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L’inattendu et flamboyant retour de Lone Sloane

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 8 janvier 2012                      Lien  
Ce début d'année nous apporte une incroyable surprise : Druillet, que l'on croyait perdu pour la bande dessinée, définitivement retiré dans les landes perdues de la peinture et des "beaux" arts, revient donner une suite à Délirius, une série qu'il a créée il y a exactement 40 ans pour Pilote sur un scénario de jacques Lob. Elle s'achève aujourd'hui avec l'aide de Benjamin Legrand.

On compare souvent le travail de Philippe Druillet à l’opéra. On a raison : il y a chez lui du grandiose, du mythique, du symbolique, du cryptique. On assiste à un spectacle inouï qui vous extrait du monde intelligible, si bien qu’il est parfois nécessaire de se référer au livret pour comprendre ce que l’on a vécu.

Druillet, c’est un style, une véritable ambition artistique qui a libéré la bande dessinée de sa gangue enfantine, de l’aventure utilitaire et mesquine qui nécessite un début, une fin, un héros sans peur et sans reproche. Il nous emmene dans une aventure baroque qui a impulsé toute une lignée. Bilal, même Baudoin, Blutch ou Sfar viennent de là...

L'inattendu et flamboyant retour de Lone Sloane
Philippe Druillet
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)
Lone Sloane - Delirius T2 par Druillet, Lob et Legrand
Ed. Drugstore

Inutile de rappeler le rôle qu’a joué dans l’histoire de la bande dessinée cette rencontre stylistique improbable entre l’univers foisonnant de l’auteur de comics Jack Kirby et l’abstraction lyrique du peintre Georges Mathieu.

Druillet paraît d’abord chez Losfeld en 1966, Losfeld l’éditeur d’Histoire d’O, des Surréalistes et de Clovis Trouille, mais surtout de Barbarella, ce marqueur de la bande dessinée moderne.

René Goscinny, dénicheur de talents originaux, l’alpague, quoiqu’un peu effrayé, pour l’amener chez Pilote où ses pages ont marqué une génération autant que celles de Jean Giraud, de Gotlib ou de Reiser.

Enfin, il y a l’aventure de Métal Hurlant dont il est l’un des fondateurs et dont le titre lui va aussi bien que les nombreuses bagouses que Druillet, géant perpétuellement habillé de noir, trimballe à ses doigts.

Si l’homme est flamboyant, son travail ne l’est pas moins. Druillet qui, enfant, a croisé le peintre surréaliste Salvador Dali à Figueras a sans doute compris que la folie était une composante essentielle de la création. Délirius qu’il créa en 1972 dans Pilote, avec Jacques Lob au scénario rappelle ce vocable qui invoque l’abandon de tous les sens.

Lone Sloane - Delirius T2 par Druillet, Lob et Legrand
(C) Drugstore

Bon scénariste, Lob a su poser l’univers de Druillet pour en faire un solide péplum spatio-temporel pétri de western. Malheureusement, l’histoire ne s’acheva pas car Druillet s’engouffra dans l’aventure absorbante des Humanoïdes Associés, tandis que Jacques Lob décéda prématurément en 1992. Les œuvres de Druillet elles-mêmes, menacées de déclassement en raison de la cécité de ses éditeurs, faillirent disparaître plus d’une fois de la librairie.

Mais finalement, grâce au rachat du catalogue d’Albin Michel, Jacques Glénat, véritable passionné que l’on a voulu trop vite faire passer pour un éditeur mercantile, ressort l’intégrale du travail de Druillet sous son label Drugstore. Avec au passage cette surprise : une suite et fin donnée à Délirius par Benjamin Legrand et Philippe Druillet 40 ans après l’impulsion initiale.

Druillet y est comme à son habitude impérial, bien soutenu par une histoire qui accompagne ses fulgurances. Une bonne introduction au travail d’un dessinateur qui n’a pas d’équivalent dans l’espace francophone.

Lone Sloane - Delirius T2 par Druillet, Lob et Legrand
(C) Drugstore

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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13 Messages :
  • Les 6 voyages de Lone Sloane, pré publiés dans Pilote, étaient effectivement un coup de tonnerre dans l’univers de la BD.
    Délirius, histoire complète, était également magnifique mais laissait apparaitre les faiblesses de Druillet : au delà de ses architectures délirantes, on voyait qu’il dessinait "mal". Les corps humains par exemple.
    Les parodies qu’en faisait Gotlib montraient la différence entre quelqu’un qui savait dessiner (Gotlib) et lui.
    Ce qui n’empêchait pas d’apprécier ces deux albums.
    C’est après que tout s’est gâté. Histoires sans queue ni tête, couleurs hideuses...
    j’ai décroché à mon grand regret.
    Tout ce qu’il a fait depuis, dans divers domaines, me semble boursouflé et vulgaire.
    D’où fait que tous ses ouvrages, réédités chez divers éditeurs, finissaient chez les soldeurs.

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    • Répondu par Lone Sloane le 9 janvier 2012 à  00:35 :

      Juger l’œuvre de Druillet selon des canons purement esthétiques et un manque de jugement. Les dimensions dessinées par Druillet semblent émerger d’un chaos que lui seul a eut le génie, le talent et l’audace de révéler. Pleurnicher après cela que cet artiste hors norme ne sait pas dessiner parce que tel membre sur tel ou tel sujet est disproportionné selon ces mêmes canons sous vide que j’ai mentionné est tout bonnement mesquin.

      J’ai découvert les œuvre de Druillet a 12 ans, avec l’effet que l’on peut imaginer, en cela je lui suis infiniment redevable de m’avoir ouvert les yeux sur autre chose, quelque chose de grandiose, de sombre, d’intemporel. Revenu vers son oeuvre 25 ans plus tard, avec un vécut une capacité a pousser mon analyse au delà du dessin, j’ai recouvert Lone Sloane sous l’angle de la sémiotiquet et de la philosophie, et la encore Druillet surprend par la profondeur de son oeuvre.

