On connaît l’histoire : le 7 janvier, Luz célébrait ses 42 ans. Cela s’était traduit par une séance de câlins prolongés sous la couette avec sa compagne et un retard prononcé à la réunion de rédaction qui devait avoir lieu ce jour-là.
Quand il arrive à la rédaction, ses compagnons sont morts, ou blessés. Il se trouve en première ligne pour affronter les médias, le public choqué et compatissant, la France et le monde, les connards d’islamistes aussi. Tout s’hystérise, se noircit. Il doit porter le discours de l’indicible, de l’invisible -car il n’était pas là au moment de l’assassinat. Dans le bruit du monde, au milieu des avis autorisés, des leçons de morale, des mobilisations en tous genres, des gardes du corps... Il est devenu la chose de l’actualité, de l’Histoire, à tout jamais un objet.
C’est que Luz raconte dans Catharsis. Lui qui pensait travailler pour un "fanzine" -c’est le mot qu’il utilise dans son interview aux Inrocks, il signe la couverture du "numéro des survivants", devient une "attraction", et reprend la place privilégiée de cible des islamistes, des fachos, des réactionnaires et autres commentateurs en mal de notoriété. De saltimbanque, il est devenu à son tour, et malgré lui, prophète. Qui peut vivre sereinement avec cela ?
Le problème des prophètes, c’est qu’ils sont seuls, incompris (comme on sait, "aimés par des cons"...), et même négligés par ceux qui les ont engagés au combat ("Pourquoi m’as-tu abandonné"...).
Dans ce livre touchant qui remet les idées en place, Luz est seul face à la gravité qui l’assaille. Qui peut l’aider ? Pas même celle qu’il aime, ou si peu. Il doit lui-même se reconstruire. Il s’exprime comme un artiste, avec une éloquence qu’aucun média ne saurait égaler. Carthasis est un livre marquant, essentiel, poétique, magnifiquement dessiné, un moment de dignité.
Luz a décidé de prendre du champ par rapport à tout cela. Il quitte Charlie Hebdo à la prochaine rentrée. Il laisse derrière lui les questions sur la ligne politique du journal, sur les successions (les héritiers de Charb sont actionnaires), de pouvoir, sur le ton à trouver après le massacre, les combats idéologiques, le rythme oppressant de la publication hebdomadaire...
Aussi, sur l’or maudit accumulé par le drame : près de 30 millions d’euros, dit-on, une partie à répartir entre les familles des victimes ; l’autre partie étant constituée de dons directs, des recettes sur les ventes en kiosque et sur les abonnements, le tout étant destiné à servir de cagnotte au journal, à le mettre financièrement à l’abri), Face à cela, il panse ses blessures, il est en résilience.
Aux autres de reprendre le combat, jamais achevé, toujours à mener, toujours périlleux : "Entre deux balles qui sifflent, écrit Caroline Fourest dans Éloge du blasphème, il faut bien remettre [le monde] à l’endroit. Nos mots contre leur mauvaise foi et leurs crachats. Pour tenter d’être fidèles. À nos camarades, à nos combats communs et à ce fil de lucidité qui nous tient en vie, comme seule réponse à l’obscurité."
Luz-cidité...
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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