Avec son style qui ne s’embarrassait pas de fioritures (Parlant d’Héroïc-Albums, il écrit : "C’était un des seuls illustrés qui ne prit jamais ses lecteurs pour des cons, ni même pour des petites têtes blondes devant être préservées des horreurs de la réalité"), Thierry Martens introduit l’album par un portrait de Guy Depierre, l’éditeur de Bimbo, qui réunit dans ses publications quelques-uns des talents qui s’exprimeront dans Héroïc-Albums : Maurice Tillieux, Fred Funcken, Marcel Moniquet... et où de présente à l’âge de 18 ans le jeune Fernand Cheneval qui vient y faire un stage non rémunéré. Le futur éditeur d’Héroïc s’y lie d’amitié avec Tillieux qui deviendra le pilier de son futur journal.
Dans le chapitre suivant, Martens fait un portrait du marché de la bande dessinée en Belgique à la Libération : Wrill, Bimbo, OK, Spirou qui commence à se bonifier et Bravo dont le propriétaire, compromis avec l’occupant, est en fuite... Tintin n’arrivera que plus tard.
L’idée de Cheneval est assez brillante : créer une espèce de "mix" entre la BD américaine dont il adopte le format et une tonalité plus adulte, et le système du feuilleton "à cinq sous" qui faisait fureur dans le roman populaire. Avec un récit complet, de courtes nouvelles et une série à suivre, Héroïc trouve l’une des formules rédactionnelles les plus intelligentes de l’après-guerre, dans un style "hard-boiled" qui s’adresse aux adolescents et aux jeunes adultes. Soutenu par les presses du Parti Socialiste, à la suite d’un test, la revue se lance et atteint rapidement une vitesse de croisière de 10.000 exemplaires vendus en français et 6.000 en flamand.
Martens détaille, année après année, le contenu et l’évolution de cet hebdomadaire, ses changements de propriétaires, toujours sous la houlette de Cheneval, l’apparition de ses grands héros : Bob Bang et Félix de Tillieux, Attila et Akkor le voyageur du temps de Cheneval (qui écrit et dessine aussi), Luc Condor de Weinberg, les Tif & Tondu de Dineur arrachés à Spirou (Dupuis ne tardera pas à les racheter pour les confier à Will), Tommy Tuller de Dick John’s (= Fred Funcken), Jean des Flandres et Aviorix de Marcel Moniquet, Karan de François Craenhals, Dave O’ Flynn de Tibet et Duchâteau, Le Chat de Greg, Ginger de Jidéhem... Des récits complets documentaires dont le principe sera copié aussi bien par Spirou, avec les Oncle Paul, que par Tintin. La concurrence commence à s’inquiéter et Dupuis offre un poste à Cheneval, qui refuse.
Mais l’impétueux éditeur a un adversaire plus redoutable encore : la censure. Martens : "Sous la pression d’un amas hétéroclite d’inquisiteurs en herbe, une loi liberticide imposa un contrôle complet des publications destinées à la jeunesse. Cathos et cocos, ligues des familles et syndicats de dessinateurs, pédagogues bornés et politiciens tarés lançaient la traque de l’Ennemi : le Vilain Etranger venant puiser dans le tiroir-caisse de la Nation..."
Dame Anastasie n’allait pas tarder à s’intéresser à l’héroïque revue bruxelloise, comme le raconte Martens dans son style fleuri. Cette "assemblée de serpents" prononça un avis défavorable d’importation en 1952 et le titre ne réussit jamais à s’imposer en France. Rattrapé par ses concurrents, dans l’impossibilité de se développer ailleurs qu’en Belgique, Héroïc-Albums se saborda en 1956 laissant une trace indélébile dans l’histoire de la bande dessinée belge. Le journal ressuscita le temps de 7 numéros en 1969, soutenu par un distributeur pétrolier, puis disparut dans l’oubli, jusqu’à ce que Thierry Martens nous en rappelle le souvenir.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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L’Aventure des Héroïc-Albums - Par Thierry Martens - Éditions de l’Âge d’Or
Cet album de 264 pages avec plus de 700 illustrations est vendu aux Éditions de l’Age d’Or
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