BD d’Asie

L’Attaque des Titans (1/6) : Naissance d’un phénomène

Par Pascal AGGABI le 3 août 2015                      Lien  
Dans un feuilleton passionnant de Pascal Aggabi, découvrez "L'Attaque des Titans" de Hajime Isayama, le phénomène du moment, actuellement en librairie et sur nos écrans, ou comment faire des aller-retour profitables entre le manga et ses dérivés pour mieux imposer un univers qui transcende les codes du manga.

L’Attaque des Titans vous connaissez forcément. Comment ça, vous ne connaissez pas ? C’est pourtant la dernière énorme déferlante qui déboule de l’empire du Soleil Levant, le Japon. ActuaBD.com vous avait déjà parlé plusieurs fois de cette série dessinée au scénario implacable, d’abord avec Before The Fall, une série dérivée de ce nouveau phénomène éditorial nippon ; ensuite par le biais d’un autre bel article d’Aurélien Pigeat qui se penchait sur la stratégie éditoriale développée pour cette univers par l’éditeur Pika. Bon, d’accord, disons qu’en ce moment vous n’avez plus toute votre tête : les vacances, les petits soucis, tout ça... Tout juste l’aviez-vous vu passer en deuxième partie de soirée sur France 4 après Teen Wolf... Alors, justement : petit cours d’été de rattrapage.

L'Attaque des Titans (1/6) : Naissance d'un phénomène
Eren face au Titan Colossal en version animée. En juillet 2013, le titre dépasse les 22 millions d’exemplaires vendus. Merci l’anime ! cette version est supervisée par Tetsuro Araki, qui s’était déjà illustré sur"Death Note". Elle est écrite par Yasuko Kobayashi. le Charac design des personnages est fourni par Kyoji Asano. La série est produite par Wit Studio Inc., en collaboration le réputé studio Production IG anime Inc. Elle a raflé l’ensemble des prix des Newtype Anime Awards 2013.
© Wit Studio Inc./Isayama

Magnanimes que nous sommes, on vous rappelle l’argument du manga en question : plus d’un siècle après l’apparition de mystérieux titans mangeurs d’hommes entièrement dénudés -pour ne pas dire plus- et affreux comme pas permis, l’humanité, soudain menacée et presque entièrement décimée par ces créatures gigantesques, vit, pour se protéger, dans une succession décroissante de cités-forteresses, entourées de trois immenses murs concentriques de 50 mètres de haut, sur quinze de large. Ouf. Les descendants-cloisonnés de ces rescapés-constructeurs-de-murs, qui ignorent tout du monde extérieur, se pensent maintenant à l’abri. Un trop-plein d’optimisme, vraiment !

Un manga phénomène

Un jour, en l’an 845, un colosse atypique apparaît. Peut être pas plus gastronome mais en tout cas nettement plus grand que les autres, il ouvre une brèche dans les fortifications de ce premier refuge, le Mur Maria, pour boulotter avec ses copains tout ce qui ressemble de près ou de loin à un être humain. Ça instaure une ambiance festive et pantagruélique, c’est certain !

Les titans en action qui se paient une bonne tranche d’humains en déroute. Plus par plaisir que par vraie nécessité en fait, puisqu’ils peuvent aussi se nourrir d’autre chose.
© Hajime Isayama/Kodansha Ltd.

À partir de là, l’histoire s’articule autour du jeune Eren Jäger, témoin de la mort de sa mère dévorée par un titan, et qui n’a depuis qu’un rêve : entrer après trois ans de formation sévère dans le corps d’élite chargé de découvrir l’origine des titans. Pour les annihiler jusqu’au dernier !

Mais on suit aussi, à partir de là, le parcours similaire de sa demi-sœur : Mikasa, ainsi que celui de son ami Armin et de tous leurs camarades du tristement fameux Bataillon d’Exploration. Une brigade très exposée, équipée pour la manœuvre tridimensionnelle, un équipement particulier qui demande beaucoup d’entraînement. Une brigade qui lutte âprement pour reconquérir le territoire cédé aux Titans et trouver, enfin, des informations sur ces mystérieuses créatures. Sans grand succès jusque-là et avec beaucoup de pertes humaines à la clé, d’où de nombreuses critiques venant de la population.

Quand deux autres corps d’armée indépendants (la Garnison et les Brigades spéciales) sont chargés de missions bien différentes, à savoir, respectivement, de garder et défendre les murs pour la première, protéger la population et faire respecter l’ordre, comme une sorte de police, mais placée sous l’autorité royale, pour l’autre. Pas de doute, dans cette affaire, le menu est copieux.

