C’est un phénomène de plus en plus visible ces dernières années : les réalisations en 3D des personnages de BD ont envahi les librairies spécialisées, colonisé certaines boutiques de cadeaux et surtout, marqué de leur présence expositions et musées, jusqu’à faire l’objet d’un espace d’exposition permanent à Bruxelles, le Moof Museum, où l’on retrouve les pièces les plus remarquables et les plus rares de cette production.
Au départ, il s’agit de "produits dérivés", de figurines destinées aux enfants, doudous pour têtes blondes abhorrés par un Jean-Christophe Menu, timonier de L’Association, qui, en son temps, éructait contre cette supposée régression préadolescente indigne du "medium" de la bande dessinée et des "vrais" libraires. D’autres rangeaient ces productions au rang des "kitcheries" faisant l’objet d’un fétichisme suspect, sinon douteux, d’esprits forcément malades...
Un art à part entière
Pourtant, elles apparaissaient souvent esthétiquement réussies, certes s’inspirant d’univers déjà bien établis, ayant leur propre dignité artistique, comme ceux d’Hergé, de Franquin ou d’Uderzo, mais dont la finalisation atteint, de façon surprenante, une certaine probité plastique.
La vertu de l’ouvrage de Bruno Cabanis est de dépasser la valeur d’usage de ces objets pour tenter d’en faire découvrir, pour la première fois, les artisans et les artistes jusqu’ici anonymes qui en sont les auteurs, ces sculpteurs de nostalgie qui arrivent à transcender l’œuvre dont ils s’inspirent pour en dégager une beauté inédite, insoupçonnée, des objets aux références précises quelquefois traités avec la distanciation et l’humour de l’art contemporain.
Il en établit la généalogie avec plusieurs créateurs belges : Gérard Liger-Belair, qui conçut pour Hergé la maquette de la Licorne, ou encore ce camarade de studio de Franquin (ils travaillèrent ensemble, avec Morris, Peyo et Paape, pour les studios de dessins animés CBA), Géo Salmon qui produisit dans les années 1960 les maquettes de la Turbotraction, la Zorglumobile ou de la Fiat 509 de Gaston, ou encore Nat Neujean, le célèbre sculpteur de Tintin. Mais à quelques exceptions près, ces maquettes ne sortaient pas des ateliers et la production de Neujean ne restait qu’une anecdote dans un parcours artistique brillant, mais néanmoins classique.
Mais au milieu des années 1970, ces productions qui servaient de modèle à des figurines en latex ou en vinyl firent la place à des œuvres plus référentielles influencées par le Pop Art. C’est le cas avec les productions de Jean-Marie Pigeon qui fut l’un des premiers à créer des résines à tirage limité, produites Guy Boucher et SOL3, pour le galeriste Christian Desbois : Hergé, Franquin, Jacobs, Calvo, Tardi, Margerin, Ted Benoît...
À sa suite, Marie Leblon & Éric Delienne firent passer cette activité jusqu’ici artisanale à une production largement diffusée en librairies et en boutiques de cadeaux. Ces objets, tirés des univers de Hergé, de Franquin, de Jacobs (le trio revient souvent, témoin de leur empreinte mythique...), de Pratt, de Peyo, de Joseph-Porphyre Pinchon, de Morris, d’Uderzo, de Disney...
D’autres créateurs se distinguèrent par leur maîtrise des matières et par des choix plus orientés : ainsi, Michel Aroutcheff (Démons et Merveilles) sculpte sur bois et se concentre sur la production de véhicules : bateaux, avions, voitures et fusées. La grande fusée de Tintin à damier rouge et blanc d’Aroutcheff est dans toutes les mémoires. Mais on découvre aussi le Chalutier Sirius de Coke en Stock, la voiture de Mr. Pump, le Stratonef H-22, les véhicules de Blake et Mortimer, de Spirou, de Gil Jourdan, de Tif et Tondu, etc.
On ne saurait passer sous silence la star du secteur : Alexis Poliakoff, le sculpteur de Pixi dont les figurines de plomb font le miel des ventes publiques et des collectionneurs. Là aussi : Tintin, Gaston et Spirou, Blake & Mortimer... construisent une collection qui sont autant d’objets du mythe de la BD franco-belge. Poliakoff surprend par l’étendue de son talent et l’éclectisme de ses sujets qui va bien au-delà de la seule bande dessinée.
On découvre d’autres noms encore : Patrick Regout, Serge Leuba, Pascal Rodier, Stephan Saint-Emmet, le trio d’Attakus : Étienne Aillaud, Olivier Sztejnfater, Dominique Mufraggi,... Tous mûs par la passion de la bande dessinée mais aussi par le pari de réaliser des sujets et des formes inédits qui sont autant de défis techniques et esthétiques.
La qualité cardinale de ce beau livre est son abondante iconographie, l’auteur entrant dans l’atelier des sculpteurs et se faisant livrer, sous l’œil de la caméra, tous leurs secrets de fabrication.
Un livre savant et enchanteur qui manquait à nos bibliothèques.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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