Comment ne pas « divulgacher » (le mot français pour « spoiler », je l’ai découvert en écoutant Riad Sattouf hier sur Quotidien) le contenu du livre ? En utilisant des périphrases sibyllines du genre « Ce livre raconte l’histoire vraie d’un adolescent plus du tout blond, de sa famille franco-syrienne et d’un fantôme… » C’est ce que l’éditeur a écrit sur la 4e de couverture.
Quand on connaît depuis longtemps le travail de Riad Sattouf, que l’on a lu La Vie secrète des jeunes, Le Manuel du puceau (l’un et l’autre à L’Association) et Retour au collège (Hachette) ou vu le film Les Beaux Gosses, on imagine bien ce qu’il arrive au jeune Riad à 14 ans en classe en Bretagne, à Plévenon au Cap Fréhel puis à Rennes.
Les difficultés avec son père dans le contexte du divorce de ses parents, ses complexes d’ado mal dégrossi, ses relations compliquées avec ses camarades de classe, avec les filles, avec les racailles du quartier… mais aussi avec la culture qu’il acquiert petit à petit à travers les sollicitations de ses copains, de sa famille, entre peur et attirance pour la virilité, rivalités et cogitations personnelles, nous accompagnons pas à pas un homme qui se construit.
Ce qui est formidable avec Riad Sattouf, c’est cette intelligence teintée d’ironie qui sollicite tous les sens et toutes les émotions. Ainsi observe-t-il « l’air sentait la pluie fraîche et le gaz d’échappement » du centre-ville de Rennes, l’odeur « de sueur et de lavande » de sa copine Anaïk qui étudie le violoncelle, la petite musique de Tetris sur la GameBoy, le partage entre ados de Nirvana, NTM, ou Slayer, le reniflement de la contrariété de son père que Riad finit par adopter par mimétisme, le frisson pour le surnaturel et la lecture d’Alan Kardec qui constituent un point commun avec sa mère, courant les voyants et faisant la bigote lors d’un pèlerinage à Lourdes, la nourriture spirituelle que constituent les BD de Moebius, de Druillet et de Bilal découvertes dans la bibliothèque du père graphiste d’Anaïck puis empruntées en bibliothèques ou achetées d’occasion, son identification lointaine à l’arabe fou, auteur du Necronimicon, Abdul Al-Hazred, syrien comme lui, évoqué dans les romans de Lovecraft...
Les religions de son père et de sa mère et leur rapport, pétri de patriarcat, à une sexualité réprimée percutent l’athéisme militant de ses grands-pères, l’un rationnel féru d’aviation, l’autre jouisseur dans le plus simple appareil emmenant son petit-fils sur une plage nudiste.
Il y a tout cela dans le dernier livre de Sattouf et plus encore : tracée dans une sorte de Ligne claire, sa complexité, sa sensibilité et sa subtilité sont à l’encontre de l’air du temps qui s’abreuve de punchlines et d’idées simples. Ce qui fait de Riad Sattouf un auteur essentiel à lire par les temps qui courent.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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