Traquée par deux enquêteurs de l’agence Pinkerton, Emily poursuit sa course accompagnée de la petite Claire et de Susan, une esclave sauvée des griffes du Ku Klux Klan. Une fuite dont le moteur principal est un terrible désir de vengeance. On se souvient que la Venin, (surnom attribué à Emily sur l’avis de recherche) s’est lancée à la poursuite des assassins de sa mère, ce qui la conduit à traverser une partie des États-Unis et faire de sinistres rencontres la renvoyant vers les souvenirs d’un passé perturbé et douloureux.
Après avoir réglé son compte à un gouverneur, puis au révérend Coyle dans le second épisode, sa tête est évidemment mise à prix. Se déplaçant à visage découvert, elle provoque la convoitise d’aventuriers et autres chasseurs de prime qui se sont lancés à ses trousses. Dans ce troisième tome, Emily pénètre dans la boue pétrolière d’Oil Town, dirigée d’une main de fer par le sinistre Drake. Bien qu’elle se présente comme la nouvelle institutrice, ce patron tyrannique l’a reconnue et a vite compris qu’il figure sur sa liste noire... Le temps du règlement de compte est venu pour le troisième complice du meurtre de sa mère.
À travers l’épopée de la belle Emily, Laurent Astier nous dresse sans complaisance le portrait de l’Amérique du début de XXe siècle, celle des derniers conflits avec les Indiens, celle du racisme du KKK, de la misère sociale qui accompagne le début de l’industrialisation, du chemin de fer et de la découverte du pétrole. En offrant une large place au contexte historique des aventures de son héroïne, l’auteur donne à ce western une image plus large, plus sociale et au final plus crédible qu’un simple récit de vengeance.
La narration s’équilibre entre deux récits parallèles mettant en scène l’enfance d’Emily et son épopée adulte, autant d’allers et retours entre 1900 et 1890 qui apportent un éclairage sur la jeunesse et les motivations de la jeune fugitive. La mécanique scénaristique se révèle bien huilée, les rebondissements s’enchaînent au rythme tumultueux et mouvementé de cette course-poursuite à travers un Ouest en pleine mutation.
Si le graphisme de Laurent Astier demeure solide et convaincant, des facilités dans le scénario et le portrait de certains protagonistes, à la limite de la caricature ou du cliché, affectent parfois à la crédibilité du propos. En dépit de ces maladresses, ne boudons pas notre plaisir à la lecture d’une épopée haletante et trépidante programmée pour se conclure au cinquième épisode, chacun d’eux étant consacré à l’un des responsables de la mort de la mère de la Venin.
De la trilogie d’anticipation Cirk (Glénat) à l’Affaire des Affaires (sur un scénario de Denis Robert, édité chez Dargaud) ou plus récemment Comment Faire Fortune en Juin 40 (avec Dorison et Nury chez Casterman) , Laurent Astier a déjà publié une bonne vingtaine d’albums. Avec ce western, il parvient à convaincre en nous offrant un récit qui réconcilie tradition narrative et renouvellement du genre par le prisme d’un traitement et d’un ton très personnels.
Chaque épisode est complété par un cahier mêlant photos d’archives et traduction « autobiographique » des aventures d’Emily, se jouant ainsi de rapports troubles et ambigus entre réalité et fiction.
Le grand Jean-Michel Charlier avait usé de même avec le fameux canular sur Blueberry dans l’album Ballade pour un cercueil (Dargaud) ! Un clin d’oeil et un hommage au maître que cet admirateur du célèbre scénariste ne pouvait laisser passer !
Deux nouveaux épisodes sont encore à paraître pour découvrir le dénouement d’une épopée aussi trépidante et séduisante que son héroïne !
Voir en ligne : La Venin : un western au féminin
(par Patrice Gentilhomme)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
A propos de cette série, lire également : "La Venin" : un western au féminin et Laurent Astier : Prix Saint-Michel 2019 du dessin pour "La Venin"
Laurent Astier sur ActuaBD, c’est aussi :
"Face au mur" : prison et cavale d’un ennemi public
Comment faire fortune en juin 1940
L’Affaire des Affaires avec :
Participez à la discussion