Dans la famille Gaines, il y a d’abord le père, Max C. Gaines, à la double identité, comme Superman : il s’appelle en réalité Maxwell Ginsburg (ou Ginsberg, selon les sources). « M. C. changea son nom dans sa jeunesse dans un temps où l’antisémitisme était rampant en Amérique et où porter un nom clairement d’origine juive pouvait nuire aux affaires » témoigna Al Feldstein qui fut un des piliers de la maison. Maxwell fit différents petits boulots avant d’aboutir comme commercial dans une imprimerie qui produisait les suppléments couleurs du dimanche des grands quotidiens américains. Pour le client publicitaire Procter & Gamble, il eut l’idée de réunir les BD de ces comic strips dans un recueil de huit pages intitulée Funnies on Parade (1933) distribué en échange de points figurant sur des emballages de produits d’hygiène. Le premier comic book était né.
Après avoir multiplié les primes de ce genre auprès de bon nombre de clients publicitaires avec un succès réitéré, il s’allia un temps avec les créateurs de ce qui allait être DC Comics, contribuant, avec Sheldon Mayer, à la création de quelques-unes de ses plus importantes figures (Superman, Batman et surtout Wonder Woman et Flash…), avant de créer sa propre maison d’édition, Educational Comics, un label bientôt nommé EC Comics où il publiait principalement des BD adaptées de la Bible, de l’histoire américaine, des documentaires scientifiques ou des séries animalières et humoristiques pour la jeunesse. On y trouvait des signatures d’artistes de comics d’une vingtaine d’années qui n’allaient pas tarder à devenir célèbres. Sa mort brutale en 1947 dans un accident de bateau jeta l’entreprise dans les mains de son fils de 25 ans.
Une nouvelle ère
Bien que continuant à publier des comics éducatifs, William M. Gaines orienta la production de la maison vers des comics destiné à un public plus âgé, d’abord dans le domaine du policier (Crime Patrol, Crime SuspenStories, Shock SuspenStories), le western (Gunfighter, Saddle Justice mettant en scène une héroïne), la romance (Saddle Romance, Moon Girl) avec une tonalité vraiment adulte d’où surgit bientôt dans Crime Patrol « The Crypt of Terror » de Johnny Craig (1949) et « The Spectre in the Castle » d’Al Feldstein où apparaît pour la première fois le célèbre gardien de la crypte qui s’adresse au lecteur comme une sorte d’Oncle Paul spectral venu de l’au-delà.
S’ensuivent des titres célèbres « Vault of Horror », « Crypt of Terror », « The Haunt of Fear » où, sur le même principe, spectres, goules, diablotins et sorcières gardiens de la crypte accueillent le lecteur « sarcastically ». La bande dessinée d’horreur venait de trouver son parangon. Apparaissent les signatures d’artistes magnifiques comme Ghastly (pseudonyme de Graham Ingels), Harvey Kurtzman, Jack Davis, Bill Elder, Marie et John Severin, Al Williamson, Joe & Gloria Orlando, Jack Kamen, Bill Evans, Bernard Kriegstein, Reed Crandal, Bob Salomon, mais surtout Al Feldstein qui joue chez cet éditeur un rôle central et essentiel.
La science-fiction, autre « mauvais genre » est également convoquée avec Weird Science où brillent Feldstein et surtout Wallace Wood et Frank Frazetta, bientôt suivie par des récits de guerre (nous sommes en pleine Guerre de Corée) : Frontline Combat, Two-Fisted Tales, où triomphent Harvey Kurtzman, John Severin, Bill Elder, Jerry De Fuccio et bien d’autres.
Cette production valut à Gaines d’être la cible du Dr Wertham et de son ouvrage Seduction of Innocents et même d’être convoqué devant le Sénat des États-Unis par le sous-comité en charge de la délinquance juvénile où Gaines affirma que contrairement à ce qu’on lui reprochait, sa production était « de bon goût ». La censure mit rapidement fin à ce moment d’effervescence en 1955, alors que s’installait le Comics Code Authority (CCA), sorte de comité de censure interprofessionnel calqué sur le Code Hays régulant le cinéma et le théâtre.
Dernier grand morceau de bravoure : la création de Mad Magazine par Gaines, Kurtzman et Feldstein, d’abord un comic book puis un magazine politique pour échapper au CCA. L’humour devint le vecteur subversif de la maison où l’on retrouve toute la bande de EC Comics dans une veine parodique qui va être un phénomène de société. Les années 1970 permirent la réhabilitation de ces désormais classiques du comic book dont ce beau livre abondamment illustré de près de 600 pages en couleurs et en format tabloïde signé Grant Geissman et publié aux éditions Taschen est une magnifique célébration.
Voir en ligne : Le store des éditions Taschen
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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"The History of EC Comics" (en anglais) – Par Grant Geissman – Éditions Taschen – 600 pages – 150€
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