Que l’architecture et le design soient présents dans l’œuvre de Joost Swarte, cela n’étonnera personne : il est par excellence dessinateur de la ville, jouant des volumes et des perspectives avec une maestria sans pareille. Chez lui, l’architecture est une trame, toujours esthétique et ordonnée, en tous les cas très « pensée », qui écrase le plus souvent l’individu, perdu, aliéné même, dans un réseau de traits cliniques et distanciés. Ses couleurs, toutes en nuances pastels transparentes, strictement inspirées de la gamme Pantone, viennent en contrepoint apporter de la douceur, tempérer ces espaces urbains écrasants. Cette approche assez unique est célébrée par trois expositions lors des 3e Rencontre Chaland de Nérac.
Joost Swarte a connu Yves Chaland dans les bureaux des Humanoïdes Associés à Paris, alors qu’il y publie L’Art moderne (1980). Le jeune Néracais venait d’arriver dans la capitale et s’était installé dans le 20e arrondissement de Paris. Pour boucler ses fins de mois, il assistait à Jannick Dionnet sur la maquette de Métal Hurlant. Swarte avait été frappé par son enthousiasme et surtout par sa connaissance profonde de la chose graphique, passion qu’ils partageaient en commun. À cette époque, Chaland se meublait en Techno –les meubles de Modeste & Pompon- et Swarte habitait un immeuble Art Nouveau, avenue Brugmann à Bruxelles où l’artiste hollandais résida entre 1981 et 1982, comme pour se rapprocher d’Hergé.
Swarte et Chaland se rencontrent à nouveau à Nérac, par expositions interposées. L’architecture sert de fil rouge à celle consacrée, à tout seigneur, tout honneur, à Yves Chaland. Isabelle Beaumenay-Joannet a choisi des planches où apparaissent des bâtiments que l’artiste a empruntés aux paysages de Paris, de Cassis, de Budapest et bien entendu de Bruxelles. Ici, l’architecture est moins redoutable que chez le maître hollandais : pas de perspective insécurisante piégeant le spectateur dans un trompe-l’œil, mais des bâtiments marqués par l’histoire, fourmillant d’anecdotes qui sont autant de madeleines du passé : ses villes sont parcourues par de vieux trams brinquebalants, de façades soit ordinaires et lépreuses dans les quartiers populaires, soit arrogantes et altières dans les beaux quartiers, ou encore nimbées d’un mystère appelant l’aventure.
Chez Swarte, nous sommes dans une esthétique du plan, une brillante vision essentiellement architecturale impressionnée par le Bauhaus, une façon de faire dont se souviendra un François Avril, par exemple, sur un autre mode vibratoire ; chez Chaland, les architectures sont autant de manifestations strictement humaines, fourmillant d’indices culturels sur la façon dont les gens y vivent, un petit théâtre en somme, à la façon d’un Will Eisner par exemple.
Preuve que la Ligne claire n’est pas un système aux références totalitaires et parfois sclérosantes, mais bien un formidable révélateur de personnalités.
(par Didier Pasamonik - L’Agence BD)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Rencontres Chaland à Nérac les 2 & 3 octobre 2010.
– Le blog des rencontres Chaland
– Le site officiel d’Yves Chaland
– Le site du Club des Amis de Freddy Lombard
– Un article de Didier Pasamonik sur La Ligne Claire sur MundoBD