Le Titan géant atypique de 60 mètres de haut, dit titan colossal, qui brise le premier mur d’enceinte. Ici, en version ciné en prises de vues réelles...
© Hajime Isayama / Kôdansha © "Shingeki no Kyôjin Movie" Production Committee.
Et un schéma explicatif de la manœuvre tridimensionnelle, une sorte d’exosquelette. Un dispositif qui demande un grand équilibre : il permet d’augmenter l’agilité, la vitesse de réaction et l’amplitude du mouvement en étant suspendu à des fils-grappins, façon Spider-Man. Des fils actionnés par un système de poulies sophistiqué qui fonctionne avec des cartouches de gaz. C’est le seul moyen d’affronter les Titans et d’avoir une petite chance de survivre à l’affrontement...
© Hajime Isayama / Kôdansha
Maintenant les deux réunis en une seule image, plus le héros équipé à l’œuvre : mais ici avec les lames ad hoc en sus, virevoltant ! Les origines du dispositif de la manœuvre tridimensionnelle sont relatés dans la série dérivée "Before the Fall" qui se déroule 70 ans avant les événements relatés dans la série principale.
© Hajime Isayama / Kôdansha

L’Attaque des Titans d’Hajime Isayama, Shingeki no Kyojin en version originale, c’est du lourd, on vous l’a déjà dit, mais faut-il encore insister ? Oui, car c’est l’une des cinq meilleures vente de manga en France, la série a même un temps détrôné au Japon l’indéboulonnable One Piece de Eiichiro Oda du top des ventes, avec presque le double d’exemplaires écoulés au premier semestre 2014, selon le Top Oricon, avant que One Piece ne se refasse la cerise.

Par contre, dans un classement annuel qui tient compte en plus du vote des critiques, des libraires et des lecteurs, c’est bien L’Attaque des Titans qui sort vainqueur de ce beau duel. Un titre qui, par ailleurs, récolte les distinctions de tous côtés. Elles tombent comme à Gravelotte !

Le treizième volume paru chez Pika Edition.
© Hajime Isayama / Kôdansha

Un phénomène multi-supports

Cette série-phénomène est pré-publiée dès 2009 au Japon dans le magazine Bessatsu Shonen Magazine de l’éditeur Kodansha. Elle a fait l’objet d’une adaptation de belle qualité en dessin animé en 2013, diffusée en France depuis septembre 2014 sur la chaîne France 4, adaptation qui a bien contribué au succès grandissant du titre, partout dans le monde. Les 25 épisodes de cette première saison attendent une suite qui tarde à arriver, parce qu’elle doit suivre le cadence de publication relativement lente des livres au Japon. Cette suite est promise pour les petits écrans en 2016.

Deux films animés, pour le cinéma cette fois, sont sur les rails - mais qui attendent cette fois les films en prise de vue réelle qui sortiront au Japon en août et septembre 2015. Ils reprendront ces mêmes épisodes animés pour la TV, enrobés de quelques bonus. Le premier est sorti au Japon en novembre 2014 ; le second en juin 2015. Curieux, vraiment, mais quand on aime on ne compte pas, dit-on souvent...

La troisième série dérivée (ActuaBD.com vous a présenté les deux premières) : Shingeki ! Kyojin Chûgakkô, par la mangaka Saki Nakagawa, parue dans le Bessatsu Shônen Magazine. Une histoire qui se passe au collège, tirant plus vers la comédie et la tranche de vie. Elle est co-écrite par Izayama. On y retrouve Eren, Mikasa et d’autres personnages principaux, élèves ou professeurs. Et bien sûr, les Titans !
© Hajime Isayama / Kôdansha

Toujours pour faire patienter les inconditionnels, deux animés, réalisés par la même équipe, sont sortis en parallèle. Ces OAD [1] ont été proposés au Japon en vente groupée avec les numéros 15 et 16 de la série principale. Basés sur la série dérivée Birth of Livaï, ils mettent en scène le taciturne personnage de Livaï qui, sans être le héros principal de la série, est toutefois le préféré des fans. On y apprend notamment comment il a rejoint le bataillon d’exploration

Cette curieuse et tout à fait maline série avec des Titans dévoreurs est le nouveau phénomène éditorial sur lequel l’éditeur-mastodonte Kodansha mise beaucoup ; il a d’ailleurs doublé son chiffre d’affaire pour l’année 2013 grâce à ce manga et son exploitation commerciale globale (jeux vidéo, Light Novels [2], DVD et autres...), un exploit qu’il n’avait plus réalisé depuis de nombreuses années.

On rappelle aussi que le manga L’Attaque des Titans a été traduit sous nos latitudes par Pika Edition dès juin 2013. Cette série compte aujourd’hui près de 400 000 exemplaires vendus. Un 14e tome de la série originale (il y a plusieurs séries dérivées, sur divers supports) est sorti en juillet, le 15e sortira en septembre

Refusé par la Shueisha !

