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La Bande Dessinée, Recherche & Développement du cinéma ?

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 17 octobre 2008                      Lien  
À Francfort, une intervention publique de Chuck Rozanski, le patron de la librairie spécialisée de comics Mile High Comics a fait sensation. Selon lui, la bande dessinée américaine subit une curieuse transformation : elle serait devenue le secteur « Recherche et Développement » (R&D) d’idées pour Hollywood.
La Bande Dessinée, Recherche & Développement du cinéma ?
Hellboy, en salle en France le 29 octobre 2008
(c) Paramount Pictures France

Avec son catogan et sa cravate western, Chuck Rozanski est une figure de la Foire du Francfort où il se rend depuis 25 ans pour recruter des clients pour sa boutique Mile High Comics, le rendez-vous des amateurs de comics depuis 1974, en particulier depuis sa présence en ligne dans les années 1990. Il a connu dix présidents de Marvel successifs. « Je collectionne leurs cartes de visite » plaisante-t-il. Sa force ? Il entretient un stock permanent, la plupart des comics étant disponibles chez lui quand ils sont épuisés chez Amazon ou dans d’autres points de vente. Depuis plusieurs années, Rozanski pèse sur le marché de la BD aux États-Unis au point qu’on a pu le retrouver comme conseiller de Marvel ou DC ou dans le board d’un groupe d’investisseurs prêt à débourser 250 millions de dollars en cash lors du dépôt de bilan de Marvel en 1998.

Ne mâchant pas ses mots, Chuck estime que la bande dessinée aux USA est totalement à la remorque d’Hollywood. Il considère que les ventes ont tellement baissé que l’éditorial n’est plus rentable. « Mais il suffit, dit-il, d’un seul « Batman : The Dark Knight » ou d’un seul « Spider-Man » pour financer toutes les productions de l’année  ». Et les Graphic Novels ? Pas mieux : « Un sur cinq seulement est rentable » estime l’expert qui considère que la Small Press a comme seul objectif de viser le seuil de rentabilité, c’est tout. Dès lors, la dérive est patente.

Chuck Rozanski, CEO de Mile High Comics, hier à Francfort
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Il estime le chiffre d’affaires du marché américain de comics à 1 milliard de dollars en 2007, «  dont 75% sont des ventes du fond constitué principalement de rééditions » alors que ce rapport était inversé dix ans plus tôt. La BD n’intéresse pas fondamentalement les actionnaires de Marvel et DC. Il cite en exemple cet ancien président de Marvel qui changea dans les années 1990 le nom de Marvel Comics en Marvel Entertainment, surtout parce que sur sa carte de visite, le mot « comics » était dévalorisant par rapport à ses partenaires de golf ou dans ses dîners en ville.

Depuis que la BD fait des scores au box office, cette situation s’est aggravée. Le Festival (ComicCon) de San Diego, constate-t-il, est devenu à plus de 50% un lieu où Hollywood vient lancer le buzz de ses films à venir et y vendre ses produits dérivés. Dans les allées, la BD se raréfie. Chaque année, de nouveaux « éditeurs » apparaissent et ne se retrouvent plus l’année suivante : ils venaient en fait proposer sous la forme de BD un pitch pour leurs projets, espérant qu’un producteur s’y intéresse.

Hellboy de Mike Mignola, publié aux éditions Delcourt, sort en salle le 29 octobre prochain. Hollywood est devenue le principal sponsor de la BD américaine d’aujourd’hui.
(c) Paramount Pictures France

