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L’année BD 2017, avec nostalgie

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 31 décembre 2017                      Lien  
Que retenir de l’année écoulée ? Chaque année, nous nous posons la question. Or, justement, il nous semble que la bande dessinée regarde beaucoup vers le passé ces temps-ci. Comme dans toutes les époques où les temps changent…

Admettons-le, ça ronronnait. Chaque année, à la même époque, Gilles Ratier rentrait son rapport que l’ACBD, la joyeuse troupe de gais lurons chroniqueurs de la BD, relayait un peu poussivement, sans trop d’esprit critique sur la méthode, le sens de la démarche et surtout la pérennité de cet exercice de moine-comptable qui se concluait par un invariable Cocorico !

Alors oui, depuis 17 ans, on s’était habitué à ce que le bon Gilles nous donne du grain à moudre, et nous donne de quoi commenter une production en croissance depuis 2000 (elle a été multipliée par cinq) dont le dynamisme fait envie aux autres secteurs de l’édition, permettant à GfK d’affirmer, en octobre dernier que la bande dessinée a connu une croissance de +20% ces dix dernières années, prenant la 3e place de l’édition en France, après la littérature et la jeunesse avec 14% de parts de marché.

Mais cette année, plus de Gilles. L’ACBD n’a pas rendu son rapport, tandis que le libraire d’Animal Lecteur accablé par cette production chaque année de plus en plus pléthorique, raccrochait à son tour. Les temps sont-ils en train de changer ?

L'année BD 2017, avec nostalgie
Gilles Ratier. Ses Rapports vont nous manquer.

Mémoire et Histoire

Le ronronnement est aussi le signe d’une stabilité dans la croissance qui s’accompagne d’une célébration de chaque instant. 2016 avaient consacré Tintin et Gaston Lagaffe, respectivement au Grand Palais et à Beaubourg, excusez du peu.

En 2017, d’autres institutions honorables ont pris le relais : ce sont Luz et Goscinny au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, Goscinny encore à la Cinémathèque, la BD & la Shoah au Mémorial de la Shoah, Winsor McCay au Musée de Cherbourg-Octeville, l’Art de DC Comics au Musée d’Art Ludique à Paris, une rétrospective Moebius à l’Hôtel Départemental du Var, Jack Kirby dont on célébrait la centenaire en colloque à la Sorbonne, Les Tuniques bleues au Musée de Chantilly, La révolution Métal Hurlant et (A Suivre) au Musée de la Boverie à Liège en Belgique et on en passe et des meilleurs.

La bande dessinée envahit l’espace public installant une Obélisque Goscinny à Angoulême et donnant le nom d’Yves Chaland à la médiathèque de Nérac.

Goscinny au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme. De plus en plus d’institutions font de la place à la bande dessinée.

Survivances et renaissances

Il faut dire que le début d’année donnait le ton : un petit coup de Ripolin sur Tintin au pays des Soviets, et le voilà vendu comme neuf. La ministre de la culture Audrey Azoulay (devenue entretemps la directrice générale de l’Unesco) annonçait du changement pour le Festival de la Bande Dessinée. Le seul changement perceptible a été l’absence de polémique sur la gouvernance du Festival, dans une sorte de renoncement, de la part du FIBD, d’ailleurs, qui s’avisa d’attaquer d’abord en justice l’association des financeurs publics initiée par le ministère de la culture, avant de se raviser et de remercier son président Bruno Racine lors de la conférence de presse de décembre. Comprenne qui pourra…

Autre miracle de la survivance : les stars de la rentrée Astérix, Largo Winch, Corto Maltese, Les Légendaires et Titeuf, les quatre premiers sous la signature de nouveaux auteurs. Il n’est pas jusqu’à Benoît Sokal qui ne s’allie avec son condisciple Schuiten pour faire un nouvel album chez Rue de Sèvres.

