Cette fois encore la jolie voyante se trouve au cœur d’intrigues au sein desquelles on croise aussi bien l’empereur Napoléon III et le baron Hausman, célèbre artisan de la transformation du Paris du XIXe siècle, qu’un prétendant à la cour de Russie !
La jeune femme ne manque pas pour autant de soupirants ; parmi eux on compte un étudiant gentiment romantique, deux scaphandriers jumeaux, un fils illégitime du tsar, et Julot, un pilote de bateau-mouche. Si tous se battent pour le cœur de Julie, chacun d’eux poursuit un objectif précis et cherche à utiliser les dons de la belle voyante soit pour renverser l’empereur des Français pour les uns ou le tsar de Russie pour les autres !
Une fois de plus, cette sympathique héroïne se retrouve au cœur des manigances et complots politiques bien caractéristiques de l’époque, alors même qu’en fond, se prépare la nouvelle exposition universelle de 1867. Elle aura fort à faire pour résister aux pressions plus ou moins subtiles de ses différents séducteurs.
Mais qu’on ne s’y trompe pas, cette série ne se réduit pas aux amourettes de la belle Julie, le récit baigne dans un contexte historique particulièrement présent à travers le style graphique des décors, des architectures ou même de certaines mises en pages rappelant l’imagerie de cette époque. De plus, les intrigues solidement documentées et pourvues de nombreux rebondissements nourrissent une narration haletante et agréable à lire.
Cette série, scénarisée par Jack Manini et dessinée par Etienne Willem, nous propose de suivre les mésaventures de Julie, voyante de son état, au travers des différentes expositions universelles. De 1855 à 1937, la France fut prise d’une véritable frénésie d’expositions vantant aussi bien l’industrie que les bienfaits de la colonisation. Au-delà de la Tour Eiffel (1889), de nombreux autres bâtiments parisiens sont issus de cette vague d’expo, comme le Grand Palais (1900) ou le Trocadero (1937) [1]. L’ambition de cette série consiste donc à suivre le destin de la jeune femme plongée dans ce contexte si particulier.
Après un premier tome centré sur l’expo de 1855, on retrouve notre séduisante divinatrice aux prises avec des malfrats et d’autres comploteurs prêts à tout pour atteindre leur objectif.
Jack Manini, dont on connaît l’intérêt pour les séries historiques (SOS Lusitania, Le poids des nuages ou Arthur Cravan) a choisi un angle original pour nous chroniquer le Paris menacé par les transformations des quartiers populaires du baron Hausmann, dont les habitants sont tentés par des actes révolutionnaires violents dont les attentats constituent une des illustrations les plus sanglantes.
Les soubresauts politiques de cette fin de XIXe siècle servent de toile de fond à toutes ces grandes expositions universelles et justifient la mise en place d’intrigues riches et palpitantes.
Fraîchement débarqué chez Bamboo, après une carrière déjà remarquée chez Paquet avec notamment les séries Vieille Bruyère et bas de soie ou L’Epée d’Ardenois et plus récemment les Ailes du Singe, Etienne Willem se révèle particulièrement à l’aise dans le traitement graphique. Le dynamisme et la précision de son trait rendent cette histoire attractive et très lisible.
Il parvient à rendre cette fin de siècle à la fois vivante, moderne et très exaltante. Ajoutons que la mise en couleurs réalisée par Tanja Wenish sert admirablement à la fois le dessin et le propos par une belle palette de nuances de gris colorés.
En fin d’ouvrage, un riche cahier documentaire abondamment illustré de documents originaux, reproductions d’époque et textes explicatifs vient utilement compléter et recontextualiser cette série bien faite et efficace. D’autres expositions ont jalonné le début du XXe siècle, ce qui laisse prévoir d’autres épisodes qu’on peut espérer aussi réussis.
(par Patrice Gentilhomme)
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Lire également notre interview des auteurs [Jack Manini & Etienne Willem : « "La Fille de l’exposition universelle » capte l’air de chaque époque, sur près d’un siècle. »
[1] Pour plus d’information sur l’histoire de ces expositions, on pourra se référer au site de Sylvain Ageorges, http://www.expositions-universelles.fr/