David B est l’un des sept fondateurs de L’Association avec Jean-Christophe Menu, Lewis Trondheim, Mattt Konture, Patrice Killoffer, Stanislas et Mokeït, dont le graphisme est partie composante du logo de l’éditeur. Il est surtout l’auteur de L’Ascension du Haut-Mal , l’un des premiers succès du label associatif, un chef d’œuvre qui a fait beaucoup pour sa réputation et pour celle de la nouvelle génération de la BD française née dans les années 1990.
Brouillé avec JC Menu, il faisait partie de ceux, avec Joann Sfar, Stanislas, Killoffer ou Lewis Trondheim qui avaient pris leurs distances avec le Lider Maximo de l’édition indépendante.
Personnage délicieux et discret, celui qui amena et soutint la publication de Marjane Satrapi chez l’éditeur associatif, n’aime pas les clameurs et la polémique. Il ne s’était jamais prononcé sur la crise en cours, en dépit du fait que son nom, par la force des choses, y soit intrinsèquement mêlé. La crise majeure qui mène à l’AG du 11 avril le pousse à sortir pour la première fois de son silence en publiant une lettre ouverte sur le site du Comité de soutien de L’Association, Longue vie à l’Association, lequel précise étrangement « qu’il ne partage pas tous les points de vue de David B. » On serait curieux de savoir lesquels...
Points d’histoire
D’abord pour revenir sur les interprétations historiques abusives menées par JC Menu et ses supporters, ensuite pour donner sa position dans cette affaire.
L’introduction du communiqué précise d’entrée le ton des relations entre JC Menu et son associé : « Tiens, encore un texte de Menu… De l’argumenté, du solide, du « nous travaillons à résoudre la crise »… Rien de très nouveau pour qui a été le témoin de son évolution. En effet, cela fait des mois, voire des années, que Menu travaille à s’annexer l’Association, à en faire sa chose, son jouet, son caprice. »
La première flèche va aux « membres d’honneur » listés par Menu dans un précédent mail, un groupe constitué de manière arbitraire par le « patron » de la maison d’édition, ce que David B conteste : « Voici donc la liste des membres d’honneur parmi lesquels seront choisis ceux qui constitueront le futur bureau de L’Association, tous triés sur le volet par Menu et adoubés par lui. On y remarque la présence de quelques fondateurs : Robial, co-fondateur de Futuropolis, Dionnet, co-fondateur des Humanoïdes Associés et Menu, co-fondateur de L’Association. Il me semble cependant qu’il manque à cette liste quelques fondateurs : Stanislas, Mattt Konture, Killoffer, Mokeït, Lewis Trondheim et moi même. Il est vrai que, comme je le disais plus haut, tout le travail de Menu consistant à s’approprier L’Association, nous devons disparaître de la photo, processus déjà entamé dans ses Bandelettes où il nous réduit au simple statut d’auteurs » dit-il, cinglant.
Pour les révisionnistes de tout poil, il refait un point d’histoire, ce qui annonce un collectif sur l’histoire de L’Association assez saignant (à paraître chez Delcourt et auquel collaboreront d’autres auteurs qui ont vécu cette aventure, comme Killoffer) : « Devant les derniers événements qui ont marqué L’Association, devant les menaces qui pèsent sur les salariés et devant les mensonges toujours plus grossiers que s’obstine à diffuser Menu sur la création et l’histoire de L’Association, j’estime qu’il est temps pour moi de donner ma version des faits. Je m’étais gardé de le faire jusqu’à présent pour ne pas nuire à la structure ; l’égoïsme et la cécité de Menu auront entraîné pour L’Association des conséquences bien plus regrettables. »
Il précise que si Menu est bien à l’origine de l’idée de L’Association, ce projet, il a eu besoin de le faire avec d’autres. Que la maison s’est toujours appuyée sur un comité éditorial, chacun apportant ses idées, ses projets, cooptant ses auteurs : « …cet apport allait bien au-delà du rôle de « fournisseurs de livres » auquel Menu voudrait nous cantonner à présent » précise-t-il.
