Le fait n’est pas commun : le personnage du nouvel ouvrage de José Parrondo est une main. Pourvue de ses cinq doigts mais sans que nous sachions si elle est de droite ou de gauche, cette main se promène tranquillement dans les pages du livre qui lui est dédié. Le plus souvent seule, il lui arrive cependant de croiser d’autres personnages : yeux, pieds et autres mains.
Comme le nez de la nouvelle de l’écrivain russe Nicolas Gogol (1836), voici donc un membre autonome, doué de sa propre vie et dont le rattachement à un corps plus vaste n’est pas un souci. Cette main anonyme va et vient comme si de rien n’était, marchant - elle a de petits pieds avec de petits souliers - pensant et devisant. Elle explore le monde, dépassant la difficulté de n’être qu’une main qui n’a pas le bras long.
Il ne lui arrive pas de rocambolesques aventures. Car comme son dessin, le fil narratif suivi par José Parrondo est, du moins en apparence, minimaliste. Là où quelques traits fins lui permettent de faire comprendre une situation ou de faire passer une idée, il n’a pas davantage besoin de remuer ciel et terre pour intriguer le lecteur et cultiver sa personnalité. Il nous offre de suivre aisément une somme de minuscules scènes, se développant parfois sur une seule page, voire en une seule case.
En bon dessinateur minimaliste, il faut peu de moyens à José Parrondo pour exprimer beaucoup. Quelques lignes ou quelques mots lui suffisent pour faire naître un sentiment ou pour ébaucher une réflexion. Le lecteur a tout loisir de développer, sans carcan. Et à force d’amonceler les petits épisodes et les aphorismes, il pose les fondements de ce qui pourrait presque être une philosophie, privilégiant un regard étonné sur le monde afin d’en saisir toutes les incongruités.
Le minimalisme n’empêche pas, et peut-être même favorise, une approche ludique du dessin et de sa lecture. Employant alternativement deux techniques, le trait et le pochoir, José Parrondo joue avec les formes et avec les sens. La main qu’il anime - qui l’anime ? - est à la fois un personnage à part entière, avec sa volonté et son caractère, et une simple main agissant comme telle, se servant de ses doigts comme n’importe quelle main, mais à une autre échelle. Autour d’elle les paysages et les architectures sont à la fois familiers et extraordinaires, ce qui permet à l’auteur de brouiller les repères de sa main... Et du lecteur.
José Parrondo confirme avec La Main à cinq doigts, son dixième livre chez L’Association, qu’il fait partie de ces auteurs qui ont entièrement compris à quel point le dessin peut faire sens, en étant signe. Et qu’un peu de frugalité graphique permet au cerveau de respirer en un temps où l’image abonde.
(par Frédéric HOJLO)
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La Main à cinq doigts - Par José Parrondo - L’Association - 19 x 14 cm (format à l’italienne) - 112 pages en noir & blanc - couverture souple avec rabats - parution le 19 avril 2019.
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