C’était très visible à Japan Expo : sur le stand de la Shueisha qui fêtait les 40 ans de Shônen Jump, soit un des meilleurs catalogues de bande dessinée du monde (Dragon Ball, Naruto, Death Note, etc.), un corner était consacré aux bandes dessinées lisibles sur le téléphone. « Repoussant les limites des médias, racontait un teaser qui passait en boucle sur un écran, sur console, à la télévision, voici la nouvelle coqueluche des Japonais : le manga portable ! »
Le manga portable
On vient d’en avoir la confirmation cette semaine. Surfant sur le succès de la Wii de Nintendo (plus de 15 millions d’exemplaires vendus de par le monde), les éditeurs japonais Shueisha, Shogakukan, Kadokawa Group Publishing, Kodansha, et TOSE viennent de signer avec le fabricant de consoles un accord qui leur permet d’offrir aux possesseurs de Wii, grâce à une plate-forme commune intitulée Librica, la possibilité de télécharger, moyennant le paiement d’un abonnement, les mangas qu’ils désirent.
»Cinematic Comics »
De son côté, MTV vient de mettre en commercialisation une série de 12 épisodes de la série Invicible créé par Robert Kirkman (scénario) et Cory Walker (dessins), une création de 2003 publiée par Image Comics et qui en est au 50ème épisode en kiosque, une déclinaison de la BD sur iTunes, X-Box live, les téléphones mobiles, la télévision ou d’autres supports. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas d’une animation traditionnelle, d’un film, mais bien d’une « bande dessinée animée » (Cinematic comics) selon un procédé appelé Bomb-xx développé par la société Gain aux États-Unis : des ballons en pop-up, des voix d’acteurs et de la musique viennent enrichir la BD en offrant une qualité de lecture d’un genre nouveau. Sa diffusion en multi-plateformes devrait permettre de toucher des non-lecteurs de bande dessinée.
Un nouveau marché ?
Chez nous, les éditeurs commencent sérieusement à travailler sur le dossier. Média-Participations, à travers sa filiale Mediatoon, et Casterman sont les plus en pointe. À Montpellier, la société Aquafadas développe des solutions numériques pour la lecture de bandes dessinées sur ces supports. Sa pédégère Claudia Zimmer est confiante dans le modèle économique : « Nous ne sommes qu’un petit sillon derrière celui, énorme, de la musique, de la vidéo et du jeu vidéo. Au Japon et en Corée, ces nouveaux supports sont déjà installés mais dans des formes primitives. On est dans du « case par case » avec des déplacements relativement sommaires. Mais l’avantage de ces pays-là, c’est leur très forte habitude de l’achat par le téléphone portable. Les Japonais achètent déjà de la BD par ce truchement. En France, on en est encore loin ! En Corée, le marché de la BD numérique a atteint le marché papier en quatre ans. On voit apparaître aussi de la part des éditeurs japonais, et ce , de plus en plus, une attitude de marketing agressif. Ils décident eux-même de laisser des segments inédits de leurs BD, procédant à une sorte de prépublication en ligne, afin de créer un trafic, de repérer les blockbusters et de lancer ensuite en librairie ce qui a marché sous cette forme. Marvel et DC Comics sont sur les mêmes types de schéma. »
Une influence sur la création
Il est clair que cette nouvelle donne doit donner à réfléchir.
Elle modifiera une fois de plus les us et les coutumes de nos métiers. Si Shueisha est venue directement à Japan Expo avec ces produits, c’est parce qu’il semble évident qu’elle se positionne comme le premier opérateur de leur diffusion, en essayant si possible d’accéder directement au consommateur sans passer par un licencié.
Autre problématique : comme cela s’est passé dans la télévision avec les droits sportifs ou cinématographiques, les opérateurs des réseaux téléphoniques et numériques peuvent interférer sur les équilibres éditoriaux. Les éditeurs de BD du futur auront peut-être pour noms Orange ou Vodaphone…
Enfin, artistiquement, ce sont les créateurs les plus au fait de la « chose numérique » qui seront les plus aptes à s’adapter. Il semble évident que les dessins les plus schématiques (graphiquement s’entend : Charlie Schultz ou Chris Ware par exemple, comparés à Barry Windsor-Smith ou François Schuiten) ont plus d’avenir sur ces supports que les graphistes plus illustratifs. Scénaristiquement, les modules courts comme les cartoons de Philippe Geluck ou des frères Coudray, ou les gags de Midam et de Zep, sont également plus adaptés pour ces formats.
(par Didier Pasamonik - L’Agence BD)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Lire aussi : Didier Pasamonik, Les enjeux économiques de la bande dessinée numérique sur Mundo-BD.fr. (30 mai 2008).
Lire un extrait de Invicible sur le site du New-York Times (en anglais).
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