      Maintenant mon ami, dessinez moi un mouton, et faites attention car votre dessin aussi bien proportionné soit il ne me plairas pas forcement. Le reste, c’est des broutilles.

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  • J’espère qu’ils vont rééditer Vuzz, une merveille au dessin jeté, pleine d’humour, un des grandes découvertes de mon adolescence, avec les histoires courtes de Moebius, ou le très beau Polonius, de Tardi.

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  • Ca me fait penser à la réédition de La Langouste ne passera pas http://www.actuabd.com/La-Langouste-ne-passera-pas-Par , une BD terriblement datée et illisible en 2012.
    Est-ce que ça se vend vraiment ces rééditions ?

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    • Répondu par Oncle François le 9 janvier 2012 à  21:24 :

      aucun rapport entre la Langouste de Topin et l’oeuvre de Monsieur Druillet !! Topin était illustrateur, il a fait une BD improvisée avec Jean Yanne et avec le style pop-art et psychédélique de l’époque, Druillet a conçu avec un soin extrème(il a passé parfois plus d’un mois de travail sur une double page)une oeuvre mystique de science-fiction, également imprégnée d’autres formes d’art (la littérature classique avec Salambo, la magnificence de l’opéra (cosmique ?), on y trouve également des influences de musique planante, d’architecture, de sculpture et de design. Delirius (planète des plaisirs et du vice, un peu comme Pigalle, La Havane ou Bangcock, sans doute !) fut sa seule incursion dans le narratif pur, grâce à un scénario inspiré du Grand Jacques Lob, trop tôt disparu. Sa suite était attendue depuis des décennies, je sens que je vais me jeter comme une goule cosmique affamée sur ce livre Drugstore(même si les obsessions totèmiques récentes de Druillet m’ont déçu récemment). Pour ce grand retour à la BD, j’espère qu’il n’aura pas joué l’économie et qu’il aura déployé le grand jeu ! Sinon, il lui suffisait de reprendre le célèbre Vuzz !!

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      • Répondu le 10 janvier 2012 à  01:03 :

        Mais si, le rapport c’est que c’est terriblement daté et illisible en 2012. Comme écouter un album de Gong ou Genesis de ces années-là, impossible.

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        • Répondu par Franck Biancarelli. le 10 janvier 2012 à  09:06 :

          Pas "Tresspass" ni "The Lamb lies"... Les autres je suis d’ accord. (Oh c’ est très très intéressant, monsieur Biancarelli).

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          • Répondu le 10 janvier 2012 à  15:44 :

            Contrairement aux Pink Floyd, dont les albumms se sont même bonifiés avec le temps, devenant des classiques que les nouvelles générations découvrent avec extase.
            Cherchez sur Youtube ou Dailymotion les hommages rendus par des orchestres symphoniques à des albums comme Atom Hearth Mother, c’est énorme.

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            • Répondu par graffica le 10 janvier 2012 à  20:49 :

              a part que GENESIS ce sont de très bons musiciens alors que le FLOYD ce sont que de bons bricoleurs !

              merci à DRUILLET pour cette suite de DELIRIUS !

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              • Répondu le 11 janvier 2012 à  20:28 :

                Je me méfie, le plus grand fan de Genesis qui tient de tels propos est le héros de "American Psycho".

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              • Répondu par Oncle Francois le 11 janvier 2012 à  23:15 :

                Ecoouuuteeezz (voix de la marionnette de Chirac aux Guignols de l’info) : il est vrai que Genesis (première période ; celle où le chanteur s’appelait Peter Gabriel)a produit peu de tubes dansables ou même parfois visibles à la télé ou écoutables à la radio de l’époque. Mais il s’agissait d’un groupe pop-rock important des années soixante-dix, avec de jolies envolées musicales aux sonorités ébouriffantes. Je préfère toujours écouter celà que la soupe actuelle, rap, techno ou style Star Academy. "The Lamb" est l’album le plus rock du groupe, mais même "Selling England by the pound" s’écoute toujours avec plaisir et nostalgie. Phil Collins, le batteur, a voulu faire chanteur, ok, c’est un bon compositeur de slows, il met parfois une ambiance inquiète dans ses morceaux qui ont très bien marché commercialement (supermarchés, radios, boites), mais cela ne renie en rien le mérite des premiers albums. Encore faut-il avoir l’oreille assez musicale pour apprécier...

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  • L’inattendu et flamboyant retour de Lone Sloane
    12 janvier 2012 02:08, par Alex

    Je viens juste de réouvrir ma collec´ de "Métal" car j’avais comme un soupçon. Numéro 18 de MH, Juin 1977, en couverture : "Lone Sloane, le retour" avec qq lignes au sommaire de Druillet qui inscrit ce nouvel épisode d’alors -Gail- en directe connection avec "Delirius". Depuis 35 ans Druillet semble ainsi nous gratifier de ses "retours". Et ce n’est pas moi qui fera la fine bouche.

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  • L’inattendu et flamboyant retour de Lone Sloane
    30 décembre 2012 17:55, par pi-ro-94

    Dire que philippe DRUILLET ne sait pas dessiner c’est quand même sacrément exagéré. C’est sûr ce n’est pas Gir alias Moebius mais franchement j’aimerais bien dessiner comme lui.

    Ce qu’il y a d’intéressant dans ce second Délirus c’est que les héros ont vieillis et pris de la bouteille et le monde ou plutôt l’Empire galactique a vieilli et plutôt mal. Vraiment un album très intéressant qui nous présente un miroir assez ressemblant.

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