La Chute : la bande dessinée qui prédisait une pandémie mondiale bien trop réaliste…

Au début de la crise du coronavirus, de facétieux amateurs de bande dessinée se sont amusés à relever la présence d’un certain « Coronavirus » dans l’album La Transitalique, sorti en 2017… Astérix comme nouveau Nostradamus  ? Jean-Yves Ferri et Didier Conrad comme annonciateurs des temps actuels ? Que nenni, la réponse est bien plus simple : le tandem choisi par feu Uderzo avait entendu parler, probablement en 2003, pendant la crise du SRAS, de cette famille de virus responsables d’infections respiratoires.

En revanche, si vous voulez voir un album réellement annonciateur de la crise que nous traversons, il existe et a été publié le 4 mars dernier, moins de deux semaines avant le début du confinement… Son nom semble tout droit sorti de l’imaginaire de Camus : La Chute. Et de fait, l’histoire de cet album n’est pas sans rappeler le récit de la vie quotidienne des habitants d’Oran en pleine épidémie de peste décrite dans un autre récit du grand romancier : La Peste.

Nous sommes ici dans un futur proche, à Berne, aux prises avec une épidémie mondiale, une grippe estivale qui a frappé une première fois de manière meurtrière, à laquelle on a trouvé un vaccin, et qui revient pour une seconde vague, infiniment plus dévastatrice. Les transports en commun sont suspendus, les écoles et les universités sont fermées (mais les cours sont, dans un premier temps, assurés en ligne), l’économie est à l’arrêt, le gaz et le pétrole viennent rapidement à manquer. Face à ce virus mutant, la médecine est désarmée, les hôpitaux très vite envahis, l’armée dépassée. Cela conduit très vite à un état de guerre entre une police qui boucle de nombreux quartiers devenus de véritables mouroirs et des pillards qui tentent de survivre par tous les moyens, pour éviter autant le virus que la famine qui s’ensuit.

Liam, un père de famille, prend de plein fouet cette réalité apocalyptique : sa femme, infirmière, meurt à l’hôpital sans qu’il ne puisse la revoir et il doit veiller sur sa fille et son fils, et tenter, tant bien que mal, de les nourrir, de les sauver, à la fois des voisins, des pillards, des forces de l’ordre, du virus et d’eux-mêmes… Ils tentent d’abord de survivre au mieux, avant de se résigner à fuir le pire, ce qui les entraîne rapidement dans une descente aux enfers servie par des couleurs cuivrées parfaitement maîtrisées.

Jared Muralt, jeune auteur suisse vivant à Berne, nous livre son premier album et force est d’admettre que l’on a affaire à une œuvre parfaitement maîtrisée. La puissance narrative est digne des meilleurs films catastrophes hollywoodiens, le trait fin et réaliste à l’extrême est servi par des couleurs très justes. Peu avant sa sortie, l’auteur expliquait vouloir « raconter une histoire qui se passe dans un monde post-apocalyptique », un récit futuriste dans lequel « une société est attaquée par un virus dont elle ne comprend pas la dangerosité dès le début. »

Tout cela suscite bien évidemment un écho très différent dans le contexte actuel. Cette bande dessinée se révèle alors totalement anxiogène, avec ses couleurs crépusculaires et sa description d’un futur qui ressemble de plus en plus à notre présent. On aimerait que tout ceci ne soit que fiction, mais notre espoir s’abîme chaque jour davantage. Si jusqu’ici, vous avez réussi à rester tranquilles en dépit du coronavirus et que vous voulez sentir l’angoisse vous oppresser la poitrine, n’hésitez pas : amateurs de sensations fortes, cet album est fait pour vous ! Pour les autres, attendez un peu…

On a surtout envie de découvrir la suite de ce triptyque, tout en priant pour que ces lectures à venir se fassent dans un contexte plus serein qui nous permette d’apprécier pleinement l’œuvre sans qu’elle n’entre encore en résonance aussi violente avec un contexte si morose…