Cinq années après le décès de Tibet, l’un des plus prolifiques et aimables auteurs de bande dessinée, Le Lombard a décidé de prolonger sa série Ric Hochet, l’une des préférées des lecteurs du Journal Tintin et qui avait toujours maintenu ses chiffres de vente au cours des années.
Ce sont Zidrou & Van Liemt qui reprennent le flambeau avec un nouvel album, 60 ans après la création de ce jeune détective par Tibet & AP Duchâteau. Un beau cadeau d’anniversaire, car le gentleman-scénariste vient de fêter ses 90 ans !
On le sait, Zidrou n’est pas vraiment consensuel. Et ces scénarios sont justement intéressants car ils détonnent du paysage par trop conservateur de la production actuelle. Sa reprise de Chlorophylle mêlait avec brio ingrédients de la série traditionnelle, parodie et des clins d’œil très modernes. Il en est de même pour la première des Nouvelles Enquêtes de Ric Hochet (le nom officiel de la série), qui débute par R.I.P., Ric !.
Back to the Sixties, la modernité en prime
D’entrée de jeu, la couverture donne le ton : la célèbre veste en tweed indémodable permet d’identifier le « jeune » détective, même si sa tête a un peu bougé. L’image laisse croire qu’une (nouvelle) usurpation d’identité va se dérouler : le suspense est lancé, avec, si l’on en croit le titre, un conclusion funeste pour notre héros.
Le lecteur averti remarque un célèbre logo à l’arrière-plan : celui du Caméléon, le premier des adversaires de Ric Hochet [1], et qu’il ré-affronta trois ans plus tard dans L’Ombre de Caméléon.
Zidrou & Van Liemt ont décidé de revenir dans le passé, dans ce cas à la fin des années 1960. « Notre Ric démarre exactement entre « Alias Ric Hochet » et « Les Cinq Revenants », en 1968, explique Zidrou. C’était vraiment le bon âge, le mien et celui de Ric. »
L’aventure débute sur les chapeaux de roue : en rentrant un soir chez lui, Ric Hochet est surpris par un homme embusqué…qui l’abat sans sommation ! Cet homme, c’est le Caméléon. Il vient de consacrer les deux années qui ont suivi son évasion à se métamorphoser en Ric Hochet : chirurgie esthétique, sport intensif, entraînement à la conduite,... Le lendemain, c’est à un pseudo-Ric Hochet aux réactions très surprenantes qu’ont affaire Bourdon, Nadine... Mais aussi les criminels.
En se plaçant dans la tête du Caméléon, et en suivant celui-ci tout au long de cette première aventure, Zidrou bouleverse le canevas traditionnel de la série. Ce qui lui donne un mobile parfait pour que Ric Hochet se comporte différemment de ce que le lecteur connaît… puisqu’il n’est pas Ric Hochet ! Subtil... Le lecteur profite donc de moments d’autodérision lorsque « le héros » parle de son travail de journaliste alors qu’on l’a vu peu écrire ses articles, qu’il évoque ses voitures de sport, ou lorsqu’en boy-scout au brushing impeccable, il doit rendre service à des gamins. Une certaine limite est même franchie avec Nadine : les lecteurs n’ont jamais pu concrétiser la réalité de leur relation ? Zidrou transgresse le tabou et montre Nadine nue face à un faux Ric Hochet, plus volontaire que d’habitude ce qui ne semble pas déplaire à la jeune femme !
« [Je voulais] porter un regard différent sur l’univers de Ric, explique Zidrou, Et en conserver les paramètres essentiels, l’ADN, mais sans tomber ni dans la copie, ni le pastiche. […] aussi donner plus de texture aux personnages, nous sommes en 2015, ce ne sont plus des marionnettes !, garder à l’esprit le côté divertissant et amusant de la série, mais avec un ton forcément moins naïf qu’à l’époque ; et puis, tenter de garder cette évidence qui s’impose lorsqu’on lit les albums de Tibet et Duchâteau : ils essayaient tout le temps de surprendre le lecteur, dans un rythme effréné qui était celui de la publication hebdomadaire du magazine. Même si les rythmes ont changé, il faut garder ce plaisir du retournement, de la surprise. Et ne pas trop se prendre au sérieux, exactement comme eux. »
Un Ric Hochet pas comme les autres
Si quelques indécrottables hurleront donc à la trahison, nous trouvons que cet exercice est plutôt habilement réussi ! Certes, cette première aventure est à cent lieues du Whodunit classique des Ric Hochet, mais Duchâteau avait également réalisée des enquêtes plus aventureuses pour Ric Hochet, telles que Cauchemar pour Ric Hochet, Hallali pour RH, etc. De plus, les clins d’œil aux neuf premiers albums sont légion : aux aventures su Caméléon, bien entendu, mais aussi à Rapt sur le France, Suspense à la télévision, Alias Ric Hochet, Face au Serpent, Piège pour Ric hochet, etc. Celui qui ne maîtrise pas parfaitement ces albums glissera aisément sur ces détails qi ne gênent pas la lecture, mais pour les fans absolus c’est la Madeleine de Proust assurée, dans un récit qui trahit avec élégance et intelligence la série originelle.
