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L’informatique va-t-elle révolutionner la bande dessinée franco-belge ?

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 24 mai 2007                      Lien  
Alors que s’annonce la prochaine édition de Japan Expo (6, 7 et 8 juillet 2007), et que, de {Spirou} à {Shogun}, ou à {Dofus}, les mangas sont parfois signés par des auteurs franco-belges, la société {{e-frontier}} lance officiellement en juin prochain, {Manga Studio}, un logiciel d'assistance à la création de bandes dessinées.

L’éditeur e-frontier annonce la couleur aux créateurs : son logiciel Manga Studio ne fera pas les bandes dessinées à leur place. Néanmoins, 80% des auteurs japonais l’utilisent. Pourquoi ? Parce qu’il représente un outil puissant qui permet d’optimiser toute une série de tâches traditionnellement très prenantes. En un mot comme en cent, c’est un outil qui fait gagner du temps.

L'informatique va-t-elle révolutionner la bande dessinée franco-belge ?
Thomas Roussel d’e-frontier

Depuis longtemps, les logiciels comme Painter ou Photoshop sont présents dans la panoplie des graphistes, mais celui-ci est différent. Le logiciel Manga Studio coûte entre 49€ dans sa version simplifiée (Debut) et 299€ dans sa version « pro » (Ex). Il s’installe sur n’importe quel ordinateur PC ou Mac. Pratiquement, assorti à une palette graphique Cintiq, il permet de crayonner sa page et, à l’aide de « calques » d’encrer le dessin avec une facilité déroutante. Pas besoin d’attendre que l’encre sèche puisque tout est électronique ! On peut retoucher le trait à sa guise et un assistant aide même à remettre automatiquement les traits droits. On peut importer des objets en 3D ou en 2D (par exemple une photo pour un décor), poser des perspectives comme support aux lignes de fuite d’un décor, poser quelque 1000 à 3000 trames différentes, ajouter une mise en couleur, dimensionner les bulles à façon et taper un lettrage, toujours modifiable, avec une des typos adaptées figurant en stock. Il en résulte une page de BD que l’on peut exporter dans le format que désire l’imprimeur, plus besoin de scanner le dessin.

La prise en main est apparemment simple et l’investissement relativement rentable par rapport au confort qu’apporte cette technique. Ce logiciel est compatible avec les logiciels de référence standard comme Photoshop et bien entendu avec ceux de la gamme e-frontier : Anime Studio (logiciel d’animation) et Poser 7 (3D). En outre, un site en français permet aux utilisateurs d’échanger trucs et astuces.

Une palette graphique, un ordi, et hop ! C’est parti !
Photo : D. Pasamonik

Une avancée créative ?

Est-on face à une révolution industrielle, un peu comme lorsque la presse typographique fut mise à mort par l’impression offset, elle-même ensuite concurrencée par l’impression numérique ? C’est bien possible. Le créateur de bandes dessinées Denis Bajram, pourtant féru d’ordinateur, ne cache pas ses craintes : « Cela va être comme dans le dessin animé, ça va nous donner une génération de produits qui se ressemblent. » Thomas Roussel, spécialiste référent de ce logiciel chez E-Frontier temporise : « Ce n’est jamais qu’un outil de plus. Ceux qui aiment l’encrage traditionnel resteront à l’encrage traditionnel. Par contre, les créateurs plus orientés vers le numérique, et les éditeurs attendent de plus en plus des fichiers numérisés, trouveront là un gros avantage. C’est un support créatif qui apporte surtout un gain de productivité. » Est-ce que donc, techniquement, avec ce logiciel, les auteurs de BD franco-belges pourraient produire plus qu’ils ne le faisaient hier ? Vraisemblablement, oui. Un auteur de chez Bamboo dont le dessin est dans le plus pur style « belge » utilise déjà ce logiciel. Mais là aussi, Thomas Roussel pondère : «  Cela permettra de travailler plus sur un dessin dans le même temps imparti. » Sauf si, à la demande des éditeurs et du public, des séries à succès de l’univers franco-belge se mettaient à paraître au même rythme que les mangas.

Denis Bajram, dubitatif
Photo : D. Pasamonik

Imaginez : Un Spirou, un Tuniques bleues, un Largo Winch tous les trois mois ! On voit tout de suite où est la limite : entre 10€ et 14€ le volume, c’est le portefeuille qui ne suivra pas et les libraires seraient vite engorgés.

Sauf dans le secteur des mangas. A 6€ en moyenne, le manga occupe un terrain qui avait été délaissé par la production franco-belge : les rayonnages des livres de poche présents dans la plupart des points de vente de la grande distribution. En outre, grâce à son prix modique et à ses œuvres adaptées au jeune public, les mangas sont devenus le produit dominant auprès des 10-15 ans. Dans l’hypothèse où, à l’exemple de Dofus ou de Shogun, les éditeurs francophones se mettaient à essayer de reprendre ce terrain perdu avec des productions propres, ce logiciel serait adapté à cette nouvelle donne commerciale. Certains des auteurs de Shogun et Dofus l’utilisent déjà, preuve que la nouvelle génération s’adapte vite. « Ouais, objecte Bajram qui reste dubitatif devant cette tendance éditoriale qui consiste à copier le modèle japonais, tout cela ne veut pas dire grand-chose : les séries de télé françaises, par exemple, n’ont jamais fait vraiment de l’ombre aux séries américaines. »

Manga Studio : Une capture d’écran
(c) e-frontier.