Il raconte avec complaisance cette anecdote savoureuse : Un jour, un type lui propose une BD pour sa boutique. Hormis les couvertures confiées à des artistes réputés, elle est franchement nulle. Il ne pense pas en commander plus de 20 exemplaires. Son interlocuteur lui suggère d’en commander 200 à son distributeur Diamond Comics (quasi le seul distributeur de comics aux USA), ce qu’il refuse, jusqu’à que notre « éditeur » lui offre de les racheter un dollar plus cher que ce qu’il les aurait payés. Pourquoi fait-il cela ? Parce qu’il est en train de vendre les droits de sa BD à Steven Spielberg. Celui-ci est intéressé par le pitch mais attend de voir comment ce nouveau comic book se comportera en librairie. Grâce à cette manœuvre opérée auprès des principaux points de vente, le titre figure brièvement dans le Top 3 des meilleures ventes de Diamond Comics. Cette information, selon Chuck Rozanski, suffit à faire conclure l’affaire : notre éditeur-scénariste vendit effectivement son script à Spielberg.

L’histoire ne dit pas si le film sortit finalement, mais elle illustre suffisamment une tendance profonde des mœurs éditoriales américaines d’aujourd’hui.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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4 Messages :
  • mais il est certain que le genre est actuellement à la mode à Holywood. Plusieurs films du genre ont été de gros succès, mais même les moins réussis n’ont pas été de vrais bides. Ainsi, le DVD du Punisher a été un succès en vidéo-club ce qui a compensé le faible nombre d’entrées en salle. Et en dépit de l’insuccès commercial du film d’Ang Lee, Marvel a gagné plein d’argent grâce aux nombreux produits dérivés de Hulk destinés aux enfants de 4 à 9 ans, notamment une magnifique paire de gants de boxe en plastic verdatre vendueà plusieurs millions d’exemplaires !!

    Qui se souvient que la série à succès des "Men in Black" est inspirée d’un comics paru à l’époque chez Malibu, petit label racheté par Marvel à grand prix au cours des années 90 ? Il me semble que les liens entre le cinéma et la BD sont de nature diverse. La série de comics Iron Man n’est guère flamboyante aux Etats-Unis, elle a quand même donné lieu à un excellent film. De plus le personnage de base fut momentanément en vedette grâce au rôle important qu’il eut dans l’importante storyline Civil War, ce qui permit à la Marvel de publier avec opportunisme de nombreux TPB et hardcovers consacrés au milliardaire alcoolique et cardiaque en armure.

    Du coté des éditeurs indépendants, il ne faut pas oublier les séries du label Legends de Dark Horse qui ont donné lieu à deux films à succès adaptés avec fidélité de Frank Miller (300 et Sin City), ainsi qu’à deux Hellboy de l’excellent Guillermo del Toro, réalisés en collaboration avec le créateur du personnage, l’ègalement excellent Mike Mignola.

    L’avantage des producteurs est double : les comics réalisés regorgent de concepts testés auprès des lecteurs pendant des dizaines d’années, et le nom de séries connues permet de susciter l’intérêt des fans

    Répondre à ce message

  • La Bande Dessinée, Recherche & Développement du cinéma ?
    19 octobre 2008 13:50, par Ammar Abboud

    "Du coté des éditeurs indépendants, il ne faut pas oublier les séries du label Legends de Dark Horse qui ont donné lieu à deux films à succès adaptés avec fidélité de Frank Miller (300 et Sin City), ainsi qu’à deux Hellboy ..." surtout the Mask (mais pas Barbwire avec Pamela Andeson !)

    "L’avantage des producteurs est double : les comics réalisés regorgent de concepts testés auprès des lecteurs pendant des dizaines d’années, et le nom de séries connues permet de susciter l’intérêt des fans"

    le nombre de fan n’est pas assez pour rentabiliser un grosse production mais le fait que la BD adapter peut etre ’franshizable’ en trois films est ce qui fait briller les yeus des Picsous de Hollywood.

    Répondre à ce message

  • Cher Didier,

    Rozanski s’écrit avec un z...

    Cordialement
    JP Gabilliet

    Répondre à ce message

    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 20 octobre 2008 à  21:30 :

      Blood and Guts, c’est vrai ! C’est corrigé. Merci.

      Répondre à ce message

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