Alors qu’aux États-Unis, avec la mort de George Floyd, le pays fait face à des manifestations et émeutes si généralisées qu’on lit parfois dans la presse le mot "révolution", le Label 619 démontre encore une fois de sa remarquable capacité à marquer les esprits avec un 15e volume de Doggy Bags précisément consacré à ces maux endémiques de l’Amérique. Si l’on ne connaissait pas le temps nécessaire à la conception et à la réalisation d’une bande dessinée, on pourrait presque croire que l’actualité et ce livre sont liés...
Comme d’habitude avec Doggy Bags, on retrouve trois histoires indépendantes signées d’auteurs variés mais tous ayant déjà eu affaire à la maison d’édition Ankama. Avec Run au scénario de deux d’entre elles, on plonge avec plaisir dans le caractère gore caractéristique de la série qui sait comme nulle autre nous donner des sueurs froides et quelques cauchemars au passage.
Dans la première histoire, Manhunt, on suit le combat de Sydney, un afro-américain traqué par un groupe de suprémacistes blancs sans pitié. Mais dans les mangroves de la Nouvelle-Orléans, lui et ses bourreaux devront affronter une menace plus violente encore... Klobcar, l’auteur de l’histoire, signe un thriller haletant qui nous tient de bout en bout et nous prend aux tripes, littéralement.
Ensuite, Run au scénario et Chesnot au dessin nous narrent Conspiracism, une peinture glaçante du complotisme aux États-Unis. En partant d’une fusillade tragique, les auteurs nous montrent les dangers du conspirationisme, un fléau qui frappe toutes les démocraties et encore plus particulièrement les USA. Une part importante de la critique de l’histoire est portée sur le rôle des médias dans la fabrication des théories du complot, avec quelques piques bien senties à l’encontre de certaines chaînes d’information connues pour leurs approximations dangereuses. Un célèbre polémiste français ferait bien d’en prendre de la graine...
Enfin, Héritage, la troisième histoire signée Run au scénario et Gasparutto au dessin, raconte le fléau du suprémacisme blanc américain et le cercle vicieux de la haine. En reprenant le thème déjà bien usité par Doggy Bags de la vengeance, la proie devenue prédatrice et la maxime "combattre le mal par le mal", les auteurs nous rappellent que tôt ou tard, les victimes cherchent toujours la vengeance.
Le tout est, comme d’habitude avec le Label 619, emballé dans une édition des plus soignées, riche d’éléments extra-diégétiques aussi inventifs que bien pensés (les fameuses planches de fausses-pubs en rapport avec l’histoire à venir). Avec Mad in America, on tient l’un des numéros les plus marquants de Doggy Bags, et assurément une lecture importante par les temps qui courent.
Sans jamais tomber dans un manichéisme malvenu ou dans une moralisation à outrance, les auteurs nous invitent à la réflexion sur ces questions ô combien essentielles, réflexion qui prend encore plus de profondeur quand elle est mise en perspective avec l’actualité. Le suspense, les frissons et l’horreur vendus sur la couverture sont en effet de très bons vecteurs pour ce type de message...
(par Jaime Bonkowski de Passos)
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"Doggy Bags T. 15 : Mad in America" - Collectif - Label 619 - 29/05/2020 - 120 pages - 13,90€.