Romans Graphiques

« La Terre, le ciel, les corbeaux » : une aventure profondément humaine dans le grand nord russe

Par Paul CHOPELIN le 27 janvier 2022                      Lien  
Après une série d’albums plutôt destinés à un public d’adolescents et de jeunes adultes, Teresa Radice et Stefano Turconi reviennent avec un récit plus sombre et plus dur, l’odyssée de trois soldats fuyant un camp de prisonniers à travers les majestueux paysages enneigés du grand nord russe au temps de la Seconde Guerre mondiale. De l'aventure, de l'émotion, mais aussi et surtout des couleurs d’une grande beauté. Une lecture hivernale chaudement recommandée !

Mars 1943. Un soldat allemand s’évade de son camp de prisonniers sur les îles Solovki, au nord de la Russie, dans la Mer Blanche. Il est suivi, bien malgré lui, par un codétenu, un chasseur alpin italien prénommé Attilio – le narrateur –, ainsi que par une sentinelle russe embarquée de force dans l’aventure. Les trois hommes, très soupçonneux les uns à l’égard des autres, vont peu à peu s’apprivoiser et unir leurs forces dans un seul but : survivre au froid et aux patrouilles lancées à leur recherche, pour gagner le village d’origine du soldat russe.

« La Terre, le ciel, les corbeaux » : une aventure profondément humaine dans le grand nord russe

Commence alors une longue et pénible marche à travers les forêts enneigées de Carélie. Les risques d’être repris ou tués augmentent au fur et à mesure que les trois hommes se rapprochent de la ligne de front. Se tenant à distance des troupes allemandes et soviétiques, ils bénéficient de l’hospitalité des populations rencontrées sur leur route, se ménageant ainsi des pauses bienvenues dans leur périple glacé. Mais le danger se fait de plus en plus pressant, mettant à mal les liens qui s’étaient peu à peu tissés entre l’Allemand, l’Italien et le Russe.

On ne présente plus le couple formé par Teresa Radice (scénario) et Stefano Turconi (dessin), auteurs phares de la BD italienne contemporaine, dont Le Port des marins perdus (2015, Glénat 2016) a reçu plusieurs récompenses dans leur pays d’origine. Ce nouvel opus est à la hauteur de leurs derniers albums : une histoire prenante – un récit de survie sur fond de guerre, d’amitié et de trahison –, raconté avec beaucoup de profondeur et de poésie.

Le scénario, très bien construit, est rythmé par une série de flashbacks. Dans les bras glacés des nuits en forêt ou dans la douce chaleur des isbas, Attilio se remémore sa vie d’avant, dans un village au-dessus du Lac de Côme. Une vie faite de petits et de grands bonheurs, mais aussi de blessures, que l’on découvre plus profondes au fur et à mesure que la lecture progresse. Il faut dire que la vie civile d’Atillio n’est pas un long fleuve tranquille : il pratique la contrebande vers la Suisse avec son père et apprend, dès son plus jeune âge, à déjouer les recherches des douaniers.

Chaque personnage parle sa langue, non traduite dans les bulles, à l’exception de l’italien, langue du narrateur. Le lecteur non germanophone et/ou russophone sera forcément un peu désarçonné, même si le russe est écrit en alphabet latin pour que l’on en saisisse au moins le son. Mais on comprend très vite que cette incompréhension sert l’histoire, en rendant très concrète l’incertitude linguistique qui entretient la méfiance de chaque personnage à l’égard des autres.

Le dessin et les couleurs à l’aquarelle de Stefano Turconi sont superbes. Les teintes et les éclairages naturels des saisons, que ce soit l’hiver en Carélie ou l’été en Italie, sont parfaitement rendus. Certaines planches se contemplent longuement pour admirer la délicatesse du travail sur les ombres et les ciels. Le silence de certaines d’entre elles, privées de texte, renforce cet aspect contemplatif, qui fait de l’album un hymne à la nature et à l’humanité.

Dans leurs remerciements, les auteurs citent sans surprise les cinéastes Sergio Leone, Ermanno Olmi et Jean-Jacques Annaud comme source d’inspiration, évidente dans la mise en scène des silences, des échanges de regards et des moments de suspension du temps. On dit souvent que la BD, le 9e art, est au croisement des autres arts. C’est particulièrement vrai pour cette belle aventure humaine portée par un puissant souffle narratif et graphique. Lisez-la, conservez-la, vous y reviendrez toujours avec plaisir.

Voir en ligne : présentation de l’album sur le site de l’éditeur

(par Paul CHOPELIN)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782344048887

La Terre, le ciel, les corbeaux - Par Teresa Radice (scénario), Stefano Turconi (dessin) et Frédéric Brémaud (traduction) - Glénat, Collection Treize étrange - 22 x 30 cm - 208 pages couleurs - 22,50 €

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