Sorti en début d’année, cette version de La Métamorphose constitue l’un des titres intéressants de la production manga de l’année. Il avait fait l’objet de discussions serrées au sein du Comité Asie de l’ACBD pour l’édition 2019 du Prix Asie, d’autant que son auteur, Bargain Sakuraichi, était passé tout près de rafler le prix l’année d’avant avec La Virginité passé 30 ans, sommet drolatique.
Avec Kafka, classique s’il en est d’une littérature fantastique faisant de l’absurde et de l’angoisse existentielle un centre névralgique de création, on se demandait comment allait s’en sortir notre mangaka. Car ce dernier se distingue d’abord par un humour grivois et excelle avant tout dans le développement de personnages veules, essentiellement préoccupés par des considérations bassement matérielles.
Bargain Sakuraichi décide ainsi de jouer sur ses qualités et pour cela change de héros. Il abandonne Gregor à sa métamorphose, l’insecte intervenant seulement ponctuellement pour quelques scènes d’horreur burlesque dans l’intérieur de sa famille. À sa place, c’est son père que nous suivons. Un personnage que le mangaka peut imaginer et façonner à sa guise : paresseux, libidinal et totalement calamiteux. Mais obligé de faire face à une situation que le dépasse.
C’est donc aux conséquences sociales et familiales de la "métamorphose" que s’intéresse ce gros volume. L’ensemble est porté par un humour décapant, souvent situé, on s’en doute, sous la ceinture. Ni traduction, ni trahison, cette version de La Métamorphose offre une relecture nouvelle et distanciée du classique.
Les purs et durs de Kafka s’arracheront peut-être les cheveux mais les autres, qu’ils aient ou non lu l’original, devraient passer un excellent moment de lecture dans un registre inattendu. Car, et c’est là tout son talent, Bargain Sakuraichi marie subtilement révérence aux classiques et irrévérence de la caricature.
(par Aurélien Pigeat)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
La Métamorphose. Par Bargain Sakuraichi d’après Franz Kafka. Traduction Aurélien Estager. Akata. Sortie le 28 février 2019.