Une part importante de la réussite de ce pari tient au dessin de Simon Van Liemt. Après avoir passé quatre années sur le désespérant Poker, son implication sur ce projet est très légitime : il parvient à se glisser dans l’univers de Tibet, sans s’y dissoudre. Ses cadrages sont plus modernes (même parfois un peu trop...), mais il trouve un bon équilibre avec la narration de Zidrou. Il parvient à imposer son Ric Hochet, certes différent physiquement, mais qu’il tient globalement avec assurance. Le lecteur attentif comparera d’ailleurs la dernière page de ce R.I.P., Ric, avec la première de L’Ombre du Caméléon : entre référence et modernisme, quel nouvel élan !
« On a voulu directement prendre nos distances avec un Ric classique, explique le dessinateur. Aller plus loin qu’un simple James Bond avec un nouvel acteur, mais sans trop s’en écarter non plus. Jouer avec ses codes, très précis, mais se garder une marge de liberté. Un choix volontairement hybride. La modernité vient des cadrages qui répondent à la grammaire d’aujourd’hui. […] Et le séquençage est aussi très différent. Ce n’est pas un 79e tome, j’espère que ce sera compris, juste une version plus moderne, bien que vintage, du personnage. »
En dépit de quelques approximations, Simon Van Liemt est parvenu à trouver le juste milieu entre un ton drôle (et même parfois irrévérencieux, sans être parodique), et le sérieux nécessaire pour faire passer certaines séquences rudes, voire très violentes. On apprécie surtout le très beau cadre de Porquerolles, au centre de la seconde moitié du récit. Le décor enchanteur renforce l’atmosphère angoissante de ce criminel côtoyant des personnages chers au lecteur.
Ce premier tome tenant toutes ses promesses, on attend déjà le prochain tome Meurtres dans un jardin français, afin de concrétiser l’attachement potentiel que l’on pourrait accorder à cette reprise. Zidrou & Van Liemt ont en effet signé pour trois albums. « Le deuxième sera plus léger, répond le scénariste, le troisième devrait être surprenant… ». Une fois, l’effet de surprise passé, et le criminel évacué, comment se comportera le nouveau Ric Hochet ? Décidément, le suspense est l’ADN de cette série !
L’Autoroute sauvage signe le retour du post-apocalyptique
Hasard du calendrier, en même temps que ce RIP, Ric, se publie une autre aventure qui débute sur l’île de Porquerolles. Et qui, elle aussi, s’appuie sur un univers des années 1970 et 1980. Sauf qu’il s’agit ici d’une série de romans signée par Julia Verlanger (alias Gilles Thomas), et que le cadre post-apocalyptique qui est le nous éloigne de l’univers finalement sécurisant de notre détective en tweed.
Dans ce récit, en effet, le monde d’aujourd’hui n’est plus. Les hommes évoluent dans les décombres de notre époque, un environnement sauvage et menaçant, où la nécessité de la survie s’encombre peu d’idées humanistes.
Des petites communautés se forment : on les nomme les Groupés. La communauté de la famille d’Hélène vivait sur l’île de Porquerolles avant de succomber sous l’assaut des pillards. Quand ils ne sont pas groupés, les autres survivants suivent leur chemin seuls et prennent le nom de Solitaires. C’est le cas de Mo, imposant et taciturne, qui parcourt l’autoroute au rythme des saisons. Lorsque celui-ci sauve Hélène de la bande de pillards, tous deux poursuivent leur route ensemble, en direction de Paris, en dépit des grandes différences qui les séparent…
Nous avions déjà salué le travail de Zhang Xiaoyu aux Humanoïdes Associés avec la trilogie Crusades. Dans la même veine que son précédent Sombre Futur, le talentueux auteur chinois parvient à conférer de la puissance au récit, rendant avec acuité la cruauté et la vulnérabilité des différents personnages. Sans surprise, le scénariste Mathieu Masmondet, qui a surtout travaillé précédemment pour le cinéma et la télévision, choisit des séquences muettes pour décrire le quotidien de cette société qui se replie sur elle-même.
Disséminant au fil des pages les indices qui permettent de comprendre ce qui a amené ce cauchemar futuriste (saluons les dessins de la lune morcelée), l’intérêt de ce premier tome réside tout d’abord sur le dissonant tandem formé par Hélène et Mo. Au gré de leurs premières aventures, les péripéties auxquelles ils réchappent permettent de mieux saisir leurs personnalités.
Le second élément caractérisant vient de la première communauté qu’il croise : elle construit son identité entre la nécessité de la survie dans ce milieu hostile et un mysticisme particulier. Une fois de plus, la sobriété du récit permet au lecteur de combler les points de suspension du récit pour mieux y projeter ses propres fantasmes. C’est une règle d’or dans ce type de récit : moins on en dit, plus on est crédible.
Tandis que le nouveau Mad Max sort en salle, une flopée d’auteurs travaillent sur des visions post-apocalyptiques de notre monde, un genre particulièrement en vogue dans les années 1970 et 1980, quelque peu tombé en désuétude depuis. Cette Autoroute sauvage ouvre peut-être la voie à une résurgence de ces récits rudes et sans concession. C’est l’éternel retour...
(par Charles-Louis Detournay)
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Lire également :
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Concernant Zhang Xiaoyu, lire également :
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La [trilogie Crusades : tomes 1, 2 et 313248]
Sombre Futur
L’Envol
[1] Le premier tome de Ric Hochet comprend deux aventures de trente-deux pages. La première s’intitule Signé Caméléon : un mystérieux commanditaire tente de discréditer puis assassiner Bourdon. La seconde aventure donne son titre à l’album regroupant les deux enquêtes.
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