Les ventes publiques continuent de porter Hergé au pinacle et viennent y rajouter Uderzo, grâce aux pièces exceptionnelles offertes lors de la vente publique de la succession Tchernia, ce qui n’est que justice. Ceci pendant que les originaux de Blake et Mortimer envisagent de rejoindre la salle des coffres du Château de Moulinsart…

La commémoration des 40 ans de la disparition de René Goscinny a permis une multitude de publications nostalgiques parmi lesquelles la redécouverte des bandes dessinées du Petit Nicolas de Sempé. Les intégrales avec introductions historiques sont ces autres bulles nostalgiques qui perpétuent le passé.

Une renaissance à signaler : celle des Cahiers de la Bande dessinée qui reparaissent cette année. Pourtant, n’était-ce pas son concurrent à la fin des années soixante qui, ironie de l’Histoire, s’appelait Phénix  ?

Les Cahiers de la bande dessinée renaissent en 2017.

En 2017 la BD a crevé l’écran

Nous avions annoncé pas moins de 15 films adaptant une bande dessinée à l’écran en 2017. Voire, aucun n’a fait un carton notable. Valérian s’est même pris une sacrée gamelle : alors qu’il compte 4 millions de spectateurs en France, joli chiffre, c’est la cata dans le reste du monde, aux USA (seulement 40M US$ de recettes) et surtout en Chine où l’audience s’est effondrée en deuxième semaine en septembre. Le « film le plus cher du cinéma français » comptait sur 400 millions US$ de recettes. On n’en est qu’à 225 millions à ce jour… [1]

Le Petit Spirou ne pourra compter sur la seule recette des salles en France pour éponger son coût de plus de 15 M€ : il a fait seulement 3,4 M US$. Mais il n’est pas encore sorti à l’étranger et a encore les ventes DVD et TV pour se rattraper. Idem pour Zombillenium : 1,6 M US$ de recette pour un peu plus de 13 M€ de budget. Là encore nous n’avons que les recettes France pour l’instant.

Mais ces chiffres sont ultra-modestes par rapport à ceux des Américains. Ainsi, Les Schtroumpfs et le village perdu tirent une fois de plus les marrons du feu : avec 197 M US$ de recettes, et un budget de réalisation d’une soixantaine de millions, les petits personnages bleus de Peyo continuent de gagner de l’argent.

Les Schtroumpfs, la licence "bande dessinée" la plus rentable au cinéma

Du côté des licences mangas, Ghost in the Shell, le film de Rupert Sanders se plante au Box-Office américain avec seulement 40 millions US$ de recette. En dépit d’un score à l’international plus respectable : 129 millions US$ de recettes, le compte n’y est pas : le film a coûté 110 millions de dollars, hors frais de lancement…

Les super-héros sont eux aussi quelque peu fatigués : LE lancement de l’année devait être Justice League of America, avec Batman, Superman et tutti quanti au générique. Alors que le film a coûté 300 millions US$ auxquels on rajoute autant pour la promotion, il couvrirait à peine ses frais, et aurait perdu au final, selon certaines sources, plus d’une centaine de millions de dollars. Ouille !

Heureusement, la plupart des autres s’en sortent mieux : Spider-Man Homecoming : 880 M US$ avec un budget de production (hors marketing) de 175 M US$ ; Les Gardiens de la Galaxie 2 font 864 M US$ avec un budget de production (hors marketing) de 200 M US$ ; Thor 3 : Ragnarok fait 847 M US$ pour 180 M US$ de budget de production (hors marketing) et Logan 616 M US$ contre 97 US$ de budget de production (hors marketing).

La bonne surprise vient de Wonder Woman : 822 M US$ de recettes pour un budget de production (hors marketing) de 149 M US$ ! La preuve est faite : la femme est aussi l’avenir des super-hommes !

Ramize Erer, lauréate 2017 du Prix "Couille au cul"

Place aux femmes !

L’année 2017 recueille un peu les suites du scandale angoumoisin de 2016 et de l’affaire #balancetonporc Weinstein. Les femmes commencent à être de mieux en mieux considérées. D’abord pour leur résistance : le Prix Couilles au cul a été remis en janvier dernier à la dessinatrice turque Ramize Erer, éditrice du seul journal de bande dessinée féministe en activité dans le monde : Bayan Yanı.

