Berlin, juillet 1936. La capitale du IIIe Reich s’apprête à accueillir la 11e édition des Jeux olympiques modernes. Les affiches et les unes des journaux antisémites sont soigneusement ôtées de l’espace public pour donner une bonne impression du régime aux visiteurs étrangers qui commencent à affluer. Le détective privé Bernard « Bernie » Gunther est alors engagé par le magnat de l’industrie Hermann Six pour enquêter sur la mort de sa fille et de son gendre, découverts assassinés à leur domicile, et retrouver les bijoux qui ont été dérobés dans leur coffre à cette occasion.
Ancien commissaire de la Kripo, la police criminelle, Gunther connaît bien les arcanes de Berlin et utilise son réseau d’informateurs pour tirer le vrai du faux dans les déclarations de ses interlocuteurs de la bonne société. S’il traite dangereusement avec le crime organisé, celui des bas-fonds, il doit surtout compter avec les assassins en uniforme qui tiennent le pouvoir et cherchent à utiliser son enquête à leurs propres fins. Il croisera ainsi la route du ministre de l’aviation Hermann Göring, responsable du plan d’organisation de l’économie de guerre et accessoirement maître-chanteur, ainsi que celle du sinistre Reinhard Heydrich, le responsable des services de sécurité de la SS.
Parfaitement structuré, avec des dialogues qui font mouche, le roman original de Philip Kerr se prête particulièrement bien à une adaptation dessinée, qui est effectuée ici avec beaucoup de fidélité par Pierre Boisserie au scénario. Celui-ci a effectué quelques coupes – comme le passage de l’internement, plus ou moins volontaire, du héros en camp de concentration – qui ne gênent en rien la compréhension de l’ensemble, bien au contraire. L’album reste dense, avec pas moins de 130 planches, mais la lecture est captivante, jusqu’au dénouement final. La scène-clé autour de la photographie dans le bureau d’Hermann Six aurait peut-être juste mérité une exposition un peu plus claire, pour permettre au lecteur de comprendre tout ce qui se joue à ce moment-là dans la tête du héros.
Au dessin, François Warzala, à qui l’on doit l’Histoire de la Ve République chez le même éditeur, propose une ligne claire de bonne facture, appuyée sur une reconstitution fidèle du Berlin des années 1930. Tâche délicate s’il en est, les personnages historiques connus, comme Göring, Himmler ou Heydrich, sont croqués de façon convaincante. Les couleurs de Marie Galopin sont bien appliquées, mais restent un peu froides. L’éclairage ne varie guère au fil des scènes et ne rend pas toujours justice au trait du dessinateur. C’est peut-être le seul point faible de l’album, avec un choix de caractères, pour le lettrage, bien peu esthétique.
Il faut souligner la très bonne qualité de l’impression et ce n’est pas ici un détail. L’éditeur propose un dos toilé rouge très élégant, qui participe vraiment au plaisir de la lecture. En fin d’album, un cahier graphique illustre une présentation de l’itinéraire et de l’œuvre du regretté Philip Kerr (1956-2018), par Macha Séry, critique littéraire au Monde. Celle-ci soulève bien l’enjeu principal des 14 enquêtes de Bernard Gunther publiées entre 1989 et 2019 : « Comment enquêter sur un meurtre à l’heure des tueries de masse ? Comment mener des enquêtes policières quand la Kripo et la Gestapo servent les visées idéologiques du national-socialisme ? »
La BD de Pierre Boisserie et de François Warzala a su conserver le ton juste du roman original : entraîner le lecteur dans le plaisir d’une intrigue policière classique, tout en le faisant réfléchir sur la violence systémique du régime nazi et la fragilité des frontières morales individuelles dans un tel contexte. La parution de l’adaptation BD de la prochaine enquête de Bernie Gunther, La Pâle figure, ne peut qu’être attendue avec impatience !
Voir en ligne : Présentation de l’album sur le site de l’éditeur
(par Paul CHOPELIN)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
La Trilogie berlinoise T. 1 : L’Été de Cristal. Par Pierre Boisserie (scénario), François Warzala (dessin), Marie Galopin (couleurs). D’après le roman éponyme de Philip Kerr. Les Arènes BD. 21 x 29 cm. 144 pages couleur. 20 €.
Participez à la discussion