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L’amour, le vrai (en bande dessinée)

Par Tristan MARTINE le 8 mai 2017                      Lien  
Le sexe et l’amour, le sentiment et le cul, dans deux albums qui les montrent dans ce qu’ils ont à la fois de plus réel et de plus divers. L’amour est omniprésent dans la bande dessinée : pas un album d’aventure sans sa bluette, souvent avec un personnage secondaire à forte poitrine, pas un album érotique sans sa scène explicite. Tout cela est très normé. Trop pour deux dessinatrices, Cy et Julie Maroh, qui ont décidé de se réapproprier sexualité et sentiments pour nous donner à voir l’amour, le vrai.
L'amour, le vrai (en bande dessinée)
Le Vrai Sexe de la vraie vie de Cy (Edition Lapin)

Le cul sous toutes ses coutures

Cy est d’abord connue pour son travail d’illustratrice sur madmoiZelle.com, où elle développa sa passion pour le strip et créa sa première rubrique de fesses : Les dessins de Cy(prine), l’objectif étant de montrer non pas la sexualité, mais des échantillons très divers de sexualités, loin du regard hétéro-centré et très normé des films pornographiques. Pour nourrir ses strips en ligne, elle avait lancé un appel à témoignage, et l’avalanche des réponses lui a permis de constituer un trésor de guerre d’anecdotes en tout genre dans lequel elle a pioché pour cet album, fait à 10% de strips publiés en ligne et remasterisés (avec notamment l’ajout de décors) et à 90% d’inédits.

Trois types de séquence se succèdent. La majeure partie est constituée de strips dessinés à la tablette graphique et ressemblant à ce que Cy publie habituellement en ligne. Entre ces séquences sont insérés quelques « points cul ». Il s’agit de doubles pages didactiques, du type « la protection sexuelle pour les nuls » ou « la sexualité des handicapés pour les nuls ». Ce n’est pas inintéressant, mais cela ralentit la lecture et cela n’était peut-être pas absolument indispensable. Enfin, des séquences sexuelles muettes dessinées aux crayons de couleurs scandent également l’album, elles apportent une parenthèse esthétique et une respiration bienvenues.

Ce qu’on retient de cet album, outre son humour et sa fraîcheur, c’est sa volonté de déculpabiliser le lecteur en montrant non seulement la sexualité dans ce qu’elle a de plus quotidien, mais surtout en insistant autant, si ce n’est davantage, sur les échecs que sur les réussites : envie sexuelle qui disparaît au moment de conclure, dépucelages compliqués et débandages en série, plan à trois catastrophique, gel hydro-alcoolique confondu avec du lubrifiant, etc.

Le cœur (et le sexe) sous toutes ses formes

Julie Maroh est bien connue du grand public depuis que sa bande dessinée Le Bleu est une couleur chaude a été adaptée sur grand écran sous le titre La Vie d’Adèle et a été primée à Cannes. Les questions de sexualité ont souvent été au cœur de son œuvre, comme par exemple avec City et Gender, et ce nouvel album ne déroge pas à la règle.

L’auteure entend dénoncer la « danse quotidienne des normes et des stéréotypes ». Sans pour autant mépriser le couple hétérosexuel blanc monogame, elle entend mettre la lumière sur les « courtes-pattes, grassouillets, colorés, androgynes, trans, scarifiés, malades, handicapés, vieux, poilus, hors-critère-esthétique, pédés, gouines, travelos, freaks, inconstants, cœurs d’artichaut, multi-amoureux » et autres alternatives (et non pas minorités). Son album est donc construit autour d’une succession de saynètes de quelques pages voulant rendre hommage à ceux qui vont « à contre-courant de ce qui est attendu d’eux, parfois au péril de leur vie », le tout se passant à Montréal, ville multiple et cosmopolite.

"Corps sonores" de Julie Maroh (Ed. Glénat)

Cette histoire de toutes ces personnes qui « tombent en amour » est réussie. Si l’aspect sexuel est bien entendu traité, il n’est pas l’élément central de ces planches, qui brossent un très large panorama, celui des diversités sexuelles et émotionnelles de toute une génération. Les chapitres sont courts et percutants et vont très efficacement à l’essentiel : on s’identifie très rapidement à ces personnages et à leurs doutes, leurs peurs et leurs emballements sentimentaux. Il y a notamment de très jolies pages sur le deuil de l’amour, à tout âge, ainsi que sur le quotidien des relations, sous toutes ses formes.

La dessinatrice livre un beau travail sur l’épaisseur du trait, et l’album regorge de belles trouvailles graphiques (SMS comme un éclair, tentatives diverses de représenter la violence des émotions, etc). Rajoutez le charme et l’exotisme de la langue québecoise, et vous obtenez un album plutôt sombre, mais néanmoins plein d’espoir, un album lui-même très divers, les scènes étant d’inégal intérêt, mais dont l’ensemble est cohérent et très convaincant.

Avec ces deux œuvres, Cy et Julie Maroh abordent sans fausse pudeur, sans vulgarité et avec une grande humanité des aspects de notre quotidien peu présents dans le 9e art et apportent du sang neuf dans la représentation de pans entiers de notre quotidien trop souvent tus dans les œuvres de fiction.

(par Tristan MARTINE)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782344012635

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