Elle a été imitée cette année par Françoise Mouly et Art Spiegelman qui publient Resist ! à la suite de l’élection de Trump (et dont une version française vient de voir le jour sous la bannière de la Revue Dessinée).

Alors que l’on commémore les 10 ans de l’association Artemisia (dont la biographie en bande dessinée vient est sortie cette année sous les signatures de Nathalie Ferlut & Tamia Baudouin chez Delcourt), pour la première fois de l’histoire, c’est une femme qui occupe la rédaction en chef de Spirou, Florence Mixhel.

Ajoutons à cela une ministre de la culture, Françoise Nyssen, qui édite des bandes dessinées ; une femme, Anna Sommer, faisant l’affiche du festival BD-FIL à Lausanne et une nouvelle directrice, Anne-Hélène Hoog, prenant la direction du Musée de la BD à Angoulême, et on peut se dire que quelque chose a un peu bougé en cette matière cette année.

Média-Participations devient N°3 de l’édition française en 2017.

La bande dessinée entre en littérature

Mais l’info qui pèse est quand même la prise de contrôle du Groupe La Martinière, holding de tête des éditions du Seuil par Média-Participations, la holding qui contrôle Dargaud, Dupuis, Le Lombard… Un éditeur de BD avalant un éditeur de littérature !

Le bruit a couru que de son côté, Guy Delcourt qui, depuis peu aussi, s’est mis à publier des romans, discute avec Hachette autour d’une prise de participations. « Fake News » dit l’éditeur de Walking Death sans plus d’explication… L’info venant de La Lettre de l’Expansion, une feuille économique en général bien renseignée, la question montre en tout cas que dans ce monde changeant, Big is beautifull, l’intensité capitalistique constituant un facteur déterminant de résistance aux aléas du marché.

Requiem

L’année a été mortelle pour bien des grands noms de la BD : Jirô Taniguchi, Jay Lynch, Berni Wrightson, Jidéhem, Pierre Seron, Michel Plessix, Patrick Jusseaume, Annie Goetzinger, Pascal Zanon, mais aussi un grand libraire, journaliste et éditeur comme Stan Barets. Les éditeurs aussi ferment leurs portes : Les éditions Ego comme X à Angoulême, les journaux satiriques turcs Gırgır et Penguen auxquels Galip Tekin, grand dessinateur turc lui aussi décédé cette année avait collaboré. On en oublie évidemment.

Passons à l’année prochaine, même si nous laissons en 2017 un peu de nous-mêmes. Nos meilleurs vœux pour 2018 !

Des voeux originaux, plus que centenaires : ceux de "Krazy Kat" de George Herriman.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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En médaillon : dessin de Moebius. Pour la première fois depuis son décès, une grande rétrospective lui a été consacrée à Toulon.

[1La plupart de ces chiffres sont tirés de JP’s Box Office et de Box Offic Mojo.

 
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3 Messages :
  • L’année BD 2017, avec nostalgie
    2 janvier 2018 14:24, par Franck

    Merci pour ce panorama de l’année écoulée en bande dessinée, très intéressant. Meilleurs vœux à ActuaBD pour 2018 !

    Répondre à ce message

  • L’année BD 2017, avec nostalgie
    2 janvier 2018 14:35, par Franck

    Au fait, dans le chapitre consacré à nos cher(e)s disparu(e)s, il s’agit de Berni Wrightson, et non pas : " Wrigthson”.
    Aaaah ces fautes de frappe ;-) Cordialement,

    Répondre à ce message

    • Répondu par Henri Khanan le 2 janvier 2018 à  21:09 :

      Vu du point de vue du box-office, l’année 2017 montre une certaine suprématie des films adaptés de super-héros Marvel. Une réussite éclatante, sans rapport avec la qualité artistique des films, mais qui témoigne du savoir-faire marketing de la Disney, et de l’engouement du public.

      Répondre à ce message

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