Commentant les prétentions de Menu sur la construction de l’exceptionnel catalogue de la structure, il ajoute : « Il s’attribue, avec une grandiloquence un peu puérile, « la définition des axes, la position politique, la direction graphique et tout le discours » de L’Association. Qu’on me permette de sourire devant un tel ramassis de foutaises. Mettons les choses au clair : j’ai toujours conçu et réalisé mes couvertures moi-même, comme la plupart des fondateurs. De même, j’ai toujours dessiné mes albums librement, sans me préoccuper d’appliquer une soit-disant ligne politique — inventée tardivement. C’est Menu qui a plaqué son discours sur notre travail, pas l’inverse. »
Des divergences pas seulement artistiques...
David B détaille avec acuité l’une des premières divergences qui va naître au sein du groupe de fondateurs. Se constitue en effet un groupe d’auteurs qui apporte, dans des conditions économiques très avantageuses, ne réclamant pas à leurs débuts d’à-valoirs, accordant une exclusivité de fait à la structure de leurs associés et surtout compétence, réseaux, conseils et réputation, et ceci de façon tout à fait bénévole : « …Bénévoles, nous l’étions aussi. Pour notre participation active au travail éditorial, nous n’avons jamais touché un centime. Nous percevions les droits d’auteur des ventes de nos livres, ce qui, dans les premiers temps, ne représentait pas grand chose. »
C’est en effet ailleurs que nos grands auteurs trouvent le moyen de leur subsistance, tandis que JC Menu devient quant à lui, salarié, avec un droit au chômage et des conditions sociales plus confortables que ne le permet le statut d’artiste : « Publier chez les « grands sales éditeurs capitalistes » était ce qui nous permettait de gagner notre vie. Cet état de choses, Menu s’est souvent fait plaisir à nous le reprocher. Bien hypocritement d’ailleurs, puisqu’il est rapidement devenu salarié de L’Association, contrairement à nous qui devions nous « compromettre » pour gagner l’argent — et le temps — nécessaires à la réalisation de nouveaux livres pour la structure. »
Il réfute l’argument souvent avancé que Menu se « sacrifiait » pour ses camarades : « À l’époque, Menu était confronté à une difficulté profonde à dessiner ; il a alors souhaité s’investir plus dans la structure et nous a demandé, lors d’une réunion du comité éditorial, à ce qu’un rôle de coordinateur/administrateur lui soit confié, contre rémunération, ce que nous avons accepté. Mais rapidement, il a commencé à se plaindre que la tâche était écrasante et qu’elle l’empêchait de dessiner. Nous lui avons donc proposé d’engager quelqu’un pour le décharger de la partie la plus rébarbative de son travail. Mais il a refusé tout net cette solution ; sans pour autant cesser de se lamenter. Lorsque ces plaintes le reprenaient, nous lui répondions par la même proposition, qu’il déclinait à chaque fois de manière catégorique. À force de rejouer la même scène, nous avons fini par nous retrouver dans une situation sans issue, dont nous avons dû nous accommoder (par nous, je veux dire les co-fondateurs). Les choses ont continué sur ce mode, ponctuées par les crises de mauvaise humeur stériles de Menu, ses reproches et ses états souvent erratiques. »
JC Menu éditeur
Il revient encore sur cette séquence où Menu décide de créer son propre label pour publier les carnets de Tardi (2001). Ses associés laissent faire, pourquoi l’en empêcheraient-il ? Mais Menu reste salarié de la société… Heureusement d’ailleurs, car en dépit du nom de Tardi, les ventes ne suivent pas. Exit l’expérience de « JC Menu éditeur ».
