"La Farde perdue" : un biopic original sur le dessinateur Tomi Ungerer

Bien que Tomi Ungerer n’ait jamais de publié de bande dessinée,l’illustrateur disparu en 2019 n’en était pas moins proche par l’esprit et sa vision du monde. Aujourd’hui encore il reste un créateur incontournable.

L’œuvre du dessinateur alsacien est loin de se limiter à la littérature jeunesse ou l’affiche. Ceux qui ont eu la chance de visiter le musée qui lui est consacré à Strasbourg n’ignorent rien du talent protéiforme d’un auteur qui n’a pas hésité à explorer toutes les formes d’arts graphiques : du dessin humour, du message politique, des affiches militantes ou publicitaires aux productions érotiques parfois sulfureuses. Enfant terrible de l’Alsace résidant en Irlande, cet artiste d’une grande créativité a incontestablement marqué son époque.

Déjà tout petit...le dessin !

Plus qu’un biopic sage et appliqué, la narration repose sur une fiction imaginée par Emmanuel Murzeau. Le récit prend prétexte de la sieste du maître pour revenir sur les grandes étapes de sa vie. De souvenirs en rêves et autres flash-backs, l’auteur évoque aussi bien les liens très forts qui unissaient le dessinateur à sa mère, sa double culture française et allemande, que le traumatisme provoqué par la guerre ou ses obsessions personnelles, sexuelles, et son humour souvent provocateur.

Aucun trait de la personnalité de ce personnage complexe et attachant n’est écarté dans ce livre original et inédit aussi bien dans la forme que le fond. De son Alsace natale aux landes Irlandaises, de New-York à Hambourg, nous suivons l’itinéraire de l’auteur des Trois Brigands (École des loisirs) dans ses différentes pérégrinations et sa lutte pour la libre d’expression

Un galerie de personnages à l’image de la personnalité de son auteur.

Le choix d’un traitement à l’aquarelle par Emmanuel Murzeau confère à ce biopic une ambiance particulière, douce, faite de lumières en demi-teintes, crépusculaires. Images d’enfance, imaginaire nourri de fantasmes ou de fantaisie se déclinent tout au long de cette recherche (fictive) d’une pochette d’originaux dans le Paris de 1990.
L’exercice n’est pourtant pas sans risque. Comment rester fidèle à l’esprit de la personnalité choisie sans lui faire dire ce qu’elle n’a pas dit ou pensé sans s’attirer les foudres des « gardiens du temple » souvent prompts à crier à la trahison ?

Pour contourner cette difficulté, l’auteur a privilégié une approche sobre, à bonne distance aussi bien sur le plan graphique que narratif. Ce passage par la fiction s’avère un procédé narratif efficace et particulièrement adapté pour représenter la vie de l’illustrateur sous un aspect original.

Auteur de de la série Les Aphrodites et l’Académie des Dames publiés chez Tabou, Emmanuel Murzeau vit à Berlin après un passage par les beaux arts de Poitiers ; il fait ses débuts en 2007 aux éditions Petit à Petit avec Northmen (sur un scénario de Mathieu Gabella). À travers une démarche narrative singulière et un graphisme fluide et chaleureux, il dresse un portrait fidèle et sensible de l’artiste.

Très documenté, l’ouvrage propose plusieurs notes et de nombreuses sources en complément de la bande dessinée. Petit et jeune éditeur alsacien, Félès propose un ouvrage de qualité, solide sur le fond, réalisé avec soin et imprimé localement ! Une spécificité à noter.

Un album qui, à coup sûr ravira tous les amateurs...et les autres !