M. Cluthers est fou. Il vit dans un monde parallèle où sa modeste usine de fabrication d’enveloppes reçevrait encore des commandes. Une boîte qui fait réparer ses vieilles machines par son unique employé, tandis que la secrétaire tente vainement de ramener le patron à la raison. Le malheureux, perdu dans son délire sans fin, monologue à longueur de journée, qu’il soit au travail ou dans son rituel bus vers la maison. A force, on se demande même s’il n’est pas en train de rêver, ou s’il ne séjourne pas dans un monde virtuel, coincé chez lui ou dans un lit d’hôpital. Finalement, cette situation touche surtout les derniers mohicans, ces deux salariés qui patiemment, lui répètent que tout est fini...
L’album se déroule dans les années 50, quelque part entre le Canada et les États-Unis, mais il pourrait s’enraciner dans n’importe quelle fabrique en fin de cycle, en occident. Peu importe le lieu, le produit -on ne verra d’ailleurs pas la moindre enveloppe produite !-, pour Chris Oliveros, l’essentiel tient au personnage. Dévoré par son travail, totalement aliéné par un échec qu’il n’a pas su voir, il meurt à petit feu, comme son entreprise. Et cette histoire finalement assez répétitive, son dessin minimaliste, ses personnages qui semblent lutter contre le ridicule à longueur de page, prend une tournure universelle. Car ils existent vraiment, tous ces patrons borderline, obsédés par le travail... A cet égard, les scènes domestiques, ou Cluthers s’avère incapable d’écouter sa femme, sont saisissantes.
Outre un choix typé comics indés, l’auteur a bien fait de s’éloigner du réalisme. Son dessin fait presque penser, parfois, à du Willem. Chris Oliveros, demeure avant tout connu comme éditeur, et pas des moindres : Chester Brown, Adrian Tomine, Seth et Joe Matt ont publié chez Drawn and Quarterly, la maison qu’il a fondée en 1990.
(par David TAUGIS)
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