Il revient ensuite sur les nombreuses disputes qui ponctuent les réunions après cette date : « J’ai le souvenir d’une réunion du comité éditorial en 2004 où un Menu ivre nous annonce qu’il « nous dissout » ; c’est à dire qu’il dissout le comité éditorial tout en nous disant qu’il sait que légalement il n’a pas le droit de le faire mais qu’il le fait quand même, etc. Ses raisons ? Il a 40 ans, il n’a rien, nous autres sommes connus… alors il veut l’Asso pour lui tout seul. Rien que ça ! Nous lui faisons valoir que nous n’avons pas à payer pour ses frustrations d’auteur, dans lesquelles nous ne sommes pour rien — mieux, nous l’avons toujours encouragé à dessiner, nous lui avons proposé des solutions pour le dégager de ce travail qu’il avait exigé ! Il répond qu’il s’est sacrifié pour nous et que nous lui devons quelque chose, nos carrières en l’occurrence. Il veut oublier que sans notre travail et sans nos livres, L’Association ne serait pas ce qu’elle est… »
Commence alors une guerre d’usure qui aura pour effet l’éloignement des auteurs-vedette de la maison : « Nous discutons pied à pied. Rien à faire, un mur, tout comme aujourd’hui. Il veut ce qu’il veut et il l’aura, quoi qu’il doive lui en coûter d’hypocrisie, de manœuvres sournoises et d’amitié perdue. Nous partons en bloc et nous le plantons-là, seul avec ses mensonges. »
La presse à l’époque (dont ActuaBD.com) parle de « divergences éditoriales » mais David B récuse cette interprétation et accuse : « Nous sommes loin de la divergence éditoriale. Et nous flairons surtout que depuis le succès de Persépolis, il y a beaucoup d’argent dans les caisses et que Menu, seul à la tête de l’Association, pourra en profiter à sa guise. Il s’est d’ailleurs déjà octroyé un pourcentage de 2% sur les droits perçus par L’Association pour les ventes aux USA du livre de Marjane. »
Ruptures
Menu revient plus tard vers ses associés pour une « réunion de conciliation ». Ils se laissent faire, non sans appréhension. Mais les « mesquineries » reprennent et semblent s’inscrire dans une stratégie bien réfléchie : « Au cours de cette période, il m’apparaît clairement que le fait de nous virer (de quel droit ?) en groupe la foutait mal et qu’à présent, il est décidé à nous pousser dehors un par un, reprenant des méthodes déjà bien éprouvées par quelques patrons inventifs. Menu, s’il n’est « pas un patron et n’en sera jamais un », comme il l’affirme dans ses Bandelettes au même moment où il veut virer arbitrairement des salariés, sait très bien utiliser les méthodes des patrons les moins respectables. »
David B se tait et fait le gros dos jusqu’à ce qu’il apprenne la sortie de Plates-Bandes (2005) publié sans l’assentiment du comité éditorial dont il fait partie et pour cause : JC Menu s’y répand en règlements de compte, notamment contre des proches de ses associés.
David B décide de ne plus remettre les pieds à L’Association, bientôt suivi par Joann Sfar et Trondheim, deux piliers du catalogue : « C’est alors que je deviens un traître et que je suis systématiquement stigmatisé et diffamé, cela afin que ma parole soit discréditée par avance. Je ne peux pas faire grand chose d’autre que d’admirer la tactique : on a fait comme si je n’existais plus afin que je prenne la responsabilité de partir, et on me reproche ce départ en me désignant comme un perturbateur. La fable est simple, beaucoup y croient, je comprends qu’il ne sert à rien de vouloir contrer cette « vérité », je me concentre sur mon travail. »
Une guerre entre fondateurs
S’en suit une série de manœuvres assez peu reluisantes dont ActuaBD s’était fait l’écho, tandis que les actes de gestion discutables apparaissent au grand jour : « En 2006, un montage hasardeux et rocambolesque prévoyait de fonder une société immobilière qui aurait acheté un local et l’aurait loué à L’Association. Les co-fondateurs de L’Association (à l’exception de moi-même, marqué du sceau infâmant de la traîtrise), se voyaient proposer d’entrer dans la société pour une part minoritaire, Menu étant, toujours au nom de son fameux "sacrifice", actionnaire majoritaire. Comme il n’avait pas de logement parisien à cette époque, il exigeait que le local comprenne un appartement à lui destiné, (toujours ce sens du sacrifice). Le problème, c’est que L’Association devait prêter à Menu une partie de l’argent qui devait lui servir à acheter le local qui aurait ensuite été loué à la structure… Un tel montage étant illégal, il finit par renoncer à ses ambitions immobilières. »
Des manœuvres soigneusement couvertes par un bureau « compétent et bénévole » (dixit Menu), ce qui achève de dégoûter plus d’un auteur présent depuis le début.