Il convient maintenant de regarder d’un peu plus près ce manga raz-de-marée, tout en tension, représentant du courant "Dark Shonen", souvent qualifié d’unique en son genre, justement pour sa capacité à transcender les différents genres de mangas.

Commençons d’abord par le créateur, Hajime Isayama. Il est né le 29 août 1986 à Hita, ville de la préfecture de Oita. Comme beaucoup de futurs artistes qui œuvrent dans l’art séquentiel, il a commencé à dessiner des mangas pendant ses cours. Lui, à la Rinko Senior High School, et il participait souvent à des concours. Après ses premières années d’études, il a étudié plus sérieusement le métier dans une école professionnelle au département manga du Designer Gakuin College Kyushu, à Fukuoka. En parallèle, il occupe un emploi à temps partiel dans un cybercafé, ce qui aura son importance, on le verra. Déjà, Isayama écrit et dessine à ce moment-là une ébauche de ce qui sera L’Attaque des Titans.

Il s’installe ensuite à Tokyo, à 20 ans, après avoir reçu une mention honorifique en juillet 2006, lors d’un concours de manga organisé par un magazine de bande dessinée de l’éditeur Kodansha -le prix "meilleur travail " au Grand Prix du Manga- concours où il avait présenté ce premier projet fondateur avec des titans. Maintenant assistant du mangaka Yûki Satô (Docteur Yokai), il continue à travailler sur ses propres projets de mangas, Heart Break One et Orz, récits qui se voient décerner en 2008 le 80e prix spécial d’encouragement aux nouveaux mangakas du Weekly Shonen Magazine pour le premier, alors que la seconde histoire, Orz, sera seulement sélectionnée pour ce prix l’année suivante. Pas Grave, Isayama s’est bien rattrapé depuis.

Sungeki no kyojin, la quatrième série dérivée qui reprend les événements du premier tome du manga, mais de façon parodique. C’est un manga humoristique en quatre cases (un genre appelé Yonkoma) de Hounori et isayama, disponible sur smartphone et tablette. Comme la précédente, cette série est encore inédite en français.
© Hajime Isayama / Kôdansha

Pour en revenir à la série : Hajime Isayama dit qu’il porte en lui les fondements de cette histoire d’humanité poussée dans ses retranchements ultimes depuis assez longtemps. Il rajoute qu’il a, aujourd’hui encore, une idée globale de la manière dont la trame va dérouler son fil : mais il improvise toujours à souhait, une fois le crayon à la main, pour se ménager des surprises et garder la flamme créatrice. On le comprend.

Comme on vient de le voir, il avait déjà, bien avant d’être professionnel, réalisé un épisode complet d’une autre histoire qui comprenait plusieurs éléments qui interviendront plus tard dans L’Attaque des Titans. Cette première histoire dessinée, il l’avait proposé à l’éditeur Shueisha, afin d’être publiée dans le magazine Weekly Shonen Jump. Las, Shueisha lui avait demandé de modifier certains éléments peu raccords avec sa ligne éditoriale. Isayama avait refusé et proposé, en réaction, son histoire à l’éditeur concurrent Kodansha. Qui l’a acceptée, pour une publication dans son hebdo Weekly Shonen Magazine. Pari gagnant, prix à l’appui !

En 2006, Izayama s’installe à Tokyo. Mais, en 2009, après l’exécution de divers travaux formateurs comme assistant, l’éditeur Kodansha lui propose d’écrire une série pour son nouveau magazine mensuel, le Bessatsu Shonen Magazine, lancé en cette même année. Conseillé par son responsable éditorial qui aimait la première version de son histoire avec ces Titans croqueurs, Isayama développe assidûment le sujet durant six mois en faisant des recherches sur les titans, dans l’histoire et la légende, et en enrichissant cet univers qui lui tient tant à cœur.

Juste retour, L’Attaque des Titans se voit décerner, deux ans plus tard, le prix du meilleur shonen manga de l’année, lors de la 35e édition du Kodansha Manga Award de 2011... Le phénomène peut commencer.

On imagine volontiers le responsable éditorial de la Shueisha qui a refusé le premier projet d’Isayama raser les murs de honte depuis, pas pressé qu’on le félicite pour l’infaillible qualité de son flair...

Le jeune Hajime Isayama à sa table de travail. Il avait prévu dès le départ une fin apocalyptique à sa sériequi a une ambiance assez noire. Mais l’enthousiasme soulevé par ses personnages le fait douter de la pertinence de cette fin aux relents génocidaire s-comme dans la nouvelle Brume (The Mist) de Stephen King, une de ses sources d’inspiration majeure. Ces hésitations plongent le créateur dans le désarroi créatif.
Photo : DR. Capture d’écran.

(par Pascal AGGABI)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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