Les éditeurs donneront le tempo

« C’est plus un choix d’éditeur que d’auteur », fait remarquer Thomas Roussel. Sur ce point, il a parfaitement raison. Un certain nombre de productions : Donjons chez Delcourt, Loge noire chez Glénat s’appliquent à proposer à leurs lecteurs des séries, conçues comme des « saisons » de télévision, qui assurent une présence régulière dans les linéaires. Bajram s’en inquiète : «  Le monde se sépare en deux. Il y a les produits qui se jettent et qui sont le plus souvent gratuits, comme le seront bientôt les mangas, payés par la publicité, je suis prêt à ouvrir les paris. Et puis, les produits hauts de gamme, de plus en plus chers… » A terme, c’est la qualité qui risquerait d’en pâtir. « Ce qui est inquiétant, nous dit Bajram, c’est l’impact de ce genre de produit dans dix ans. Il y a des gosses de 15 ans qui vont utiliser ce truc-là pour abattre des pages qui en jettent. Mais ce n’est pas ceux-là qui deviendront des Tardi ou des Bilal. » C’est un pan supplémentaire de notre culture qui fout le camp constate Bajram : « C’est comme pour les typographes actuels. Pour la plupart, ce sont des incultes qui n’y connaissent rien en typographie. Car ils n’ont pas connu le temps où les casses d’imprimerie étaient en plomb, ils se sont formés avec des polices numériques. »

Si l’on est optimiste, on peut se dire que ces outils vont améliorer la qualité moyenne des productions, dans l’hypothèse où le gain de temps est investi par l’auteur dans la créativité. Mais elle mettra aussi plus rapidement sur le marché des dessinateurs opérationnels, dans la mesure où les écoles de bande dessinée suivront le mouvement en donnant l’accès à ces technologies. Elle déplace aussi le centre de gravité de la création sur le terrain de l’originalité des histoires et des univers, ce qui est peut-être un mieux. Mais si la tendance est à l’adage en vogue « travailler plus pour gagner plus », la loi de Gresham s’appliquera, et la mauvaise monnaie chassera la bonne.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

- Une version d’évaluation est disponible sur le site de E-Frontier

- Pour nos lecteurs qui seraient intéressés par ce logiciel, j’ai trouvé pour eux une analyse plus complète sur le site de 3DVF.

- l’éditeur e-frontier sera présent à Japan Expo.

 
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9 Messages :
  • le dessin industrialisé autorisera t il l’émergence de BONNES histoires ?

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    • Répondu par Patrick A. Dumas le 30 mai 2007 à  17:24 :

      Manga Studio (que j’utilise, parmi d’autres logiciels) n’est qu’un outil de plus, au service du dessinateur. Je ne dessine pourtant pas dans le style manga. :-) Même s’il permet de tracer des cases ou des perspectives avec une facilité déconcertante (on s’en fout), il permet, avant tout, un encrage de qualité sur lequel on peut revenir, et revenir, et revenir... tant il est agréable à tenir en main.
      En 2 mots : je ne pense pas gagner de temps, plutôt du confort,voire de la qualité.

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  • Il y a déjà des auteurs français qui utilisent ce logiciel. :)

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  • Je tiens juste à rajouter le nom de l’auteur de chez Bamboo : Arnaud Toulon, vous pouvez visiter son blog !

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  • je dis ça je dis rien mais si la BD s’industrialise encore davantage vous allez avoir une surabondance encore plus marquée que ce que nous connaissons actuellement ! Et comme je doute que la demande suive, vous aurez une dilutions des ventes moyennes (phénomène que nous connaissons déjà, mais ce serait encore pire) avec l’inévitable ajustement des revenus des auteurs qui non seulement recevront des droits plus faibles mais aussi auront des avances / à-valoir plus bas que ce qu’ils ont actuellement. Je maintiens que nous allons droit vers la mangaka-lisation de la profession d’auteur !

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  • LA question reste toujours la même quelle que soit l’avancée technique : que fait-on de cette nouveauté ? A quelles fins emploie t-on cet outil ? La tendance actuelle qui consiste à faire de la manga "a la française" (ce qui se limite à essayer de faire comme les japonais mais en moins bien) est une aberration.
    Utiliser (comprendre) les spécificités de la manga pour les intégrer à la culture européenne, la détourner de ses origines pour l’amener vers quelque chose de différent me semble beaucoup plus intéressant d’un point de vue artistique.
    Le reste n’est que du commerce et de l’éphémère.
    BS.

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  • Le problème est que tout est confondu. Le logiciel, ou l’outil, serait le principal instigateur d’un standard de création voire d’un style d’histoire ? Un peu comme si "le medium était le message". Il n’en est rien : si cet outil permet de gagner du temps sur des tâches ingrates (gommage) ou plus précises (correction des déliés, etc...), je ne vois pas où est le problème.

