J’ai eu la chance de connaître Maurice Carême, « prince en poésie » ; dans les dernières années de sa vie. Passé 70 ans, ce grand poète au regard profond et d’une extrême gentillesse dont le nom, hélas, commence à s’effacer des anthologies, avait une mémoire de jeune homme. Il l’entraînait, me disait-il, en se forçant à apprendre chaque jour une fable de La Fontaine. Il trouvait ce classique parfaitement admirable et ne manquait pas d’ajouter : « Et puis, quel professeur de français ! », détaillant la fine mécanique de sa syntaxe et la justesse de sa concordance des temps. On pouvait lui demander de réciter n’importe laquelle de ses fables, comme à un juke-box, et il vous la débitait avec la précision dans le phrasé qui était celle du connaisseur.
Je retrouve ce sentiment en revoyant les dessins que René Hausman a réalisés pour Dupuis. L’éditeur de Marcinelle a eu la bonne idée de ressortir les deux volumes publiés en 1965 et en 1977 dans la collection Terre entière en un seul volume, d’ailleurs parfaitement imprimé. On y retrouve tout l’art d’Hausman, grand peintre, illustrateur inégalé dont la gouache traque la lumière dans un glacis de verts, de bleus, de bruns et de rouges sans pareil. Là aussi, il y a une interprétation des textes de La Fontaine qui est livrée avec délectation.
Je tombe sur cette conclusion des Animaux malades de la peste : « Selon que vous serez puissant ou misérable - Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. » De fait, quand on considère l’énorme barnum médiatique de l’Affaire Bettencourt entrelacé à celui de l’Affaire Clearstream, on a l’impression que la démocratie attise elle-même le feu dans lequel elle finira par se consumer…
Populisme, cynisme, faux semblants, manipulations,… rien n’a changé fondamentalement depuis La Fontaine, sinon le mode opératoire. Dans leur bande dessinée La pire espèce (Grasset / Vent d’Ouest), la journaliste Agathe André, l’avocat-scénariste Richard Malka et le dessinateur Ptiluc assisté de Tieko quittent la dénonciation au premier degré qui est un peu devenue celle, trop facile, des caricaturistes et des humoristes d’aujourd’hui, pour nous livrer une fable contemporaine –où les mieux informés trouveront des allusions aussi fines que drôles à des sujets d’actualité- dont la démonstration est d’une incroyable force (nous vous ferons rencontrer prochainement leurs auteurs sur ActuaBD.com). Elle rejoint souvent, par la finesse et la drôlerie, l’intemporalité un peu inquiétante du poète dont l’épitaphe dit qu’il passa sa vie entre dormir et ne rien faire….
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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