L’Association, dit David B, n’aura plus d’Assemblée générale, celle organisée en 2007 étant fictive, selon le dessinateur qui décrit Menu depuis cette date comme un patron « lunatique, distant, voire absent. Paranoïaque, aussi » qui liquide les employés présents depuis l’origine pour en engager d’autres qu’il licencie à leur tour sans se préoccuper des conséquences légales, ce qui coûte à la structure des indemnités conséquentes.
Cette gabegie de la part de Menu et de son bureau « bénévole et responsable » amène à la situation d’aujourd’hui, alors même que, selon les chiffres apportés par le Comité, la structure est encore protégée par le succès de Persépolis, gagnant malgré tout de l’argent en 2008 et en 2009.
David B appelle publiquement à sauver ce qui peut l’être, à relancer L’Association sur un fonctionnement collégial, dans « un respect du livre et des auteurs ». Une relance sans Menu, cela va sans dire.
Et il conclut en dénonçant les dernières manœuvres d’un dirigeant d’entreprise aux abois :
Une convocation le 11 avril à 10 heures, premier jour des vacances de Pâques. « Pour que le moins de personnes puissent y assister, y débattre et y voter. »
La présentation par un bureau contesté d’une seule liste de dirigeants à élire : « …celle de Menu, constituée de ses acolytes, comme dans n’importe quelle dictature ordinaire. Or cette liste ne comprend pas un seul auteur. Ils ne font plus partie des membres d’honneur. Ils ne sont plus consultés. Ils ne sont plus que des auteurs, comme dans n’importe quelle maison d’édition. Pire, on va créer pour eux une catégorie à part. C’est ça, la politique de Menu depuis quelques années : « mettre les gens à part. »
Un dernière manœuvre de Menu enfreignant les règles « en réclamant que des adhésions et des chèques soient envoyés chez lui, à son adresse personnelle. »
Appel à adhésions
« Si on ne fait rien, conclut-il, exhortant les lecteurs de L’Association de se faire membre et de venir voter, au besoin avec une procuration, on peut facilement prévoir la suite. Un bureau fantoche sera élu. Menu aura enfin les pleins pouvoirs. La crise sera réglée. Les salariés seront liquidés, licenciés, usés, ou dégoûtés comme nous l’avons été. Menu embauchera de nouvelles personnes et recommencera le même drame. Car il n’a aucun don pour les relations humaines, il va même jusqu’à le revendiquer. Pourquoi dans ce cas, continue-t-il à s’en mêler ? Pourquoi le bureau « compétent et bénévole » l’a t-il laissé faire ? Pourquoi envisage-t-on de poursuivre sur ce constat d’échec ? Pourquoi ? C’est vrai, ça. Pourquoi voter pour ces gens-là ? Pourquoi accepter cette liste ? Pourquoi laisser couler sans rien dire l’idéal de L’Association ? Pourquoi ne pas voter pour une vraie continuité ? Pourquoi ne pas venir et changer les choses ? »
David B soutient le mouvement des salariés et souhaite revenir aux discussions et aux échanges qu’il avait connus à la création de la structure. Il est clair que son retour et celui de ses amis Stanislas, Killoffer, Trondheim ou Joann Sfar contribuera à assurer à ce label marquant de la BD d’aujourd’hui un avenir plus serein.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon : David B. Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)
Illustrations : Œuvres de David B à L’Association
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