Fin des années 1990, les temps sont devenus durs pour la franchise Teenage Mutant Ninja Turtles, dorénavant moins resplendissante et absente du petit écran qui avait fait sa gloire. Le fabricant de jouet Playmates Toys a même cessé de produire des figurines TMNT en 1999.... Conséquence : la licence et les séries comics sont en sommeil...
Décembre 2001. Mirage Studios reprend la main sur la série de comics Teenage Mutant Ninja Turtles, avec le retour de Laird aux commandes. Il essaie de redonner un nouveau souffle à la franchise avec Jim Lawson au dessin après plus de deux ans d’interruption du titre.
Pour publier une série de comics effaçant la continuité instaurée par les auteurs d’ Image Comics, laquelle avait quelque peu contrarié les fans comme nous vous l’expliquions précédemment, Laird explique diplomatiquement la raison de ce nouveau virage aux lecteurs : "Comme je l’ai déjà dit, je suis très sensible au fait qu’Erik Larsen ait relancé et publié le livre TMNT chez Image Comics et Gary Carlson a fait beaucoup de travail intéressant sur cette série. Mais comme je l’ai dit aussi, ce n’est pas la direction vers laquelle je serais allé si j’avais dû écrire le livre. Maintenant que je suis de retour à l’écriture de cette nouvelle série, ce qui a pour moi le plus de sens est d’ignorer ce qui s’est passé dans ces numéros produits par Image, et d’aller de l’avant en utilisant seulement ce que je perçois comme la « continuité Mirage Comics »".
Il en profite aussi, puisque la nouvelle série est un -relatif- succès, pour relancer Tales of the TMNT et "corriger une erreur de départ." Ainsi le nom du personnage Michaelangelo sera correctement orthographié Michelangelo comme le célèbre artiste de la Renaissance. Ce sera le Volume 4 de la série avec ses 30 numéros et une longue interruption après le 28, Laird se concentrant plutôt sur la production du film d’animation en images de synthèse sorti en 2007, sobrement nommé TMNT.
Sursaut, cependant : en 2003 une nouvelle série animée, au ton plus proche des comics originaux, avait ressurgi sur les écrans. Playmates Toys reprit alors timidement sa production de figurines avec les personnages.
Ce dernier numéro de ce volume 4, sorti en 2004, montre à quel point la conjoncture globale a changé : pour les deux derniers numéros de cette série, le tirage papier est de... 1000 exemplaires seulement ! Soit trois fois moins que le premier humble comics auto-édité par Laird et Eastman à leurs débuts, car une lecture en ligne est possible. Un numéro 31, paru en mai 2014, à la date d’anniversaire des 30 ans de la série, est d’ailleurs uniquement disponible pour une consultation en ligne... Ce mode de diffusion semble être la voie choisi pour les développements futurs du titre. Avis aux lecteurs intéressés...
Mais bien que cette série n’ait pas été officiellement conclue par Laird qui n’a pas de plan pour en publier davantage dans l’immédiat, rien n’est cependant écarté : le succès du long métrage 3D/Live action sorti à l’été 2014 a été concluant : presque d’un demi-milliard US$ de recettes pour un investissement de 125 millions US$. La preuve est faite : 30 ans après leur création, les Tortues sont toujours "evergreen" !
Pour cet anniversaire, on a bien sûr eu droit, dans un processus éditorial propre à perdre le lecteur, à une réimpression intégrale des comics d’origine de Mirage Studios. Une réimpression en couleurs ou dans son noir et blanc d’origine, avec les mini-séries mettant en valeur différents personnages, seuls ou accompagnés, et des cross-over de toutes sortes.
Il y a aussi eu, pour être complet, des comics dérivés de la série animée de 2003, écrits par Peter David et dessinés par LeSean Thomas, lequel travaillait aussi sur le design de la série TV publiés par chez l’éditeur Dreamwave Productions.
Las, cette publication a elle aussi très vite été interrompue en raison de ventes médiocres. L’effet Cowabunga n’agit plus ! Quand on pense qu’au faîte de leur popularité, entre 1990 à 1997, les Tortues mutantes étaient publiées dans 250 journaux grâce à un strip quotidien écrit et dessiné par Dan Berger , dessinateur du studio Mirage !
Cause ou conséquence ? En 2011, Mirage Studios passa la main, à la suite du rachat de la licence TMNT par la chaîne de télévision jeunesse américaine Nickelodeon. Le label IDW Publishing, lui-même filiale du géant américain de médias de masse Viacom Inc., comme Nickelodeon, est actuellement l’éditeur d’une nouvelle série de comics mensuels .
Autre temps, autres mœurs
Ces dernières initiatives sont ni de Laird, ni de Kevin Eastman qui s’était entre-temps séparé de son complice. Déjà le 1er Juin 2000, Eastman avait vendu sa part de la franchise à Laird et au groupe Mirage Studios, à l’exception d’une petite participation. Le 1er Mars 2008, Laird et Mirage avaient ensuite racheté les derniers droits et intérêts d‘Eastman sur la licence TMNT. Ce dernier semblait alors davantage intéressé par d’autres projets, souvent hollywoodiens, ou au développement du magazine Heavy Metal dont il était le propriétaire depuis 1990.
