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Kroll : "Ce n’est pas la religion le problème, ce sont les fanatiques."

Par Christian MISSIA DIO Nicolas Anspach le 13 janvier 2015                      Lien  
Pierre Kroll est l'un des caricaturistes belges les plus populaires. Contributeur dans de nombreux journaux et périodiques en Belgique tels que {Le Soir, Télémoustique} ou encore {Ciné Télé Revue}, ses dessins sont aussi publiés dans {Courrier International.} Il est membre de Cartooning for Peace, l'association créée par Plantu et Koffi Annan et dont le but est de promouvoir la paix à travers les échanges entre différents dessinateurs de presse à travers le monde. Kroll, comme d'autres dessinateurs de presse et de nombreux journalistes belges était présent à Bruxelles dans la galerie The Cartoonist le 8 janvier dernier pour l'hommage rendu à {Charlie Hebdo.}

L’attentat contre Charlie Hebdo survenu le 7 janvier dernier à Paris est à mettre en lien avec le problème des jeunes Occidentaux partis pour faire le djihad en Syrie et en Irak. Vous n’êtes pas sociologue mais caricaturiste. À travers votre travail, vous portez un certain regard sur notre société. Qu’est-ce qui selon vous pousserait ces jeunes à commettre de tels actes ?

Il y a parfois des questions faciles dans les interviews car les réponses sont très simples mais, dans ce cas-ci, je n’en sais rien. Je ne comprends pas comment on peut avoir autant de haine en soi.

La seule réponse que je pourrais utiliser, c’est d’employer le mot “mondialisation”. Nous vivons dans une société mondialisée et c’est une bonne chose à des tas d’égards. On ne reviendra pas en arrière. Les gens qui veulent se replier sur eux-mêmes, sur leur culture, je pense à Marine Le Pen, je pense à plein d’autres, à des partis fascisants en Grèce et en Hongrie, le feront peut-être... Ils perdront tout à le faire mais la vie les renverra vers la réalité. Nous allons vers une grande nation mondiale.

Il y a des gens qui ont envie d’un monde avec des femmes soumises et sans aucune liberté pour personne. D’autres veulent le contraire et je fais partie de ce camp-là, et c’est cette guerre-là qui se passe en ce moment. Il y a des jeunes de chez nous, comme vous dites, qui ont envie d’aller faire la guerre. Ils veulent un monde soumis, sans avenir et sans culture, rétrograde. Mais voilà, il faut vivre avec et lutter contre eux. Il faut les persuader que l’autre monde, que moi je veux ,est meilleur mais je ne sais pas pourquoi cela ne marche pas.

Kroll : "Ce n'est pas la religion le problème, ce sont les fanatiques."
Dessin de Kroll
(c) Kroll

Vous venez de citer Marine Le Pen, la présidente du Front National. Ne pensez-vous pas que cette personnalité politique pourrait être la grande gagnante de cette tragédie ? Par ailleurs, elle cherche à changer l’image de son parti. Elle vient d’accueillir Sébastien Chenu, un transfuge de l’UMP et militant pour la cause des homosexuels [1] dans son Rassemblement Bleu Marine. Ne pensez-vous pas que stigmatiser ce parti, c’est le renforcer, c’est faire son jeu ?

Franchement, je ne sais pas quoi faire pour lutter contre le Front National. Nous, caricaturistes, sommes beaucoup plus modestes. Nous savons pertinemment qu’un dessin ne changera pas le monde. Et qui plus est, je ne suis pas français. J’ai cité Marine Le Pen parce que j’ai entendu qu’elle réclamait le retour de la peine de mort suite à cette attentat. Elle profite de la peur des citoyens français. Plus les gens ont peur, plus ils votent pour eux. Ce qu’il faudrait faire c’est réussir à ne plus avoir peur.

Pensiez-vous que dans nos pays occidentaux, un dessinateur, un caricaturiste pouvait mourir un crayon à la main et une balle dans la tête ?

