Actualité

"La Nuit" - Le Taj Mahal de Philippe Druillet

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 10 février 2014                      Lien  
C'est une œuvre étrange, un classique des années Métal Hurlant, une sorte de Guerre du feu futuriste, survoltée et morbide, que Druillet qualifie lui-même de "Taj Mahal" du nom de ce mausolée en marbre blanc qu'un empereur moghol fit bâtir en hommage à son épouse.
"La Nuit" - Le Taj Mahal de Philippe Druillet
Philippe Druillet en janvier 2014
Photo D. Pasamonik (L’Agence BD)

"La Nuit, mon requiem, mon Taj Mahal, écrit Philippe Druillet dans son "autoportrait" publié récemment aux éditions Les Arènes. Je suis dans un état second. Je ne dors pas. Je mets la musique à fond. Je hurle de douleur. Je deviens fou. Je bois six bouteilles par jour. Je m’autodétruis.[...] Je fais trois séjours à l’hôpital. Je continue à fréquenter mes amis. À un moment, je dois rentrer : "Nicole m’attend." J’arrive à la maison. Elle est vide. L’être aimé, mon amour adoré n’est pas là. C’est abominable..."

Le décès en 1975 de sa femme Nicole met Druillet dans une rage folle. Contre le cancer qui emporte son épouse, contre les médecins qui ne peuvent rien et qui font de leurs patients une statistique : "bouchers stupides, CONS à la blouse blanche et au verbe haut, jongleurs de vie qui vous prenez pour Dieu..." écrit Druillet, contre "une époque qui est moche et je suis gentil !", contre ce monde "que nous n’avons pas fait et qui nous assassine", contre une société qui refuse à apprendre la mort, contre l’année 1975, "année de la femme qui a tué la mienne..." et pour les lecteurs, cadavres latents, "cadavres futurs", que Druillet invite à la "sublime aventure"...

"La Nuit" de Philippe Druillet
(c) Ed. Glénat

On a souvent réduit La Nuit au terrible pathos qui la fonde. Pourtant, si cet ouvrage est sans doute l’une des clés de voûte des années Métal (avec Le Major fatal de Moebius, L’Incal de Jodorowsky et Moebius, Les Armées du conquérant de Gal et Dionnet, Polonius de Tardi et Picaret, le Rolf de Corben et quelques autres), c’est en raison de ses qualités propres : un graphisme et un univers personnels d’une puissance sans égale, un lyrisme aussi bien textuel que graphique, des dialogues proprement poétiques et une narration qui s’affranchit des codes de la bande dessinée franco-belge (putain, qu’est-ce qu’Hergé, Franquin ou Uderzo ont l’air datés après cela !) en s’appropriant les splashpages du comic-book tout en évoquant l’univers de la drogue et du Rock : "Dope, force, foutre, danse", "visions de shoots", "Dope, dope. Folle ! Forte ! Métal Hurlant !!" écrit Druillet. Pour la plupart des amateurs de bande dessinée de l’époque, c’est un choc majeur. Il n’a pas perdu sa vigueur alors qu’on réédite l’album chez Glénat près de quarante ans plus tard.

"La Nuit" de Philippe Druillet
(c) Ed. Glénat

Crétins qui avez la mémoire courte, relisez ce membre de "l’Académie-des-Grands-Prix-qui-n’y-connaissent-rien-à-la-bande-dessinée" qui a su, comme l’a dit si bien Malraux dans Les Voix du Silence, "arracher aux nébuleuses le chant des constellations."

"La Nuit" de Philippe Druillet
(c) Ed. Glénat

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN :

Commander cet album chez Amazon ou à la FNAC

 
Participez à la discussion
6 Messages :
  • qui s’affranchit des codes de la bande dessinée franco-belge (putain, qu’est-ce qu’Hergé, Franquin ou Uderzo ont l’air datés après cela !)

    En 1976 peut-être, mais en 2014 c’est Druillet qui est horriblement daté, infiniment plus que les Hergé, Franquin ou Uderzo antérieurs mais tellement plus frais, lisibles, modernes.

    Répondre à ce message

    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 10 février 2014 à  18:00 :

      En 1976 peut-être, mais en 2014 c’est Druillet qui est horriblement daté, infiniment plus que les Hergé, Franquin ou Uderzo antérieurs mais tellement plus frais, lisibles, modernes.

      Hé,non. Ils sont tous datés, chacun à leur manière. D’ailleurs, je ne trouve ni Hergé, ni Franquin, ni Uderzo et ni Druillet modernes. Vous avez perdu le sens des valeurs.

      Répondre à ce message

      • Répondu par Alex le 10 février 2014 à  22:20 :

        Je voudrais témoigner d’une chose : j’étais contemporain de la pré-publication de "La Nuit" (dans Rock’n Folk, c’est l’album qui fut publié aux Humanos). Pour quelqu’un qui suivait un peu la scène de la bd à l’époque Druillet était un incontournable, une star. Avant le système de starification. Son talent totalement unique suffisait à le rendre passionnant. Son drame personnel n’était donc pas étranger à son public. La surprise, le choc même, vint de l’urgence dans laquelle il s’attela à "La Nuit", très peu de temps après la disparition de son épouse. J’avais vraiment l’impression de vivre au brut et presque en direct les tourments et la tristesse de l’artiste. C’était effectivement une lecture très dérangeante -novatrice pourrait-on dire avec un oeil clinique. Je ne l’ai jamais relu depuis, ce n’est pas le genre d’ouvrage à prendre à la légère. Mais, près de 40 ans après, je crois que je vais trouver le courage de le relire.

        Répondre à ce message

        • Répondu par Oncle Francois le 11 février 2014 à  13:23 :

          Oui,vous avez raison, ami Alex. La Nuit fut publiée dans Rock and Folk à raison de quatre pages par mois. Je n’achetais pas cette revue sur la zique à l’époque, alors je me débrouillais pour la feuilleter à la Maison de la presse. Rock and Folk publia aussi Hamster Jovial de Gotlib. J’ai été bien content que des éditeurs reprennent ces histoires en albums.

          Et la ressortie de cet album me donne à moi-aussi l’envie de relire mon édition originale. Comme vous, après lecture, je l’avais refermé pour ne plus jamais l’ouvrir, comme si j’avais espéré y laisser enfermée toute la misère et la détresse du monde.

          Répondre à ce message

          • Répondu par Jacques Terpant le 11 février 2014 à  14:28 :

            Le dessin quel qu’il soit, plus que la littérature est daté, ,marqué par son époque, si on le regarde pas ce filtre, on prend le mauvais biais. Une peinture du 18eme est reconnaissable en tant que telle, ceci n’empêche de l’apprécier pour ce qu’elle est, cela peut-être un chef d’oeuvre ou un obscur témoignage, la BD n’échappe pas à cela ,on reconnait l’époque, on voit aussi le chef d’oeuvre !

            Répondre à ce message

  • Druillet, nominé pour le Eisner Hall of Fame 2014.

    Répondre à ce message

CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Didier Pasamonik (L’Agence BD)  
A LIRE AUSSI  
Actualité  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD