiovisuel était alors marqué par le renouvèlement des séries américaines ! Je découvrais la qualité de l’écriture de Soprano, House, etc. J’avais envie d’écrire de la même manière que les scénaristes américains.
Guillaume Martinez m’a contacté pour travailler avec moi. Il m’a parlé de ses envies : une série qui se déroulerait dans un futur proche où des adolescents vivraient des choses étranges, voire fantastiques. Nous n’étions pas loin du paranormal. J’ai réalisé différentes recherches dans cette direction, lu de nombreux livres. Je me suis aperçu que ce sujet était intéressant, loin de l’image, proche du charlatanisme, que j’en avais au départ ! Le paranormal m’intriguait et était porteur de nombreux sujets de fiction…
Cependant, j’essaie dans Le Monde de Lucie, de me cantonner à un seul domaine. Le premier cycle se terminera à la fin du troisième tome. Si le public accroche à l’histoire, nous n’excluons pas de nous lancer dans un second cycle ou un album concluant la série. Nous explorerons alors un autre domaine du paranormal.

Extrait du "Monde de Lucie" T3
(c) Martinez, Kris & Futuropolis

On met du temps à comprendre qui est le personnage principal dans cette série.

Au départ, la série devait simplement s’appeler « Lucie ». Mais ce personnage est emmuré dans son monde et elle ne parle pas. Il est dès lors difficile pour le lecteur de s’identifier à elle. Sacha, le spécialiste du paranormal qui tente de percer le mystère n’est pas très charismatique. En fait, un personnage s’est révélé lors de la réalisation du premier album. Il s’agit de Soledad, une jeune ado. Ce n’était, au départ, rien qu’une figurante. Mais nous nous sommes attachés à elle et nous lui avons donné de l’importance dans le récit. Beaucoup de lecteurs s’identifient à elle.

Il paraît que vous prépariez un triptyque pour Frank Bourgeron.

Nous avons effectivement signé pour trois albums de plus de cent pages chez Futuropolis. Ce projet me demande tellement de travail que je vais les écrire dans la foulée sans m’accorder de pause ou me plonger dans d’autres séries, d’autres projets. Svoboda est basé sur une histoire réelle, qui raconte les péripéties de la Légion tchèque qui avait intégré l’armée Austro-hongroise durant la Première Guerre mondiale. « Svoboda » signifie « Liberté » en tchèque et ce terme était le cri de guerre de cette légion. Cette troupe s’est rendue aux Russes rapidement. Ils ont passé deux ans dans ce pays en tant que prisonniers. Finalement, les Russes ont accepté de les armer, de les scinder en deux divisions et de les intégrer à leur armée. Ils étaient ainsi 60.000 soldats à être incorporés à l’armée russe. Quand les soviétiques ont fait la paix avec les Allemands, ils se sont retrouvés en porte-à-faux. La Légion tchèque voulait continuer à les combattre. Ils décidèrent donc de rentrer dans leur pays par la mer. Ce voyage dura de 1917 à 1920. Pendant ces années, ils élisent leurs propres officiers, leurs propres chefs, et établissent les bases de la constitution de la future Tchécoslovaquie.

Recherches pour "Svoboda"
(c) Bourgeron, Kris & Futuropolis

Nous greffons trois personnages de fiction sur cette base réelle : un écrivain, un illustrateur et une comtesse austro-hongroise.
Cette histoire sera écrite comme un faux carnet de guerre et contiendra cent pages de BD et vingt-huit pages d’illustrations.

Vous préparez également une histoire avec Maël…

Oui. Notre Mère la guerre sortira à la fin de l’année 2009. En 1915, à la veille d’une offensive en Champagne, des femmes sont retrouvées assassinées sur les premières lignes. Un gendarme fait le lien entre ces crimes et l’existence d’une section d’enfants-soldats délinquants. Le coupable est probablement parmi eux car ce sont tous d’anciens prisonniers, condamnés pour des meurtres ou des viols. Ils ont bénéficié d’une réduction de peine car ils ont accepté de combattre au front ! Le gendarme, catholique et patriote, voit son enquête freinée par un caporal socialiste, issu du même village que lui …

Extrait du T1 de "Notre Mère la Guerre"
(c) Kris, Maël & Futuropolis

Quels sont vos autres projets ?

Une adaptation d’une œuvre littéraire pour Futuropolis. Mais je ne peux pas encore vous dévoiler le titre du roman. Sinon, je réfléchis à un long documentaire sur une troupe de théâtre ouvrière. Je participe aussi à Destins, la nouvelle grande aventure menée par Frank Giroud. Il a réuni une poignée de scénaristes pour un projet commun [1].

(par Nicolas Anspach)

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Lire les chroniques de :
- Les Coupures Irlandaises
- Les Ensembles Contraires
- Un Homme est Mort
- Toussaint 66
Lire une autre interview de Kris : "Lucie contient des intrigues à tiroirs multiples (Mai 2006)

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Photo : (c) Nicolas Anspach

[1NDLR : Les scénaristes pressentis : Philippe Bonifay, Eric Corbeyran, Pierre Christin, Kris, Florent Germaine, Virginie Greiner, Pierre Makyo, Valérie Mangin, Matz et Frédéric Richaud, Rodolphe et Frank Giroud, bien sûr.

 
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