    « C’est comme pour les typographes actuels. Pour la plupart, ce sont des incultes qui n’y connaissent rien en typographie. Car ils n’ont pas connu le temps où les casses d’imprimerie étaient en plomb, ils se sont formés avec des polices numériques. » nous dit D. Bajram.

    C’est une vision naïve de la chose : l’apparition du mac dans les écoles d’arts et de design ou dans les imprimeries a au contraire permis l’utilisation de la typographie et de la mise en page de manière plus précise qu’auparavant. Le fait de ne plus avoir à travailler avec un composeur en imprimerie n’a rien retiré au graphisme. Au contraire, il y a eu une recrudescence de fonts de qualité, etc... Côté enseignement, il faut des fondamentaux culturels solides et diversifiés, mais l’outil informatique n’a certainement pas occasionné une déliquescence de la connaissance typographique.

    Ce logiciel, pour revenir au sujet, n’est qu’un photoshop spécialisé. La version simple se vendra comme des petits pains auprès d’un armée de gogos qui s’apercevront vite que ce n’est pas suffisant car cela ne remplace pas le talent, la recherche et l’audace. Pour les pros, si cela peut simplifier la partie réalisation. Où est le mal ?

    A voir aussi comment on peut mixer la partie conception et réalisation avec ce genre d’outils, etc... Il y a plein de possibles, de nouvelles méthodes de travail, etc. Je trouve cela enrichissant. Voir comment bossent les Spiegelman, Boilet, etc...

    Ce n’est pas dépassé depuis longtemps ce débat ?

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    • Répondu par Joseph Béhé le 28 mai 2007 à  15:54 :

      Je suis d’accord avec Benoît et Fred, un outil reste un outil, et aussi sophistiqué soit-il, il ne répondra jamais à des questions du type :
      Pourquoi ce trait est meilleur ce celui-ci ? Pourquoi ce plan est moins bon que tel autre ? Comment dois-je cadrer cette scène ? Pourquoi tel système de hachures ne colle pas avec tel autre ? Pourquoi cette tête semble trop grosse alors que dans la case d’à côté la même semble trop petite ? Pourquoi ce geste est-il surjoué ? Pourquoi cette ellipse n’est-elle pas lisible ?... ... Pourquoi c’est si compliqué, la BD ? etc, etc...

      Ca me rappelle une anecdote qui illustrera peut-être ce que je veux dire :
      Il y a quelques années, nous étions quelques auteurs invités au festival de Cousances. Dans la pochette que nous avions reçue de l’organisation du festival il y avait une petite ardoise magique (un minuscule objet publicitaire, pas même un jouet pour enfant). La surface de dessin, toute gondolée, faisait à peine 3 x 4 cm, le stylet en plastique était plus que grossier et la moindre tentative de dessin s’estompait souvent d’elle-même.
      Passé l’heure du café, quelques dessinateurs avaient commencé à dessiner sur leur ardoise. Au début tout le monde pestait devant la rusticité de ce truc, certains auteurs les jetant même à l’autre bout de la pièce. Et puis, au bout d’une vingtaine de minutes, les "créations graphiques" étaient devenues tout à fait surprenantes. On commençait à jouer avec les accidents de la surface, avec les brillances, avec la rudesse de l’outil.
      Bref, LES PARTIS PRIS DES AUTEURS SE FICHENT PAS MAL DES POSSIBILITÉS DE L’OUTIL.

      C’est exactement comme pour ce logiciel super-sophistiqué car ce n’est jamais l’outil qui fait l’oeuvre.
      Ce logiciel m’apparait comme une agrégation et peut-être même une amélioration d’outils jusqu’ici disparates. Tant mieux pour ceux qui vont travailler avec.
      Qu’il s’appelle "Studio Manga" , "la BD facile" ou "Cyber Grafic Pro + +"... ça ne change rien à l’affaire. Contrairement à la légende de la photo qui emboite le pas à la pub en disant : "une palette graphique , un ordi et hop ! (c’est parti !) ... quand on a ce logiciel, les vraies difficultés du médium (à savoir les ressorts complexes du langage texte-image) resteront aussi sournoisement présentes que sur une vieille feuille de papier.

      A mon avis, le débat n’est dépassé que pour les dessinateurs qui ont compris cela. Pour tous les autres, pour les amateurs, pour le public, et à défaut d’un éveil artistique minimum, le débat restera (hélas) toujours d’actualité.

      Voir en ligne : Joseph Béhé

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    • Répondu par Alex le 1er juin 2007 à  02:09 :

      "Ce n’est pas dépassé depuis longtemps ce débat ?"

      Tu l’as dit ! Je me souviens bien de mes études, l’introduction de la typographie digitale dans les écoles de graphisme remonte à 27 ans !...

      La culture et le savoir-faire c’est pas un ordinateur qui peut te le donner comme ça par une opération du Saint-Esprit, et un morceau de fonte en plomb n’aide pas beaucoup plus...

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