Bien sûr que non. J’ai longtemps pensé que non mais je connais des dessinateurs qui vivent dans des pays où ils ont de nombreux problèmes avec leurs gouvernements. Ce n’est pas nécessairement des pays arabes. Je peux citer le cas de la caricaturiste Rayma Suprani au Venezuela, par exemple. Il y a d’autres pays où la religion a beaucoup d’importance et où les radicaux souhaiteraient qu’elle en ait encore plus, ce qui fait que ces artistes ont beaucoup de soucis à faire leur métier. Et je peux vous dire que les menaces de mort sont pour eux quotidiennes.

Je ne fais pas la différence entre les cinq dessinateurs de Charlie Hebdo et les journalistes qui perdent la vie chaque année partout dans le monde. Pour moi, ils ont rejoint tous ces journalistes algériens assassinés durant la décennie noire dans les années 1990. Pourtant, ils étaient aussi musulmans. Donc, ça montre bien que ce n’est pas la religion le problème, ce sont les fanatiques. Et je n’ai malheureusement pas la solution à ce problème.

Pensez-vous que l’on vient de vivre le 11 septembre de la culture et de liberté de pensée ?

Bien sûr. Tout le monde emploie cette expression pour décrire ce qui s’est passé depuis mercredi. C’est même un nouveau 11 septembre car toutes les victimes des tours de New York, du train à Madrid et du métro de Londres sont mortes à cause des même personnes.

L’attaque contre Charlie Hebdo est un événement plus symbolique car il n’y a pas eu des milliers de morts mais ce journal était le fer de lance, la proue du navire. C’était le journal qui allait le plus loin. Les dessinateurs qui sont moins provocants sont ainsi parce qu’ils travaillent pour des journaux dont la provocation n’est pas la vocation première.

En tant que caricaturiste, partagez-vous le point de vue Charlie Hebdo de faire des dessins aussi corrosifs ?

Nous, caricaturistes de presse, avons tous mais à un degré différent la même chose en nous. Partout dans le monde et pour certains, il faut beaucoup du courage pour exercer leur métier. Nous sommes tous des gamins impertinents qui se font punir parce que nous nous moquons du prof et qui continuent à faire ce qu’on leur interdit de faire. Tous les dessinateurs de presse sont différents, tout comme les journaux.

Certains sont plus irrévérencieux que d’autres. Certains publient plus de dessins que d’autres. Par exemple, Le Canard enchaîné n’est pas Charlie Hebdo. D’ailleurs, Le Canard enchaîné a une très belle devise : "la liberté d’expression ne s’use que si on ne s’en sert pas". Nous sommes là pour user cette liberté d’expression mais pas forcément pour outrer ou choquer. Ça, c’est la marque de fabrique de Charlie Hebdo. C’est ce qui fait son essence et c’est ce que recherche son lectorat. Moi, je dessine pour le journal Le Soir et nous avons une autre philosophie.

Aujourd’hui, suite à cette tragédie, il ne faudrait pas que tous les journaux se mettent à faire du Charlie Hebdo. Les dessins les plus dangereux vis-à-vis des islamistes qu’ils ont pu faire c’était quand il y avait une actualité. Ils ont fait des milliers de dessins sur d’autres sujets. Ils ont eu des tas de procès avec l’église catholique suite à leurs nombreuses caricatures. Les dessins contre l’islam radical étaient dans la logique de ce journal. Mais cela ne doit pas signifier que tous les caricaturistes doivent faire des dessins sur l’islam juste pour se dire : "moi aussi je peux le faire", au risque de choquer des millions de Musulmans à travers le monde, qui n’ont rien à voir avec les intégristes.

Documents

Voir en ligne : The Cartoonist

(par Christian MISSIA DIO)

(par Nicolas Anspach)

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Photos : Nicolas Anspach

[1Il a cofondé Gaylib.

 
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