Ensuite, chacun est parti de son côté : Laird est resté dans le Massachusetts et Eastman a déménagé en Californie. Dans une interview de 2002, Laird avait noté que les deux amis n’avaient finalement pas passé beaucoup de temps ensemble depuis 1993. En ce qui concerne la vente des droits d’Eastman sur la franchise TMNT à Mirage Studios, Laird a déclaré que sa conviction était que Kevin était "juste fatigué de tout ça et qu’il voulait passer du temps à travailler sur d’autres choses."
Le 19 Octobre 2009, Laird, peut-être lassé également, a vendu à son tour la franchise à Viacom Inc/Nickelodeon, bien qu’il conservât toujours le droit de créer et publier jusqu’à dix-huit comics en noir et blanc par an basés sur la franchise.
Interrogé, il avait franchement avoué : "À ce stade de ma vie, je suis probablement la mauvaise personne pour parler de comics, parce que ces derniers temps – en fait, pour les cinq dernières années au moins – je n’en lis presque plus. J’aime toujours « Usagi Yojimbo » de mon ami Stan Sakai , et il y avait une autre série de SF qui suscitait mon intérêt : « Runners » de Sean Wang – mais, pour différentes raisons, je ne suis plus le monde des comics de la même façon que jadis. La passion est partie." Il précise encore : "Vous avez vu mon travail d’illustration de ces trente dernières années ? Exclusivement consacré aux Tortues Ninja ! »
Cette nouvelle série TMNT publiée par l’éditeur IDW Publising voit cependant le grand retour d’Eastman aux commandes sur le titre (il avait jusque à seulement été sollicité pour une couverture), principalement sur le découpage des planches : "Il était tout simplement temps pour moi de revenir à ma planche à dessin et faire ce que j’aime le plus : des comics" dira-t-il , enthousiaste, après quinze ans d’éloignement créatif sur le titre : "Mon implication dans les « Teenage Mutant Ninja Turtles » pour IDW, il y a près d’un an m’a rappelé deux choses : combien j’aime écrire et dessiner des comics, et combien j’aime écrire et dessiner des histoires avec les Turtles".
Cette nouvelle série revoit une nouvelle fois -autre délicatesse typique des comics- la continuité de base de la série et esquisse de nouvelles origines aux principaux protagonistes dans un cadre plus contemporain pour faire plus ou moins table rase du passé, tout en jouant avec les fans de la première heure à grands coups de clins d’œil complices.
C’est la dernière série en cours, pourvue de micro-séries indépendantes reliées au titre principal. IDW Publishing a aussi annoncé qu’il avait non seulement acquis les droits pour la publication d’une nouvelle série avec les Tortues, mais aussi pour réimprimer les anciens numéros. En France, le label Soleil US Comics s’est chargé de sortir une traduction française de cette dernière version début 2012, mais de gros pans de cette édition restent encore inédits. Si l’éditeur de Soleil, Jean Wacquet, nous lit, on veut bien qu’il nous éclaire sur ses intentions...
Pour le 30e anniversaire de la création des Tortues, en 2014, l’éditeur IDW avait annoncé en grande pompe que Kevin Eastman et Peter Laird, les créateurs originaux, s’étaient à nouveau réunis pour concevoir un numéro spécial en couleur de 48 pages du comics : "Travailler sur les comics TMNT avec la merveilleuse et incroyable équipe IDW au cours des trois dernières années m’a rappelé à quel point j’avais adoré ces quatre types verts à carapaces et combien ils m’avaient manqué » déclara pour l’occasion, de façon dithyrambique et très professionnelle, Kevin Eastman : "Apprendre à nouveau à travailler avec mon co-créateur Peter Laird est la cerise sur ce gâteau, et plus encore ! Tout ça me ramène trente ans en arrière, aux tout premiers jours de notre vie active, faisant par la même occasion remonter nos plus beaux souvenirs". Séquence émotion garantie chez les fans. Un discours la tête dans les étoiles, mais néanmoins avec les pieds bien ancrés sur terre, comme on peut le voir...
On sait que, par le passé, il y avait eu mille occasions de rupture. Laird et Eastman avaient souvent eu des désaccords sur les Teenage Mutant Ninja Turtles, avec un Laird plus conservateur au sujet de la mythologie dorigine et un Eastman créativement aiguillonné par les expériences visuelles et narratives inspirées par sa proximité d’esprit avec le magazine Heavy Metal, si cher à son cœur : "Avec le temps, j’étais enclin à amener les Tortues vers des histoires plus pointues et plus acérées, mes différentes sensibilités créatives étaient totalement ancrées dans l’univers de Heavy Metal" se justifia-t-il plus tard dans le Comics Journal. Ainsi « Bodycount », l’histoire des Tortues sur laquelle il avait travaillé en 1996 chez l’éditeur Image Comics, était un « chant d’amour » aux films du réalisateur de Hong Kong, John Woo. Eastman a repoussé dans ce récit avec les tortues mutantes les limites de la violence au-delà de la ligne où son compère Laird -absent de cette création- était prêt à aller.
