Il n’aurait pas été le premier ni le dernier : Gérard Lauzier ou encore Patrice Leconte avaient fini par renoncer au 9e art pour se consacrer à l’art-roi du XXe siècle : le cinéma. Le succès des Beaux Gosses (2009), le film qui révéla Vincent Lacoste, consacrait un cinéaste au ton nouveau, avec un regard singulier sur la jeunesse, un regard devenu culte.
Avec une telle entrée en matière, il n’y avait aucune raison pour que l’expérience ne se prolonge pas. En janvier, Sattouf sortait "Jacky au royaume des filles", une sorte de remake de Cendrillon mâtiné de Pascal Brutal, où l’on retrouve quelques-unes des constantes de l’auteur, notamment l’ado rongé par le désir (Vincent Lacoste) partant à la conquête d’un idéal impossible, en l’occurrence la colonelle (Charlotte Gainsbourg), fille de la dictatrice d’une nation dominée par les femmes et où les hommes sont obligés de porter le voile. Erreur de programmation, mauvaise communication ? Le film n’a pas reçu le soutien public attendu (un peu plus de 100 000 spectateurs contre plus de 900 000 pour le précédent), alors qu’il s’agissait d’une comédie plutôt réussie.
Succès patent, en revanche, pour son roman graphique autobiographique "L’Arabe du futur - Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984)" paru au mois de mai et dont les ventes caracolent en tête du box office. Il faut dire qu’il s’agit à d’une œuvre maîtresse pour l’auteur. Au travers des pérégrinations de sa famille au Maghreb et au Moyen-Orient, il dresse le portrait émouvant de son père d’origine syrienne marié à sa mère d’origine bretonne. Un père universitaire déchiré entre la France des années 1970 et un idéal arabe incarné par Nasser et Kadhafi, écartelé entre l’Islam et l’Occident, trouvant avec difficulté sa place entre des dictatures dont les pratiques et les mentalités restent pour partie ancrées dans le moyen-âge et cette France faraude mais encore profondément xénophobe.
L’album est un incroyable succès de librairie. Du pain bénit pour le jeune éditeur Guillaume Allary, 40 ans, qui a déjà bien roulé sa bosse dans l’édition et dans la réalisation de films documentaires, et qui publie là sa première bande dessinée devenue d’entrée un best-seller.
L’art de Riad Sattouf réside dans la caractérisation et dans son sens de l’anecdote significative. L’auteur remarque que quand son père connaît une humiliation -et elles ne manquent pas dans son périple fantasque- il renifle. Tout au long de l’album, chaque fois que le père renifle, la scène se trouve éclairée par cette inflexion. La justesse de la critique sociale est l’autre atout majeur de Riad Sattouf. Il excelle à souligner les ambiguïtés et les contradictions qu’il s’agisse du pouvoir, de la religion, de la sexualité. Tout cela sonne juste parce que, si vous le rencontrez le trait saute aux yeux, Sattouf est un grand acteur. Ses héros, il les mime à la perfection quand il en parle, changeant de voix, d’attitude...
On en vient à Pascal Brutal, série jouissive où il imagine une France libérale dans le futur (qui ressemble furieusement à l’actualité quotidienne) dans laquelle Alain Madelin a pris la présidence, où la Bretagne a pris son indépendance, Quimper devenant une ville 100% gaie (sauf en banlieue où sévissent des bandes de voyous intégristes ; on y repère même un cimetière Laurent Waucquiez). Une France qui concrétise toutes nos peurs actuelles : elle est devenue un pays déclassé, relevant pour ainsi dire du Tiers-Monde, tandis que le Quatar domine désormais le foot mondial. Dans ce monde-là, Pascal Brutal incarne la virilité, multipliant les rôles comme un super-héros change de costume. Ce super-Dupont sans idéal, dont l’idéologie se circonscrit aux salles de sports est sans doute un caractère littéraire qui marquera à coup sûr notre époque.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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