Cela faisait plusieurs années que Stéphane Beaujean et le Festival de la Bande Dessinée pensaient faire quelque chose autour de Morris, les 70 ans de Lucky Luke leur en ont donné l’occasion.
Comme nous l’avons expliqué déjà, les éditions Dargaud ont décidé de mettre la sulfateuse cette année avec un nouveau Lucky dessiné par Achdé et scénarisé par Jul qui doit sortir en novembre 2016, deux albums de "Lucky Luke vu par..." dessinés et scénarisés par Bonhomme et Bouzard, une nouvelle série de dessins animés de Lucky sur M6 à partir de juin 2016 et un documentaire sur Arte en octobre 2016, un mois avant un lancement qui est annoncé comme "massif". Et pour inaugurer ces "septante ans" exceptionnels, un beau livre, dont nous avons déjà parlé, et une exposition, L’Art de Morris, que nous sommes allés voir cette semaine.
La caractéristique de cette exposition est que, pour la première fois, vont nous être montrés une série de près de 150 originaux de Morris. C’était une gageure car, de son vivant, Morris n’a jamais voulu prêter ses originaux à une quelconque exposition, allant jusqu’à susciter la fabrication de faux pour éviter de prêter ses documents. Les seuls dessins sur le marché sont des documents perdus ou volés, rarement donnés, qu’il n’avait pas pris soin de récupérer. C’était même parfois embarrassant : ainsi dans une exposition au Centre Belge de la Bande Dessinée en juin 2010, un dessin original côtoyait des planches -nommons-les pudiquement "d’atelier"- qui n’étaient pas de la main du maître, mais qui nous étaient vendues comme telles...
Où étaient ces planches ? Dans un coffre où les commissaires de l’expo, Stéphane Beaujean et Jean-Pierre Mercier, sont allées les chercher : "En mars-avril, on a pris le Thalys jusqu’à Bruxelles, raconte Mercier. On s’est précipités avenue Louise, je ne vous dirai pas le numéro, dans une banque. On nous a fait entrer dans un bureau et là, il y avait deux personnes qui nous ont demandé ce qu’on voulait voir. Parce que tout est dans un coffre de la banque. Morris avait donné quelques rares planches, quelques-unes ont disparu, mais il n’a jamais vendu. Il y a donc tout. On a commencé avec Arizona 1880 de 1946 et on a fini sur les planches inédites de la dernière histoire sur laquelle l’auteur travaillait quand il est mort en 2001. On a eu assez peu de temps pour faire le choix car les horaires de banque étaient un peu compliqués, mais c’était une expérience formidable."
Et la voici donc, cette expo qui va des premières planches de l’artiste, très influencées par le dessin animé de Disney jusqu’à ces planches ultimes dont une scène de nuit en ombres chinoises qui ne sont pas sans faire penser aux Idées noires de son ami Franquin...
Au passage, on admirera les différentes évolutions de son travail avec les indications couleurs (Morris ne fera jamais les couleurs lui-même ; ce sont sur ses indications que se font les fameux partis-pris chromatiques qui ont fait sa réputation), les pages de sa période américaine, quand il habitait New York, réalisées sur du papier Doubletone [1], l’usage des trames Letraset à partir des années 1960, et surtout un dessin d’une grande clarté, magnifiquement stylisé, réalisé quasiment sans repentir avec juste un léger crayonné que l’on devine sous une mise à l’encre faite d’un pinceau virtuose. Une leçon de dessin !
Nos commissaires ont mis en évidence sa science du noir, ses démêlés avec la censure, son "gaufrier" de cases régulières et puis ces motifs rémanents, les cercles et les croix, qui parcourent toute son œuvre. Une visite-enfants est également prévue qui s’arrêtera à chacune de ces étapes.
Il faudra ne pas éviter les vitrines où les commissaires ont exhumé les jouets que Morris fabriquait pour son plaisir, des dispositifs ingénieux en bois que Morris créait "pour se détendre", mais toujours avec ses personnages : Lucky Luke, Jolly Jumper, les Dalton... Des objets qui révèlent parfaitement ce créateur qui, sa vie durant, a su cultiver sa part d’enfance. Un must !
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Lire aussi :
"2016, année Lucky Luke"
Jul, nouveau scénariste de Lucky Luke
Exposition L’Art de Morris
présentée du 28 janvier au 18 septembre 2016
Musée de la bande dessinée
quai de la Charente - Angoulême
Commander L’Art de Morris chez Amazon
Commander ce livre à la FNAC
Commander Phil Defer Fac-similé chez Amazon
Commander ce livre à la FNAC
Lucky Luke sur le site de Dargaud
Le site officiel de Lucky Luke
La page Facebook de Lucky
[1] Ce papier à dessin fabriqué aux USA, permettait d’apporter des grisés par deux jeux de trame que l’on faisait apparaître au pinceau avec un révélateur chimique. Très en usage chez les auteurs de comics, le procédé est rare en Europe. Cependant, Polonius de Tardi & Picaret (Futuropolis) a été réalisé entièrement avec ce procédé qui n’est plus en usage aujourd’hui, le fabricant ayant abandonné la production de ce produit.
Participez à la discussion