Sous son manteau d’humilité, l’ouvrage de Marcel Wilmet a de l’ambition : cerner une fois pour toutes les relations entre Hergé et l’Abbé Wallez, figure du fascisme belge et rédacteur en chef du Vingtième Siècle, le quotidien d’extrême-droite dont le supplément pour la jeunesse, Le Petit XXe, accueillit en 1929 les premières aventures de Tintin.
Il éclaire aussi ses relations avec Léon Degrelle, fondateur du parti nazi belge Rex, collaborateur au XXe siècle et ami proche de l’abbé Wallez et peut-être d’Hergé et son épouse Germaine. Avec en filigrane cette question, Hergé était-il fasciste ?
Mentor d’Hergé et de Léon Degrelle
D’Hergé, on sait qu’il a été collaborateur au « Soir volé », qu’il a quelquefois versé dans la saillie antisémite, et qu’il travaillait pour un journal catholique, ultra-conservateur de droite. Tout cela a été labouré profondément par Pierre Assouline (Hergé, Folio 3964), le premier à avoir ébréché la statue du commandeur, Benoît Peeters (Hergé, Fils de Tintin, Flammarion) et surtout Philippe Goddin dont la minutieuse biographie Hergé - Lignes de vie (Ed. Moulinsart) est une référence incontournable.
Mais qui était l’abbé Norbert Wallez, quels étaient ses rapports le « gauleiter » wallon et dans quelle mesure cela a-t-il eu une influence sur Hergé ?
L’abbé Wallez, le livre de Marcel Wilmet le montre très bien, était un maurassien de la première heure qui rêvait d’obtenir une position éminente dans une Belgique à majorité catholique qu’il voyait s’étendre du Limbourg hollandais et jusqu’à la Rhénanie allemande. Pour lui, Flamands et Wallons étaient des « germains », la catholicité faisant partie intégrante de leur identité.
Ses opinions le plaçaient dans l’extrême-droite ligne de la réaction catholique antisémite, celle qui allait faire le lit du fascisme, aussi bien en Belgique, qu’en France et en Allemagne. Wallez avait rencontré Benito Mussolini en 1923 comme s’il avait rencontré l’esprit saint et plaçait sa photo dédicacée bien en vue sur son bureau, jusqu’à son arrestation à la Libération.
Dans son dossier d’instruction devant l’auditorat militaire qui devait le juger pour collaboration avec l’ennemi, on produisit une lettre écrite de sa main en janvier 1941 où l’on pouvait lire : « Je ne crois pas à la victoire anglaise et je ne la désire pas. Elle serait un désastre pour la Belgique et pour l’Europe – aggravation du joug bancaire, du joug maçonnique, du joug juif, du joug politicien. […] La victoire allemande ? Je la crois inévitable. » Amen.
Le saint abbé reçut du tribunal cinq ans d’emprisonnement, 200 000 francs d’amende, et la suspension de ses droits civiques.
Wallez a eu un rôle clé dans la vie d’Hergé : non seulement il était son mentor au XXe siècle, mais il est associé avec lui -à titre privé- dans l’édition des premiers albums de Tintin (Soviets, Congo, Amérique), précisément les plus idéologiques. C’est lui qui célèbre le mariage d’Hergé avec sa première femme, Germaine Kieckens, secrétaire de Norbert Wallez.
Cerné par les fascistes
Les rapports de l’ecclésiastique avec Léon Degrelle ne sont pas moins clairs. Degrelle était le chef du parti pro-nazi Rex, fondateur d’une division SS wallonne, dont Hitler aurait dit : « Si j’avais un fils, je voudrais qu’il soit comme lui ! ».
Tribun apprécié de foules fanatisées, le « beau Léon » avait le verbe lyrique, quelquefois écrit par l’abbé Wallez lui-même qui le suivit à godillots joints dans son aventurisme politique, alors même que le cardinal Joseph-Ernest Van Roey, primat de Malines, intimait aux électeurs catholiques belges de se défier de Rex et de voter plutôt pour son opposant démocrate-chrétien Van Zeeland.
Ce même cardinal, décidément clairvoyant, avait lourdé le remuant abbé rexiste en 1933 de son poste de directeur du Vingtième Siècle pour le remplacer par William Ugueux, future figure éminente de la Résistance belge à Londres, qui arrêta le quotidien (et son supplément : Le Petit XXe) à l’arrivée de l’armée allemande en mai 1940.
Dans cette avant-guerre décrite par Wilmet, Hergé est cerné par les fascistes. Il illustre pour Léon Degrelle une Histoire de la Guerre scolaire (1932) et pour Raymond De Becker deux opuscules Le Christ, roi des Affaires (1930) et Pour un Ordre nouveau (1932) sorte de bréviaires d’un catholicisme fasciste, autoritaire et anti-parlementariste. Ce Raymond De Becker qu’Hergé retrouvera à la direction du « Soir volé » et à qui il dut son principal emploi sous l’Occupation.... On notera aussi son collègue également dessinateur au Vingtième Siècle Jam (Paul Jamin) qui fut l’un des artisans de la propagande graphique allemande, condamné à mort puis gracié après la Libération.
La Providence des "inciviques"
Après la guerre, Hergé profita de la relative aisance que lui apportait Tintin pour accueillir dans sa villa de Céroux-Mousty dans le Brabant wallon pendant quelques semaines, peu de temps avant sa mort, le sulfureux abbé dont il était resté très proche, mais aussi bien d’autres collaborateurs notoires comme Raymond de Becker ou Robert Poulet, ami de Céline, dirigeant du journal collaborateur Le Nouveau Journal. À l’enterrement de l’abbé, la seule personnalité à porter le cercueil fut le créateur de Tintin…
La « légende noire » d’Hergé doit beaucoup à son mentor. L’après-guerre connut un dessinateur plus modéré, apolitique et un ami comme le sculpteur Nat Neujean, un Juif qui vécut clandestinement pendant la guerre, contestait farouchement qu’il fut antisémite. Plusieurs fois, Hergé battit sa coulpe, mais sur le tard.
Lors d’un petit-déjeuner passé sur les hauteurs de Jérusalem en 2009 avec le biographe d’Hergé, Pierre Assouline, à l’occasion d’un colloque initié par Michel Kichka : Tintin à Jérusalem, notre conversation s’achevait sur cette vraie question : « Comment se fait-il, alors qu’il se trouvait fourvoyé dans un tel nid de fachos ultra, Hergé n’a-t-il pas été plus impliqué que cela dans la collaboration ? » Plus est forte la lumière, plus elle souligne la profondeur de l’ombre…
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Pour l’instant, cet ouvrage n’est diffusé qu’en Belgique chez l’auteur. On peut le commander directement à l’adresse suivante : m.wilmet@ART9experts.com. Il vous en coûtera 20€ + les frais de port. Les libraires peuvent lui commander aussi. Un libraire référent sera bientôt disponible sur Paris.
En médaillon : Léon Degrelle, l’abbé Wallez et Hergé. Dessin de Stanislas.
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