"Les tortues avaient toujours été des personnages de cape et d’épée dans l’esprit. Quand nous introduisions de la violence, elle se passait toujours hors caméra. C’était toujours une allusion à un acte de violence sans le montrer, explique Eastman. Si l’un des personnages prenait un mauvais coup avec une épée par exemple, vous pouviez apercevoir un peu de projection de sang mais vous n’auriez jamais vu un bras voler à travers la case. Dans Bodycount en revanche , vous en avez entrevu davantage . Vous avez vu des coups de pieds et de poings ainsi que des impacts très sévères où des têtes et des globes oculaires explosent et des estomacs sont transpercés. Nous sommes allés jusqu’à l’extrême limite, ce qui était finalement probablement inapproprié", répéta-t-il encore dans un rire un rien provocant.
Mais c’est à partir de là qu’il a ensuite décidé que s’il voulait faire une histoire violente, il le ferait avec d’autres personnages, laissant les Tortues Ninja "pures" : "Vous ne pouvez pas aller trop loin au-delà d’une certaine limite, ou les fans purs et durs se mettent en colère contre vous" concluait-il. "Ils veulent que leurs personnages fétiches "agissent" et "vivent" correctement."
Le retour promis de la fine équipe aux commandes d’une potentielle histoire inédite est une bonne nouvelle pour beaucoup de fans. Selon eux, Eastman et Laird sont des créateurs avec deux sensibilités radicalement différentes. Ainsi, Eastman aime le gore "gratuit", l’action rapide au détriment de l’histoire, les milieux urbains violents et rugueux. Laird, c’est tout le contraire : ses histoires tirent vers la science-fiction le plus souvent, il est réservé et prude au point qu’il ne permet pas à ses personnages de jurer grossièrement, même du bout des lèvres ! Il préfère l’échange de paroles entre les personnages, les bavardages et la narration décompressée, à l’action excessive...
Plus important encore, Eastman s’est rendu compte, comme Spider-Man, qu’un grand pouvoir engendrait une grande responsabilité : "Il ne s’agit pas seulement de deux simples artistes assis dans une salle de séjour à Dover qui dessinent et chahutent insouciants en délirant comme au premier jour : c’est une série et des personnages appréciés par des gens dans le monde entier, et beaucoup d’entre eux sont très jeunes ! " Responsabilité donc, et sages paroles pour monsieur "boum boum" Kevin, même si elles sont un rien contradictoires.
Ensemble, Eastman et Laird avaient trouvé un très grand équilibre dans la narration de leurs histoires écrites en commun. Pour les fans inconditionnels des tortues mutantes, leurs goûts contrastés forment un équilibre parfait, comme le Yin et le Yang de la philosophie chinoise. Leurs sensibilités et goûts particuliers vont très bien quand il sont associés ; mais lorsqu’ils poursuivent leurs propres projets individuellement, eh bien, l’ensemble du récit souffre d’un manque. Quand ils travaillent en commun, le compromis donne à lire des comics savamment dosés d’aventures urbaines et de science-fiction, avec une action explosive et de fins portraits de caractères ; aors qu’individuellement, au contraire, les deux auteurs laissent trop affleurer les coutures épaisses de leur style de narration.Trop de schproum badaboum avec Eastman et trop de lénifiante contemplation avec Laird !
Dans le film récent produit par Michael Bay -qui avait déjà su si bien relancer et faire fructifier la licence Transformers pour Paramount Picture qui l’a pour cette raison à nouveau mandaté ici- Eastman était le seul co-créateur consultant, ce qui a valu de jolis commentaires de ces fans irréductibles très actifs. D’autant que Laird avait de son côté émis quelques bémols quant au résultat final...
Comme le film de 2014 a été, nous l’avons vu, un grand succès, une suite est d’ores et déjà annoncée pour 2016 et un troisième film serait en préparation. Nickelodeon (filiale sœur de Paramount) désirait trouver un second souffle et avait racheté pour ce faire la licence Tortues Ninja, on l’a vu nettement sur le déclin.
Rachat finalisé pour 60 millions US$ en 2009, avec l’idée derrière la tête de renouer avec le succès et les chiffres de vente des plus belles années.La fameuse société de production hollywoodienne avait d’abord lancé une nouvelle série d’animation en images de synthèse qui connut les faveurs du public. Le long métrage à son tour cassa la baraque et la société californienne Playmate Toys ressortit une nouvelle gamme de jouets, et dans plusieurs pays, ces jouets sont en tête des ventes, comme aux plus beaux jours !
On peut donc s’attendre dans les années à venir à une nouvelle déferlante de ces curieuses tortues adeptes du ninjutsu...
FIN
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
En médaillon : Illustration de Kevin Eastman et Simon Bisley. © Mirage studios, K. Eastman & S. Bisley.
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